T'es trop déprimé en ce moment, sur les nerfs constamment. Et ce connard de Noah qui s'en mêle, à venir te taper la discute comme si de rien n'était.
T'évite tout le monde du coup - comme ça c'est plus pratique. Tu erres dans les couloirs avec tes cernes et ta mauvaise humeur, slalomes entre les gens pour éviter de les cramer sur place, alors que les flammes te brulent les doigts en continu.

Assis sur le rebord d'une fenêtre, tu as ton casque sur les oreilles. La musique classique te fait du bien, t'apaises dans tes moments de colère. Tu sors un livre quand un poids s'affaisse sur tes épaules. Tu en fais ton tomber ton casque et la voix de Sylvestre parvient à tes oreilles.

— « ... Sylv ? »

Tu fronces les sourcils, étourdi par ses questions et son enthousiasme toujours prononcé. Ton coeur bat fort dans ta poitrine. Tu plisses les yeux et secoues la tête pour répondre négativement.

— « Nan. Aaaargh mais lâche-moi tu me donnes chaud ! »

Tu détournes un peu le regard en rougissant, la laissant tout de même faire. T'es lâche Ezra, surtout un profiteur alors qu'une des plus belles filles de l'école s'amuse à te caresser le visage.

— « Du baseball ? Oh non mais tu vas pas t'y mettre toi aussi. J'ai assez des professeurs et des meufs de l'hôpital pour me rabâcher de faire du sport. »

Tu redresses ton bras droit, le plies de manière à mettre en avant ton biceps.

— « Je suis si sec que ça ? Je préfère la musculation ou l'escalade. Des sports solo. Flemme de devoir rentrer dans une équipe. »

De devoir me confronter aux autres.

Tu fronces les sourcils. Tu n'aimes pas trop quand Sylvestre tente de s'effacer pour te faire plaisir. Tu secoues la tête de droite à gauche dans un râle de désapprobation. Pourquoi est-ce qu'elle est aussi enjouée d'ailleurs ? C'est pas ton anniversaire, pas le sien non plus. Elle ne peut pas te laisser déprimer en paix, c'est trop demandé ?
Pour en revenir au match...

— « Tu fais parti de l'équipe, pourquoi est-ce que tu viendrai m'encourager si je joue ? On joue et c'est tout, non ? Ensemble je veux dire, sur le terrain. »

Tu feras pas plus d'efforts, esquivant habilement la question sur l'hôpital. T'en as déjà trop dit et tu veux pas en parler. Surtout pas l'inquiéter - t'es lâche Ezra quand il s'agit d'aborder les sujets qui fâchent.

— « Ecoute... Excuse-moi. J'avais la tête ailleurs en ce moment. Besoin d'être seul. »

Mais la dernière phrase est à peine audible, car tu l'as murmuré pour toi-même. Tu doutes même qu'elle t'ait entendu vu tout le raffut qu'elle fout dans le couloir. Quand elle te force à te mettre debout, et t'entraines dehors tu te laisses faire presque résigné. Tu sais que rien pourra l'arrêter et c'est un peu décontenancé que tu observes le pic-nique improvisé.

— « Mais... c'est quoi ça. »

Tu portes une main à ta bouche, gêné.

— « T'es complètement folle. Pourquoi tout ce cirque ?! J'ai raté quelque chose d'important c'est ça ? »

Tu restes bête et immobile, les deux pieds plantés dans l'herbe.

— « T'es vraiment dans l'excès. »

C'est dur de la suivre parfois. Tu te contentes de lire sur ses lèvres, Ezra, fatigué par ce débit de parole qui va beaucoup trop vite pour que tes synapses se connectent entre elles. Souffles un peu par le nez quand elle te demande si t'aimes les pique-niques. Qu'est-ce que tu en sais d'abord ?
Casses l'ambiance quand tu articules.

— « Mes parents en organisaient souvent dans le champ, derrière le jardin, le dimanche. »

Les dimanches ici sont plus amers et tu serres les dents quand tu penses à eux. Putain, t'as pas de nouvelles depuis que t'es arrivé dans cette ile de merde. C'est devenu épuisant de prétendre ne plus être en colère. T'as la rage Ezra.
Haine qui se mue en désir de vengeance vicieux quand elle aborde très vaguement le téléphone, tu reconnais le prénom de son frère.

— « Qu'est-ce qu'il t'a fait ce fils de pute ? »

Tu n'as plus de filtre, et tes yeux insistent pour qu'elle te donne la réponse. N'apprécies pas du tout qu'elle change de sujet mais n'a pas suffisamment de conviction pour lui imposer d'en parler. Tu te montres tout de même agacé, Ezra, de sa capacité à constamment sourire face à ses malheurs.

Tu ouvres la bouche dans un reflexe pour accueillir la nourriture et la question te prend de court, tu manques de t'étouffer.

— « Dskddsdf- quoi ? »

Essaies de percuter, de réfléchir.

— « Je... Je lis ... pas. Pas en ce moment, désolé. »

Tu voles un sandwich pour qu'elle te laisse tranquille, hausses un sourcil, exaspéré.

— « Je suppose que si tu me poses la question c'est parce que tu lis un livre, toi. »

Tu l'écoutes attentivement - parce que quand Sylvestre cesse de parler c'est qu'il y a un problème. C'est dans son silence inhabituel que tu t'inquiètes et daignes planter tes yeux dans les siens. Tu ne lui laisses aucune échappatoire, toi d'habitude si lâche dès que ça concerne les problèmes et les conflits. Là, tu veux savoir et tu ne rateras aucun détail. Tu affrontes son terrible récit, serrant les poings sur la petite nappe étalée sur la pelouse. Parfois, l'iris bifurque de gauche à droite, balaie le paysage pour vérifier que personne ne s'attarde sur vous. Tu ne veux pas attirer l'attention, Ezra. Tu as déjà assez de problèmes comme ça.

— « Je vais le tuer, je vais l'atomiser. Je déteste ces connards de populaires ! »

T'as la haine, Ezra, la haine la haine la haine qu'on touche à une de tes rares amies. Pourquoi est-ce que les rois et reines de l'école se pensent tout permis ? Ont-ils une idée ne serait-ce de ce qui pourrait leur attendre si l'école entière décidait de les destituer de leurs trônes volés ?

— « Il ose alors que tu... ça me rend malade. »

Tu rougis légèrement en la regardant, en imaginant la prendre dans tes bras pour la consoler puis te laisses tomber vers l'arrière. Tu fixes le ciel, les nuages ont des formes bizarres.

— « Il te mérite pas, personne te mérite en fait. Et du coup t'as plus de téléphone c'est ça ? Enfin, à ce que tu m'as dit t'en avais plusieurs de rechange. Après comme tu m'en as filé un la dernière fois je ne sais plus. Je peux te le rendre si tu as besoin. »

Tu te redresses et le sors de ta poche. Il y avait eu un petit incident, une fois. Dans une crise de colère, tu avais mis le feu à l'appareil et l'avais donc instantanément cassé.
La haine remonte, rien que d'y penser. C'est comme une vague, qui te submerge et te noie. Tu te lèves brusquement, t'as à la fois envie de tout casser autour de toi, de tout ravager (de faire mal), et de te battre (à t'en casser les poings).

Heureusement qu'elle est là putain, parce que t'étais à deux doigts de foutre le feu au bahut. Dans ces moments là t'es submergé par la colère et même la peur des conséquences ne suffit à t'arrêter. Il n'y a que ses mains, chaudes et réconfortantes, qui s'enroulent autour de toi pour t'apaiser. A ses mots, tu fermes les yeux, pris d'un spasme et d'un sanglot. Tu renifles et finalement tu t'abaisses à pleurer dans ses bras, silencieux et pudique. Tu ne veux pas qu'elle te voit comme ça parce c'est toi qui est censé la protéger de tout ces malheurs - et pas l'inverse.
Tu te débectes de tout ramener à toi quand Sylvestre passe déjà le plus clair de son temps à se soucier de ton bien-être plutôt que de tout ce qui lui arrive.

— « Sylv.. je suis fatigué. Fatigué d'essayer, fatigué d'exister. »

Tu cales ton visage sur son épaule, alors que timidement tu passes tes bras dans son dos pour la serrer contre toi. Que vont penser les autres dans la cour à vous voir ainsi ? Tu t'en branles, tu les laisseras pas te prendre la seule qu'il te reste.

— « Je perds tout. Le contrôle, mes amis. »

Tu penses pour toi même : mon envie de vivre.
Tu te décolles d'elle, les joues rougies par la chaleur de votre étreinte et non par la gêne. Peut-être que tu lui envoies les mauvais signaux mais t'en as aucune idée - pas la lucidité nécessaire pour y remédier. Tu essuies du poing une larme échoué au coin des yeux.

— « Merci. J'aurai pu faire une connerie. »

Tu souffles pour évacuer, pour reprendre une certaine stabilité dans ta posture. Murmures un peu honteux.

— « Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi qui ne risque pas de t'attirer des ennuis ? »

La chaleur de Sylvestre te maintient en vie, bien que la volonté soit absente ; que tu soupires en continu pour évacuer la frustration. Tu as bien changé Ezra, autrefois véhément et chaotique, tu demeures prisonnier d'une charge mentale trop lourde à (sup)porter.
Il n'y a que les mots doux de ton amie qui apaisent encore les peines les plus dures. Malgré tout, le contact physique reste douloureux. Tu te sens crispé, tendu dans les muscles alors que tu tentes de lui rendre son étreinte sans la blesser.

— « Sylv... Je sais que tu te sens pas obligée de faire tout ça, que tu le fais même de bon coeur mais ça me gêne de ouf. »

Tu baisses les yeux, glisses une main dans son dos pour chatouiller ses longs cheveux. Agites nerveusement des mèches entre tes doigts.

— « Tu ferais mieux de chercher à te faire d'autres amis que moi, je dis ça pour ton bien. Tu deviens la cible des bullys parce que tu traines seule quand t'es pas avec moi. »

Elle niche sa tête dans le creux de ton cou et c'est plus fort que toi, tu te mets à rougir. La proximité avec une fille, ça appelle aux hormones encore en pleine effervescence.

— « Y'a personne à qui tu parles chez les geeks ? »

Tu la prends par les épaules et te détaches d'elle, tout en la maintenant face à toi (à une distance raisonnable pour ton coeur et ton cerveau).

— « Je veux te voir épanouie et pas toujours à perdre le sourire à cause de moi, voilà ce que je veux. »