par avance

il est 18h27. vendredi après-midi. c’est l’explosion de la ville. le défilé des voitures qui filent sur la route. les travailleurs pressés qui quittent leur travail pour retrouver leur famille. les magasins qui ferment les grilles pour laisser place aux bars et aux restaurants.
c’est d’un bar, d’ailleurs, dont sort andrea coles, les traits fatigués, les yeux hagards, le regard évidé. l’air frais et les bruits de la rue lui fouette le visage. elle l’avait oublié, après avoir passé bien trois ou quatre heure dans ce bar. oubliant jusqu’à la lumière du jour.

l’agitation du centre-ville lui fout un choc.
ça crie, ça se bouscule. rien ne se tait et tout bouge. à l’exception peut-être des lumières et néons. elle a l’impression que le monde tourne en rond.
mais ce n’est qu’une impression.
la vraie raison, c’est qu’andrea est bien trop ivre pour voir le monde filer droit.

“lyaaaaa…. t’es lent… faut rentrer maintenant…”

elle fait volte-face en direction du bar. elle y retrouve son grand copain au moins aussi torché qu’elle, adossé contre la porte et peinant à faire le moindre pas droit.
comment à picoler à 14h pour être rentré avant le couvre-feu n’était peut-être pas l’idée la plus éblouissante du siècle.
ou alors, pas seule avec ilya.
parce qu’il n’y en a pas un pour rattraper l’autre.

“bouahaha. t’as l’air tellement dans le mal.” elle rit. “écoute… j’ai un super plan ! faut qu’on boive de l’eau parce que là ça va pas du tout. vient on va à la fontaine, et ensuite on rentre et on se couche ok ?”

andrea semble tout de même un peu plus fraîche que le garçon, et arrive, dans un élan de volonté ahurissant, à se déplacer de quelques mètres pour s’approcher d’ilya. elle passe un de ses bras sur ses épaules pour le soutenir. bien décidée à le traîner jusqu’à la fontaine.

“allez, escadron du chaos, en avant ! ça va, tu tiens bien ?”

elle crie avec beaucoup trop d’énergie pour que son corps ivre suive, et manque de se casser la gueule avec 80kg sur le dos.
ils arrivent tout de même à faire quelques pas et à avancer de quelques rues pour sortir de la zone des bars bondés. la fête à rallonge se raconte dans la lenteur de leurs gestes, mais au moins, ils avancent.

“ilyaaa. tu pues l’alcool tu sais. bon, moi aussi. putain j’ai soif. on aurai vraiment dû boire un verre d’eau entre les autres verres…oups.”

ils rient ensemble, encore.
ils rient, râlent ou se lamentent. parce que la situation l’exige. parce que l’alcool, la joie, l’adrénaline bousillent leurs derniers neurones, et qu’à deux, ils ne doivent pas en avoir plus de cinq.
et parce qu’ils auraient pu deviner la fin de la soirée par avance.
comme d’habitude.

par avance

c’est qu’il est lourd, quand même, ilya. et grand. la masse n’est donc pas concentrée sur une petite surface, mais bien sur 1m85 de hauteur. ce qui fait quand même pile 30cm d’écart avec les 1m54 d’andrea. mais bon, on est là.
un pas après l’autre, le centre de gravité le plus bas possible.
solide sur les appuis.
on essaye.

“hein ?”

ça y est, ilya a réussit à baragouiner quelque chose d’audible par rapport à tout à l’heure. par contre, ça va vite, et surtout, andrea n’est pas sûre que ça ait le moindre sens.

“y’a de l’air dans l’eau ?? je savais pas !!”

en fait, ilya avait dit l’inverse. qu’il y avait de l’eau dans l’air. mais premièrement, andrea est tout aussi bourrée, et deuxièmement, elle est absolument nulle en chimie pour connaître la composition de l’un ou l’autre des éléments.

“par contre, pour les plantes euuh… j’crois elles boivent pas le soleil ? il me semble que tu confonds avec la phytosynthèse bro.”

elle se sent un peu fière d’avoir utilisé un mot de plus de trois syllabes qui ne fait pas parti du champ lexical de la photographie. c’est assez rare pour le souligner, et andrea se sent super intelligente.

“je crois elles boivent par leurs racines ! les nutriments dans la terre tu sais. y’a de l’eau, dans la terre, non ? il nous faudrait des racines du coup ! par contre, on pourrait pas bouger, parce qu’on serait… enraciné du coup…”

ça, elle le savait. elle avait, le week-end dernier, rattraper le cours de bio qu’elle avait sécher pour chasser le kakapo avec lohan. elle pouvait remercier lily-rose qui lui avait gentiment filé ses notes.
elle repense au schéma de la plante, aux différentes flèches vers le sol et l’air. ça n’avait pas été un week-end super fun. mais bon, il fallait qu’elle se remette à bosser un peu plus sérieusement, elle avait un peu perdu de sa motivation depuis quelques temps.

dans leur périple vers la fontaine, ilya se met soudainement à faire un mouvement un peu étrange, comme transcendé par une idée fulgurante. le problème, c’est que ce mouvement aléatoire manque de lui faire perdre l’équilibre, à lui tout comme à andrea qui le soutient comme elle peut. cette dernière sent que ses jambes la lâchent, et décide dans un réflexe de survie de laisser ilya glisser de son épaule jusqu’au sol, sans trop comprendre ce qu’il se passe réellement.
par chance, ce dernier se rattrape à une poubelle jusqu’à côté d’eux. andrea ne comprends pas trop pourquoi il s’y penche soudainement, mais décide de ne pas juger les mœurs de son grand copain.
et puis, elle entends le bruit.
et elle comprends.

“noooon ilya…nooon.”

pas aujourd'hui. pas maintenant. pas après tout ce qu'il a fait.
tout mais pas ça.
elle a envie de pleurer.
gérer ilya bourré, c’est ok et c’est fun. gérer ilya qui vomit, c’est pas fun et ça sent mauvais.
elle a envie de rire, aussi.
parce que le voir la tête la première dans la poubelle, ça la fait bien marrer.
elle prends donc une photo sur son portable, en souvenir.

“bon… comme je suis une pote super sympa, je vais pas te laisser dans ta poubelle. par contre je te porte plus c’est mort. donc je te traînerai, j’espère que t’es consentent.”

pas sûr qu’il soit capable de lui fournir une réponse, dans son état.
andrea s’approche de lui, l’attrape par le col de son t-shirt et le tire de la poubelle d’un coup sec. le voilà par terre. elle chope alors son bras pour le traîner jusqu’à la fontaine s’il faut.

“allez zhouuuuu.”

c’est pas facile tout les jours d’être jeune.

par avance

un éclair d’intelligence semble traverser l’esprit d’ilya. il se rappelle de quelque chose. ça se lit dans ses yeux. andrea hausse un sourcil, avant d’entendre ce mot qu’il répète en boucle en gémissant.
ah oui, c’est vrai, il y a le paintball demain. andrea affiche un sourire mi amusé, mi nerveux. ça la fait rire de se retrouver dans une telle situation la veille de l’événement. elle espère de tout coeur être fraîche pour demain 9h, mais n’y croit pas trop. mais plutôt que de céder à la panique et à se lamenter, elle préfère en rire.
ça va être fun.
et compliqué.
mais fun.

“t’inquiète pas mon chat, il est même pas 19h et ton paintball c’est à midi. tu auras le temps de dormir 12h s’il le faut ! On sera en forme demain, j’te promet !”

elle ne mentionne pas le fait que son groupe est le matin. elle n’a aucune envie qu’ilya se sente coupable et continue de pleurer.
Malheureusement pour elle, il s’en rappelle. il va falloir inventer une excuse convaincante pour le rassurer.

“je répète, il est 19h. et t’inquiète, je suis déjà allée en examen torchée et j’ai réussi !!! je suis une warrior, t’inquiète pas pour moi.”

l’histoire est vraie. ou à moitié vraie. pour être honnête, andrea est trop bourrée pour s’en rappeler précisément. mais elle y croit, alors c’est ce qui compte.
ilya continue sa tirade dramatique, quand une nouvelle idée semble lui traverser l’esprit. le voilà qui se lève en vitesse, tangue à cause de l’alcool, mais finit par rester debout. andrea ne comprend absolument pas ce qu’il se passe, mais est très curieuse quant au dénouement de cette action.
ah !
l’eau !
ça y est, ilya a compris le plan d’origine !
victoire !

“c’est parti !!!”

et les voilà qui partent enfin en direction de la fontaine. ce n’est nullement l’idée du siècle, c’est même une très mauvaise idée mais… il leur faut de l’eau. impérativement. tant pis pour l’honneur et l’égo, ce sera celle de la fontaine.
puisqu’ils sont étrangement motivés, ils arrivent à traverser les rues et la place plutôt rapidement. enfin, plutôt rapidement pour des types complètement torchés à 7h du soir. tout est relatif.

"fontaine en vue !! le premier arrivé à gagner !”

et voilà qu’elle part en courant pour se jetter à l’eau. sans se soucier des passants qui les dévisagent.
c’est une question de survie.

par avance

andrea est partie bien avant ilya dans sa course vers la fontaine. de toute façon, le temps que ça percute au cerveau du jeune homme, ça risque de prendre un peu de temps, vu son état complètement alcoolisé. cependant, ilya fait 1m85, et à, par conséquent, des grandes jambes. andrea, elle, ne fait qu’1m54, et des jambes proportionnelles à sa taille.
elle se fait donc vite rattraper.
c’est qu’il est rapide, même ivre, le bougre.

il lui crie de revenir, mais andrea n’écoute pas. continue de gambader en riant, évitant plus ou moins les passants et les obstacles ruraux. les regards par contre, impossible de les éviter, mais elle ne remarque même pas les quelques personnes qui se retournent, surprises ou méprisantes.
tout ce qui l’importe, c’est d’attendre la fontaine avant son pote.
pote qui, après quelques foulées,  ne manque pas de la rattraper. elle tend sa voix juste derrière elle, de plus en plus forte. d’après l’effet doppler, c’est qu’il est tout prêt.
pote qui, telle une course de relais, l’attrape pour la chopper. c’est qu’en plus d’avoir de longues jambes, il a des longs bras.
pote qui, maladroit comme il est, trébuche et chute.

sauf qu’il l’entraîne dans sa chute.

les voilà tous les deux dans le fond de la fontaine. sur le dos ou à genoux complètement trempés.
et toujours aussi torchés.

“ilya on a trouvé la source !!! on est sauvé !”

elle éclate de rire encore, forçant les derniers passants à se retourner. mais elle n’en a que faire. elle éclabousse joyeusement ilya pour jouer, tout en riant.
puis, elle se laisse tomber en arrière. l’eau enveloppe sa tête et son corps. elle barbotte, ravie de se rafraîchir un peu. c’est agréable.

“ça fait du bien en vrai. surtout avec cette chaleur de juillet… j’me sens comme un poisson dans l’eau… ou une grenouille… ou un crapaud...”

laa dernière option colle un peu plus à la situation, vu la profondeur faible de la fontaîne.
dans tous les cas, il ne faudra pas rester longtemps, elle a un peu la flemme de se faire récupérer par la police locale mais… ils verront bien plus tard.
elle boit un peu d’eau, pour se rafraîchir et se sauver de la gueule de bois de demain matin.

“oublie pas de boire !! comme ça demain on sera FRAIS.”

en théorie.