Sale journée. Vraiment, la gueule de bois au réveil. L’arrivée en retard à mon propre cours qui la fout mal. Ces abrutis d’étudiants qui ne captent rien du tout. Vraiment j’étais pas aidé aujourd’hui. J’étais bien content que les cours se terminent. Libérés, délivrés, de mes obligations. Enfin. Après toutes ces heures de perdues. C’est une forme légale de torture ça non ? Une sorte d’esclavagisme moderne ou je ne sais quoi.  

Le bon sens voudrait que j’aille me poser chez moi, que je décède dans un coin et que je finisse de décuver de la veille. Manque de bol, y’en avait pas beaucoup du bon sens chez moi. J’avais retourné l’appart sans rien trouver en partant ce matin à travers mon portail. Vraiment c’est pas de chance. Tant pis, je vais devoir improviser.

Un domaine dans lequel je brille bien plus. Ma vie n’était qu’une succession d’improvisation. Je n’ai jamais rien organisé ou prévu. Pas à un seul moment je n’ai réfléchi à mon avenir. Un jour je me suis retrouvé prof et puis voilà. J’ai pris ce qui passait dans le coin. Tout simplement. Pas de conneries de prédestinations, de vocations ou de passions. Non rien de tout ça. Rien qu’une simplicité déconcertante. Une simple vérité.

J’aurai pu aller à ma planque. Mon bar un peu underground que je squatte en temps normal, mais là j’avais la flemme, j’étais éclaté. Je voulais juste me poser et vider des verres sans prise de tête. En plus celui-là était plus proche de l’école. C’était tout bénef. Vous allez me dire ça change quoi à partir du moment où je me déplace. Ce à quoi je réponds basiquement : j’ai la flemme c’est tout. Et je vous emmerde, mais en tout amitié.

Je passe la porte fièrement, j’arrive en terrain conquis. Avec une solide réputation derrière moi dans tous les bars de la ville. J’étais un peu la terreur des barmans et le cauchemar des videurs. Tout sourire, tel un coq qui se pavane dans son élément, j’en profite pour m’imprégner de ma gloire. A défaut d’être considéré comme un simple déchet dans le bahut, ici j’étais le roi des déchets. Rien qu’un mot suffit à tout changer. Tout de suite ça devient plus classe non ?

Je m’avance avec un objectif bien défini en tête. Le comptoir. Je suis là pour vider ses réserves pas pour faire le beau à l’entré. Mon regard se pose vers ma target. La zone de tous les plaisirs, le comptoir où le barman garde farouchement sa réserve. Réserve que moi, l’envahisseur, a bien l’intention de piller ce soir.

Mais attendez. Une minute. On arrête tout. Je reconnais le mec à moitié en agonie sur la talanquère. Si c’est pas ce bon vieux Constantin. Sacrée surprise que de le voir là. Quoi qu’en y repensant vraiment. M’enfin ça reste une agréable surprise tout de même. Un des rares profs qui était sympa à mes yeux. Les autres étaient soient chelous soient complètement creepy.

Je m’installe à côté de lui, je n’ai même pas le temps d’ouvrir ma bouche qu’il me reconnait immédiatement. Sacré poto, il avait l’œil.

Hey Mister O’neil. T’as pas l’air en forme ça va ?

Je passe mon bras par-dessus son épaule.

Tu peux tout me dire t’inquiète. Ton bro Gabi est là. Alors, tu t’es pris un râteau c’est ça ? Je sais c’est dur, je t’aurai bien dit je comprends mais ça serait un mensonge.

J’en profite pour commander deux verres de rhum. Une discussion du style avait plus de saveur avec un verre entre les doigts.

Tiens je t’invite pour le coup.

Je descends mon verre cul-sec. La chaleur envahi ma gorge. Quel bonheur, ce coup de fouet, c’était justement tout ce dont j’avais besoin.

Alors ? Du coup cette salle journée tu me racontes ?

Une journée banale quoi. Bon, je m’attendais pas à ce qu’il me révèle le scoop de l’année, mais tout de même. C’est plus fun dans le cas du scoop.

J’en profite pour commander un nouveau verre en écoutant son histoire, c’est que toute cette routine me donne soif. A défaut de me déprimer elle me rend alcoolique. C’est peut-être la même chose au final.

Ecoute, ici c’est la même. Une journée classique. Une gueule de bois. Des élèves qui captent rien. Les esquives de l’administration pour pas me faire engueuler une fois de plus. Un lundi comme un autre.

C’est vrai que je commençais à avoir l’habitude à force. C’était récurrent maintenant, même pour les autres. On commençait à me connaître. Et je commençais à prendre mes marques. Faut dire aussi que je l’aurai fait quoi qu’il arrive.

Bref.

Je suis pas là pour parler d’un lundi classique et chiant. On est pas là pour se morfondre dans cette routine ennuyante à crever. Heureusement, j’étais là. L’ambianceur numéro un de l’île. Le gars sûr pour trouver une occupation en totale impro.

De toute façon on est pas là pour ça O’Neil, pas vrai ?

En vrai, on était là pour rien du tout. On s’était trouvé par hasard et on avait rien prévu. Mais c’est un détail ça.

Que dirais-tu de pimenter cette soirée par un petit challenge. Entre toi et moi. Le premier qui cale « boloss » dans son cours paye sa prochaine tournée.


Pour d’autres c’était un jeu puéril. Pour moi c‘était un moyen de tuer le temps. De changer mon quotidien. Et c’était plus drôle comme ça. Les élèves ont tendance à trop se sentir chouchoutés par les autres profs. Pas avec moi. Je suis pas un monstre après. Je fais ça pour les bouger, pour qu’ils se remuent et qu’ils apprennent à contrôler leur capacité avant de se barrer de mon cours.

Si tu préfères dire un autre mot ou si t’as une idée brillante hésite pas.

Je le regarde avec un sourire. En général il est aussi ennuyé que moi. Il vit une sorte d’état d’ennui permanent. Sûrement pour ça qu’on s’entend si bien.

Il a l’air chaud. Normal. Si c’était pas le cas, même pas je lui adresse la parole de toute façon. Alors le fait qu’il en rajoute derrière, c’est ça qu’on veut. Là on parle. Pas pour rien que ce mec est un pote. Au moins je peux lui faire confiance à O’Neil. C’est un peu mon gars sûr dans ce trou à merde qui nous sert d’île paradisiaque.

Pour moi c’est surtout un endroit de débauche, mais c’est qu’un détail. Au final, île pas île. Prison en taille réelle ou barreaux aux fenêtres. Autant avoir encore le choix de se bourrer la gueule. Quitte à choisir. Je préfère encore garder ma vie tranquille.

Sans déc t’as déjà lâché un bon gros boloss à tes élèves ? Tu me fumes si t'es sérieux.

Je lui passe le bras par-dessus son épaule en bon bro que je suis, avant de recommander un verre, la base.

Bah après je te comprends j’ai de sacré ksos aussi. Le plus dur c’est pas de les insulter, c’est de pas le faire trop souvent.

Je laisse mon rire prendre le dessus sur le bordel ambiant. Des bonnes barres ces soirées entre collègue.

Ohoh, t’avais mon attention Mister O’Neil, maintenant t’as mon intérêt. Carrément chaud pour se faire une liste.

Mon esprit vicié avait déjà une multitude de mots à la con qui me venait en tête. Quel prof tout de même.

Tu préfères des insultes ou des mots complexes à la con ? Bah j’ai les deux dans le doute et toi tu me dis. Pour une insulte on part sur du classique « Ta mère ». Plus trop d’actualité mais qui fait toujours son effet, pas simple à placer en plus donc on passe la barre plus haut. Et pour le mot complexe, tu penses quoi de « dystopie », franchement ça c’est pas commun.

Je redescends mon verre cul sec. Chaud bouillant maintenant qu’il m’a lancé. Le pire, c’est que je peux tenir comme ça toute la nuit. Cours ou pas demain. Quelle vie. La vie de rêve. Que demander de plus ? Me taper la dirlo ? Too soon.

Ouais, faut dire qu’on est pas aidé. Les boulets qui nous servent d’élèves sont vraiment des cas. Mais c’est pour ça qu’on les apprécie. Enfin, je crois ? Disons qu’on se ferait chier si c’était tous des petits bons élèves, tous assis dans un coin, à lever fébrilement la main pour prendre la parole. Alors c’est peut-être pas si mal. N’empêche, qu’est-ce qu’ils sont cons pour certains.

En tout cas, mon pote a l’air confiant. C’est bien, j’espérais pas lui faire peur avec deux ou trois mots à la con. Sinon c’est moi qui serait déçu.

Tu sais à qui tu parles là ? Tu penses sincèrement que je vais galérer à placer ce genre de mots ? Même pas je lâche une goûte de sueur.

Bien sûr. Il parle au meilleur de l’île. Le fou furieux numéro 1, alcoolique notoire détenant le nombre d’avertissement le plus élevé. C’était pas n’importe quel random qu’il avait en face de lui. C’était moi, el numéro uno. Gabriel Silva, la terreur de l’administration et le cauchemar des bars.

Par contre la suite je l’avais pas vue venir bordel. Il parvient à m’arracher un haussement de sourcil le con. D’où il sort cette idée de merde. Aucune idée. Mais j’adore putain.

Naruto carrément. Je sais pas d’où te viens cette idée mais parfait. Un classique pour toi l’ancien, c’est noté.

Je reste pensif un moment. Il est temps de relever la barre. On déconne plus maintenant. On va commencer à balancer du vrai. De bons mots ou phrases bien galère. On est là pour ça après tout.

Ok, écoute ça. Balance une citation de Madonna, n’importe laquelle. Et en prime tu rajoutes une parole de Maître Gims dans le tas. Faut qu’on vende du rêve mec. C’est le moment où jamais.


Maintenant on parle. On rentre dans le vif du sujet comme on dit. On va faire rêver les gamins comme jaja.

Tu veux un enjeu ? Franchement la seule chose que je veux sur cette île je pense pas que tu puisses me la donner. Mais on va tenter quand même. Le perdant rend service au gagnant. Par exemple dans mon cas si je gagne, faut que tu m’arranges un date avec Mia.

Je lui donne une tape sur l’épaule comme pour lui souhaiter bonne chance. Si je gagne mon petit O’Neil, t’es dans la merde fréro.