T’étais fatigué Sacha. Crevé. C’est à peine si tu tenais encore debout. Pourtant, tu faisais comme si de rien était. Le sourire gravé sur ton visage. Parvenant tant bien que mal à maintenir ce petit mensonge. Cette grosse blague. T’avais passé ta journée à tout organiser. Tu la passerais aussi à tout ranger. Jusqu’au bout. Bien obligé, c’était plus fort que toi. Un truc qui te prend au truc. Un mystère inexplicable qui te force à te buter à la tâche. Cette raison pour laquelle on t’apprécie et on déteste. Ce paradoxe que t’inspires chez les autres. L’effet Sacha.

Maintenant que tu la voyais, au loin, tu te demandais ce qui t’avais poussé à venir. Oui, elle t’avait fait de la peine en partant après sa défaite et sa, légère, histoire avec Livy. Mais elle ce qu’elle voulait vraiment recevoir de ta pitié ? Elle partage ce côté fier avec Arsene. Ce côté de royauté sans partage. Mais à la différence d’Arsene. Tu la trouvais plus honnête. A peine plus. Arsene refusait d’accepter, quitte à blesser tout le monde autour de lui. Lucrecia elle, avait le mérite de s’isoler au lieu d’entraîner toute l’île dans sa chute.

Tu n’irais pas jusqu’à dire que c’est de l’admiration. Mais au fond, tu lui es reconnaissant d’être plus posé et réfléchi que le roi du bahut. Il faut dire que deux comme Arsene, tu passes pas l’année aussi Sacha. Donc dans un sens, tu la remercies de pas te rendre complètement cinglé.

Tu t’approches d’elle, doucement. Restant à quelques mètres à peine, debout, face à la mer. Sans même la regarder, tu lui dis d’un ton léger, qui se veut apaisant et doux.

La reine de l’école ne devrait pas avoir à se cacher sur la plage, non ?

Tout sourire, avant qu’elle ne comprenne tes intentions. Trop prévisible Sacha, trop évident. Tout le monde commence à te connaître. A te cerner. Ils savent comment tu fonctionnes à présent. Ils savent qui tu es, bien plus que toi d’ailleurs.

Désolé. J’étais triste de te voir dans cet état.

Pourquoi tu t’excuses Sacha. Pourquoi tu te justifies. T’es vraiment irrattrapable. T’es venue la voir pour la réconforter et au final, c’est à toi qu’on fait la morale.

Je sais que tu es forte. Et je ne m’inquiète pas pour toi. Pas entièrement. Ça t’arrache un murmure. Je viens voir si tu comptes épargner les pauvres fous responsables de tout ça. Ou au moins, si t’as l’intention de pas être trop dure avec eux.

Un peu d’humour, tu te dis que c’est pas mal dans ce genre de situation. Même si ton humour est à revoir. Pas terrible, c’est le mot. Au moins tu fais de ton mieux. Au moins t’essaye.

Si je te dérange, fais pas attention à moi. Je vais rien dire, je suis juste là pour me détendre un moment avant d’y aller.

Tu t’assois à côté d’elle, le regard perdu dans le vague, sans vraiment regarder la mer ou l’horizon. Juste pensif. Juste le vide. Mine de rien, ça te permet vraiment de souffler un moment. Depuis le début de la journée t’avais pas pris la peine de t’arrêter, ne serait-ce qu’un instant.

Si, une dernière chose. Après j’arrête de t’emmerder. Sois pas trop dure avec toi-même. Si t’as besoin d’aide tu sais où me trouver de toute façon. Tu peux compter sur moi, je t’abandonnerai pas !

En même temps t’es incapable d’abandonner qui que ce soit Sacha. C’est un mot qui rentre pas dans ton vocabulaire visiblement. Mais tu le pensais vraiment. Alors tu t’étais tourné vers elle avec un sourire. Avant de te replonger dans les vagues. Tu voulais pas trop forcer, elle était pas d’humeur.

Ce qui compte c’est qu’elle se sente mieux, non ?

Et toi, ta fatigue, tes sentiments.

On verra plus tard.

Respirer. Elle pouvait appeler ça comme elle le voulait. De ton point de vue, elle prenait ses distances. Elle était blessée. Qu’elle accepte de l’admettre ou non, il suffisait que tu poses ton regard sur elle pour le comprendre. C’était évident. Et c’est pour cette exacte raison qu’elle te faisait autant de peine.

Elle avait beau jouer les durs, elle n’était pas si impénétrable. Comme tout le monde. Personne n’est insensible face à ce genre de chose. Pas même Arsene. Même lui, qui joue le rôle du mec inaccessible, il en est conscient au fond de lui. Tout le monde a des sentiments, certains ont juste plus de facilité que d’autres à les assumer. Et le fait que vous avez du mal avec, toi, Lu’ et Arsene, ça fait un drôle de point commun.

J’en suis sûr que tu vas te venger. Sois pas trop dur avec eux, ça n’en vaut pas la peine.

Pour le coup, t’étais aussi inquiet pour elle que pour les autres. Tu savais que les vengeances de Lucrecia sont pas vraiment douces ni légères. Et tu voulais lui éviter un problème, à toi et à elle. Parce que les problèmes qu’elle cause, ils finissent par retomber sur le conseil et par extension. Toi.

Et puis tu sens son regard sur toi. Un air choqué et déçu sur son visage, comme si t’avais dit une aberration, là, tout de suite.

De quoi m’aider moi-même ? J’ai pas besoin d’aide tu sais.

Le pire dans cette histoire. C’était que t’étais sincère. Là. Maintenant. Tu le pensais vraiment. Accepter de l’aide, c’était mettre les autres dans la même situation que toi. C’était leur faire porter le même fardeau, le même poids sur les épaules. Et rien que cette idée t’était inimaginable, presque insoutenable.

La question suivante t’arrache un haussement de sourcil. Bon, tu t’y attendais, certes. Mais pas tout de suite, pas juste après ton arrivée. Elle perd pas de temps décidément.

Pourquoi ? Tu penses que j’ai voté pour quelqu’un d’autre que toi ? Et si c’était le cas Lu’, tu ferais quoi ?

Elle te toise de haut, l’air inquisiteur. Et tu lui réponds avec un léger sourire. Tu n’avais pas peur d’elle, pas plus que tu n’avais peur d’Arsene. Mais t’étais trop gentil avec eux. C’est pour ça que tu t’arrêtes pas là et que tu continues. C’est pour ça que t’ouvres encore ta grande gueule.

J’ai voté pour toi guapa.

Tu t’essayes à l’espagnol, franchement t’étais pas très doué en langue. T’aimais particulièrement en apprendre mais t’avais du mal à te souvenir des mots, avec une tendance à les mélanger. Alors forcément, c’est pas terrible quand t’essayes de sortir des mots étrangers. Mais là t’étais sûr de toi, ça voulait dire meuf ou fille en espagnol. Tu sais que ça va la surprendre ou au moins lui faire plaisir si tu lui balances un mot comme ça à l’improviste.

(Pas du tout, « guapa », ça veut dire « ma belle » en espagnol. Pauvre Sacha. C’est pas de chance ça hihi).

Ils avaient tous quelque chose avec ce mot en ta présence « Ange ». Cette expression elle te colle à la peau. Elle te quitte pas, que ce soit pour se moquer ou pour te faire un compliment, tu pouvais être sûr de l’entendre. Et pourtant toi, de ton côté, tu te posais pas plus de questions. Tu te dis que c’est mieux qu’autre chose, qu’au final c’est pas si mal. Qu’au final c’est comme ta vie. « Pas mal ».

Mais c’est pas ce qui t’inquiète le plus. Nan, c’est son sourire malicieux suivis de son rire. C’est louche. T’as soit dit une connerie soit elle prépare un mauvais coup. Dans les deux cas. C’est la misère. Le pire, c’est que sa réaction ne tarde pas. Bien au contraire, elle est fulgurante. Elle te prend de cours.

Tu rougis légèrement lorsqu’elle t’attrape le menton, plongeant son regard dans le tiens. Tu peines à le soutenir d’ailleurs. Son regard. A deux doigts de lâcher un « ça va un peu trop vite entre nous non ? » Tu restes impassible tant bien que mal. Pas assez crispé pour qu’on le remarque, mais pas assez détendu pour sourire. Juste complètement perdu par la situation que t’es en train de subir.

Je me dévergonde ? Pourquoi ? J’ai rien fait pourtant. Désolé si c’est le cas…

T’arrives à le dire sans bredouiller, ce qui est un exploit déjà. Et puis tu prends ton air penné, franchement triste d’avoir provoqué cette gêne. La culpabilité s’empare à nouveau de ton corps. Elle aussi elle te colle à la peau d’ailleurs. Elle t’a jamais quitté, toujours à tes côtés, de jour comme de nuit.

C’est un peu la sœur que tu n’as jamais laissé tomber. C’est un peu celle que tu n’as jamais abandonné. Alors tu prends sur toi et t’acceptes ton sort, résigné. Comme si de rien était, affichant fièrement ce sourire qui te définit. Ce sourire si hypocrite. Ce sourire qui crie à l’aide.

Pourquoi pas, j’ai soif aussi et puis avec mon pouvoir en une seconde ce sera fait.

Et puis ça te permettait de t’échapper un moment. Même si c’est qu’une seconde, ça reste une seconde de répit. C’est pas rien. Pour une fois tu maudissais ton pouvoir, si t’avais eu n’importe quoi d’autres t’aurais pu faire durer ta pause, mais là t’étais coincé. Tu feras avec, pas le choix.

Même si t’avais tendance à être trop sympa. T’étais pas non arrivée au stade du larbin. Pour ça que sans utiliser son pouvoir Arsene t’a pas encore piétiné. T’avais gardé un semblant de dignité bien au fond de toi, un reste de ton statut de président sûrement. Même si t’avais toujours tendance à te plier en quatre pour les autres.

Mais c’était pas sa journée. Lucrecia avait passé une salle soirée, c’est le moins qu’on puisse dire. Alors tu lui faisais ce cadeau, d’autant plus que t’étais sérieux. Après avoir enchaîné les discours de remises de prix, t’avais pas encore eu l’occasion de boire quelque chose. T’avais la gorge sèche.

T’attrapes deux verres de cocktail sur une table de buffet, qui vont disparaitre aussi vite qu’ils sont venus. En un éclair, plus de verres. Un battement de cils plus tard t’es à nouveau assis à côté d’elle dans le sable. Tu lui tends le verre avant de t’installer, mimant une révérence.

J’espère que ce modeste présent sera à la hauteur des goûts de sa majesté ?


Tu reprends ta place à côté d’elle, après ton petit moment humour. T’essayais tant bien que mal de détendre l’atmosphère et de lui changer les idées, c’est le moins qu’on puisse dire. T’y mettais clairement du tiens là.

Et sinon, je peux savoir pourquoi tu te moques de moi ? J’ai un truc coincé entre les dents ?

Autant t’étais naïf et gentil. Autant t’aimerais pas trop passer pour un idiot. Donc plus tôt t’es au courant de la boulette, moins t’as de risque de la refaire.

Pas la peine de lui dire deux fois pour qu’elle prenne ses aises. Pour qu’elle fasse sa reine. Tu leurs donnes la main ils te prennent le bras. Et toi t’es content qu’elle soit heureuse d’avoir de quoi se désaltérer.

Tu vides également ton verre d’une seule traite. T’avais la gorge sèche depuis le discours. Tu sens l’alcool descendre le long de ta gorge. Trop tard. Pas terrible l’idée du cul sec avec un cocktail alcoolisé Sacha. Heureusement qu’il te faut plus d’un verre sinon t’étais finis pour le reste de la soirée.

Tu fais comme si de rien était, alors que tu ressens très clairement l’alcool s’emparer de tes narines. Cette bouffée d’air aromatisée au rhum vient te rappeler ton erreur. Pour ne pas y penser, t’attrapes ton portable pour chercher la définition du mot. Forcément une nouvelle connerie de ta part. Ça t’apprendra à lancer des mots dans une langue étrangère que tu ne maîtrises pas.

Tu rougis entièrement. Ton visage s’embrase et devient pourpre à mesure que tu lis la traduction. Tu fais de ton mieux pour garder ton calme mais là aussi t’échoue lamentablement.

Non mais… C’est pas ce que tu crois… Je pensais pas… Je voulais pas dire ça Lucrecia ! Enfin. C’est pas comme si je le pensais pas. Sinon j’aurai voté pour quelqu’un d’autre. Mais… ‘Fin. Tu vois. Je l’aurai pas dit comme ça !

Après un tel bégaiement même le président au fond de toi ne pouvait plus rien faire pour te sauver. Tu venais de couler ta pauvre petite barque qui avait déjà dû mal à flotter sur ces eaux agitées.

Tu sautes sur l’occasion quand elle te demande à bouffer. Disparaissant en un éclair. Sans même attendre la fin de sa phrase, tu t’éclipses. Faisant une pause pour te foutre de l’eau sur le visage. Histoire de récupérer un peu tes esprits et faire disparaitre ce stupide visage rouge et ce regard de chien perdu.

Deux petites gifles pour se remettre les idées en place et t’y retournes. T’attrapes quelques tapas le long du buffet avant de retourner la voir. Réapparaissant à côté d’elle comme si de rien était, comme s’il ne s’était absolument rien passé. T’es totalement dans le déni d’ailleurs.

Tiens, j’ai pris ce que j’ai trouvé.

Il lui tend les tapas avant de se rasseoir en silence. Droit et essayant d’être aussi fier que possible. Histoire de. Au moins on garde la face pas vraie ?

Bon on peut arrêter de me prendre pour ton petit toutou maintenant pas vrai Lu’ ? Je veux bien te rendre service mais n’essaye pas d’abuser. Ne fais pas ton Arsene s’il-te-plaît.

C’était même pas une insulte à tes yeux. Bien au contraire, puisqu’au fond, tu l’aimais bien lui aussi. Mais tu voulais pas qu’elle devienne une simple copie de ce mec. Elle avait des qualités qui lui étaient propres. Elle était quelqu’un de bien au fond. Suffisait qu’elle aussi arrête de jouer son rôle. Pour être franc, faudrait que vous tous arrêtiez de jouer votre stupide rôle à la con dans cette école.

Tu sais pas si c’est à cause de l’alcool ou simplement parce que t’es naturellement paumé. Mais la situation t’échappe de plus en plus. T’as probablement dû te prendre un mur dans la tronche tout à l’heure, en traçant pour récupérer des tapas. T’es tombé dans les paumes et tu divagues complètement. Oui c’est ça, y’a pas d’autres explications logiques sinon.

Tu commences à en être persuadé quand tu sens ses doigts frôler ta peau. Défiler le long de ta joue. Quoique les sensations te semblent un peu trop réel pour juste être un de tes délires. Non Impossible. C’est forcément irréel.

Pendant que tu t’enfonces dans le déni, ses doigts continuent de s’approprier ton visage. Et tu restes étonnement calme. Enfin calme est un bien grand mot, c’est à peine si t’oses bouger à vrai dire.

Et là. Elle te provoque. Elle te test. Et toi, tu vois ça comme un défi. Foutu alcool d’ailleurs. Mais les défis, pas moyen que tu perdes. C’est comme une course sur le terrain de sport. Dans aucun univers, dans aucune dimension, tu ne perds une course. Pas plus que tu te défiles. Pas moyen. Impossible.

Parce que tu penses pouvoir m’attraper Lu’ ?

Penchant la tête sur le côté, une flamme dans les yeux et un visage beaucoup trop sérieux pour l’occasion. Avec tout ce qui est en train de se passer. Tu la dévisages avec un sourire, tu la provoques un peu.

Essaye un peu pour voir.

C’était peut-être pas le verre de trop. Mais c’était suffisant pour t’enflammer pour rien. T’es partis si loin, que personne ne peut te rattraper à présent. Pas même toi. Après comme on dit, perdu pour perdu. Pas vrai ? J’espère juste que la chute sera pas trop dure et douloureuse pour toi.

Tu sais pas vraiment à quoi tu joues toi-même. Un peu paumé, carrément même. Voir totalement. Tu sais juste que ton esprit de compétition à la con s’est réveillé au pire moment possible. Comme souvent d’ailleurs, c’est rarement dans les bons moments qu’il fait son apparition.

Tu le comprends trop tard ça. Bien trop tard. Quand elle rapproche son visage du tiens. Quand elle frôle ses lèvres. Quand tu sens son souffle si proche de ton visage. C’était déjà trop tard.

T’avais pas beaucoup d’options. Une partie de toi voulait fuir très loin et abandonner totalement. Mais c’était impossible pour toi. Il te restait un tout petit peu de fierté au fond. Assez pour pas baisser complètement la tête. Assez pour pas te laisser marcher dessus. Et s’il y avait bien une chose dont t’étais sûr dans ce monde. C’est que t’étais le mec le plus chelou et surtout le plus rapide de ce monde de creeps.

Elle pouvait pas te prendre pas surprise. Quoi qu’elle fasse, tu la verrais venir, tu pourrais esquiver sa tentative facilement. Comme si de rien était. Les autres semblaient si lent à tes yeux. Alors, pris d’une confiance nouvelle, la seule confiance que t’avais jamais eu dans ta vie, vis-à-vis de ton pouvoir. Tu décides de tenter le coup.

Tu soutiens son regard. Tu bouges pas d’un pouce. T’es étrangement serein. Comme si au final, tout allait bien.

C’est drôle que tu dises ça, je perds rarement tu sais.

Dans les jeux ? C’est le cas. Pour tout ce qui est compétitif tu t’en sors facilement. Dans la vie ? C’est plus compliqué. Là t’as déjà plus de mal. C’est même assez rare de te voir gagner dans ce domaine-là. Mais bon, on ne peut pas tout avoir.