Vous êtes sortis des couloirs. Si tu t'étais attendu, pendant ton heure de libre (tes heures de livres vu combien tu fuckes les cours), à marcher aux côtés de ton ex, dans la simple idée de courir... Plus vous avancez et plus tu te dis que c'est risible. T'aurais pas du rentrer dans son jeu, ou le suivre. Pas que t'aies peur de perdre mais. Qu'est-ce que tu fous avec lui ?
Ca fait des lustres que vous ne vous calculez plus, que tu le contournes, que vous ne vous adressez plus la parole et maintenant, vous allez faire la course ?
Comme au bon vieux temps. Cette voix qui susurre le passé, tu veux l'écrabouiller dans ta main.
Sacha tu l'as aimé comme jamais tu as aimé personne. Et le spectre des réminiscences n'a su l'oublier, lui, à ton grand dam.
Une fois arrivés au stade, tu lâches machinalement :
- Je sais pas, mes pas m'ont mené jusqu'ici.
T'as pas du tout l'allure d'un sportif. Vêtu de ton t-shirt noir moulant, de tes grosses snipers noires et du pantalon bouffi de la même teinte, on va pas se mentir, tu ressembles à un caid de l'armée ou à un musicien dark. Oh wait, ca te correspond plutôt ça. Alors, c'est certain, tes godasses font clairement pas l'affaire pour courir. D'autant que de ne pas avoir l'allure, tu n'as pas non plus la même endurance qu'un bon sportif. Tout ce que tu as su accomplir de ce côté-ci, c'est ton souffle et ta respiration exemplaire.
Mais t'es même pas rapide. Ca te saoûle. Ca te saoûle parce que tu as dit oui pour l'emmerder, pour être avec lui.
Tu tires une de ces tronches. Visage fermé, paupières mi-closes. Puis tu te grattes l'arrière du crâne et tu marmonnes un vague :
- Euhm... est-ce que c'est une bonne idée en fait ?
Si tu pouvais arrêter maintenant, ca t'éviterait une énième humiliation, ou un souffle court. .. mais comme toujours, Matt, faut que tu marches dans la provocation, t'as pas pu t'en empêcher.
Under the same sky, at the same time, at the same place we’re probably seeing other people We were too young and didn’t understand love. I wish you happiness, Now goodbye goodbye
L’espace d’un instant. Un moment. Tu t’es demandé si c’était une bonne chose. De lui avoir proposé une telle activité. Avec lui. Avec un passage aussi trouble de ton passé. Une pensée que tu as vite balayé de ton esprit. Malgré son caractère exécrable. Matthew restait un type bien. Au fond. C’était pas le seul dans son cas. Il y en avait beaucoup d’autres dans son cas. Des gens comme lui sur cette île, tu en avais rencontré pas mal depuis le temps. Rien qu’à cette idée, plusieurs noms te venaient en tête.
Tu ne pouvais pas te résoudre à les ignorer. Les gens comme ça. C’est tellement plus simple d’éviter de les côtoyer, de ne pas se prendre la tête. Mais pas toi. T’étais pas comme ça. Bien trop bête et naïf pour rester dans ton coin tranquille. Ce stupide esprit de sacrifice à vouloir aider les autres quitte à mourir à petit feu.
Parfois,
T’es vraiment trop con Sacha.
Vous finissez par arriver au stade. Un endroit que tu connais par cœur. Un endroit que tu adorais arpenter auparavant. Avant d’être président. Avant tout ça. T’aimais courir, le seul truc que tu faisais pour toi, égoïstement. Ce moment où t’étais honnête avec toi-même. Ce moment où tu pouvais t’évader. Etre tranquille. Te sentir libre. T’avais pas besoin d’avoir des ailes pour voler. Suffisait de courir. Courir sans t’arrêter. Courir sans lendemain. Juste courir, simplement courir.
Tellement de souvenirs. Tellement d’émotion différentes. Tu sens le passé bien plus présent en cet instant. Revenir au stade. Reparler à Matthew. Tellement de choses qui te semblaient si loin. Tellement de choses que tu ne pensais pas revoir.
Le grand Matthew refuse un défi ? Je ne pensais pas vivre assez longtemps pour voir ça.
Tu te permets un peu d’humour. Tout sourire, au moins pour détendre l’atmosphère. Au moins pour ne pas avoir à te souvenir. Au moins pour ne pas avoir à penser à ce qui était. A ce qui fut. A ce que vous avez vécu.
Si tu préfères faire autre chose, je te laisse choisir sincèrement.
Tu hausserais presque les épaules. Mais tu n’en fis rien. T’étais sincère. Tu voulais pas lui forcer la main. Pour être franc, tu voulais courir. Depuis longtemps déjà. Mais cette envie n’était pas suffisante pour passer outre les autres.
Dans l’attente de sa réponse. Tu laisses ton regard se perdre dans le vague. Tu t’imprègnes à nouveau des lieux. Tu laisses les souvenirs t’envahir à nouveau.
Ca te ramène aussi à un passé plus doux et paradoxalement plus perturbé. Quand tu n'en faisais qu'à ta tête, avec l'intention ferme de tester toutes les limites du Collège. Voler, mentir, sécher, se battre, frapper, baiser, fumer, et t'en passes des meilleures.
Mais avec Sacha, les compétitions à répétition t'avaient lessivé, sur le plan moral. Il avait été trop fort, et toi t'en voulais toujours plus. Peut-être qu'à l'époque, tu nourrissais une forme d'obsession pour lui. Un amour naissant que t'avais juste pas venu venir, que t'avais affublé de simple "crush du moment" ou bien de "passe-temps". Ou d'adrénaline, t'en sais quoi au final ? Que c'était juste de la merde, du faux, du factice, du mensonge. T'avais jamais été autant malhonnête envers toi-même qu'à cette époque-ci, quand tu flirtais déjà avec le blond.
Quand t'y repenses, t'es nostalgique. Tu te masses la ligne de ta machoire, te faisant pensif. Et puis, la provocation tombe ; ton regard en biais s'accroche à lui.
- Rêve pas, on va la refaire cette course.
T'en connaissais déjà l'issue mais t'avais rien à perdre à le faire. Certainement pas une histoire d'ego. Peut-être que retrouver les fantômes du passé t'intéressait plus en cet instant que d'en ressortir gagnant.
Tu le fixes un instant, toujours du coin de l'oeil. Il a l'air aussi plongé dans les réminiscences que toi. Tu souris, dans un bref sarcasme. Hé ouais Sacha ; c'était le temps où les conséquences n'avaient pas autant de poids qu'maintenant. Et tu n'donnais pas cher de votre avenir.
Pour montrer que tu ne souhaitais rien faire d'autre que ce pourquoi vous étiez là, tu prends position sur le départ, même si dans ta manière d'être vêtu, tu n'optimisais en rien tes chances. Peu importe. Tu braves.
- Si je gagne, vous faites comme si j'existais pas au conseil. Et si tu gagnes, je te laisse voir ce qui te ferait plaiz'. Tu soupires intérieurement, c'est comme si tu lui offrais l'opportunité de faire ce qu'il voulait de toi, et ça ne te plaisait pas du tout.
Under the same sky, at the same time, at the same place we’re probably seeing other people We were too young and didn’t understand love. I wish you happiness, Now goodbye goodbye
Il a l’air de galérer avec ses pensées. Presque autant que toi. Tu le vois se masser la tempe. Tu le vois se souvenir. Probablement les mêmes souvenirs qui reviennent tel des flashs. Probablement toute cette histoire. Encore. Qui revient d’un passé qui semble bien loin à présent. D’un passé que vous ne pouvez pas oublier. Peu importe combien vous essayez, il reste collé à votre peau.
Ouais, j’ai dû rêver.
Comme toute cette histoire. Comme votre histoire. C’était tellement plus simple avant. Quand vous étiez des gamins. Il y avait moins de questions, moins d’incompréhension. Moins de tout. Juste le moment présent, juste vivre. C’était peut-être même mieux. Avant quand t’étais plus toi-même.
Mais c’était trop tard. Le temps était passé, vous aviez changé. T’avais changé. Tu t’étais mis à tout donner pour les autres. T’étais pleins de questions maintenant. Pleins d’incertitudes. T’étais encore plus perdu qu’à l’époque.
Et puis tu le vois se diriger vers la piste, plus déterminé que toi. Ce qui t’arraches à tes pensées. Une chose que t’avais conservé malgré toutes ces années. Le besoin de courir, la joie de sentir le vent contre ton visage. Le bonheur de voir le monde défiler au ralenti sous tes yeux.
Alors tu te décides à te bouger aussi. Pas question de perdre dans un défi de vitesse de toute façon. Avec ou sans ton pouvoir. C’était la seule chose qui faisait de toi Sacha. La vitesse. Tu pouvais pas perdre ça, pas ça.
Vous aviez même pas de tenues de sport, même pas prêt en soit. Des touristes qui viennent courir on ne sait pas pourquoi. Même vous vous n’aviez probablement pas de réponse à cette question. Vous étiez là, c’est tout.
Tu te prépares, tu mets à côté de lui, le regard tourné vers l’horizon. Prêt comme jamais. Prêt depuis ta naissance. Depuis l’éveil de ton pouvoir. Et tu l’écoutes, tu l’écoutes proposer son petit défi.
Très bien ça me va. Si je gagne, tu vas te tenir à carreau jusqu’à la fin de l’été. Plus de violence, tu n’envoies plus chier personne. Tu te tiens à carreau Matthew. T’en penses quoi ? Tu te sens capable de tenir ta parole ?
T’avais l’occasion de voir s’il était prêt à changer, au moins un peu. Non, c’est même pas ça. T’avais surtout l’occasion de voir s’il était prêt à faire des efforts.
Don't give a shit, en tenue de sport ou non, même si on peut pas se donner à fond lui et toi, vous êtes quand même là, excités comme des gamins, à faire la course, peu importe qui vous êtes, l'âge que vous avez et surtout, ce que vous êtes l'un pour lautre.
T'es prêt à partir matt, mais il te coupe la chique avec son sens de la negociation. Evidemment, pourquoi tu n'y avais pas pensé, avant même qu'il ne l'ouvre. C'était. évident
Tu renifles. Pèse le pour et le contre, en vérité t'es pas sûr de donner ta parole, mais t'as quand même un sens de l'honneur alors, tu réponds par un simple d'accord, net, précis, concis et ferme.
De toute, tu peux pas maitrîser tes émotions. Tu te demandes si Sacha le peut vraiment ?
Tu fonces, finalement. Tu préviens même pas, tu snobes le top départ, tu sais très bien qui prendra le dessus. T'as l'air con à agrandir tes grandes enjambées, dans une course semi-effrenée, vêtu comme un hard musico... enfin, qui s'en soucie.
T'es trop lourd pour ça, ca se sent dans le poids de tes foulées, et puis il te dépasse avec une putain d'insolence.
Tu souris. T'es essoufflé. T'es obligé de ravaler l'air, à r'trouver tes poumons. Puis tu repenses à sa connerie de proposition. Tu achèves, entre deux souffles :
- Et si je butais ta soeur Sacha, tu te tiendrais à carreau toi ?
Accueil
Lun 26 Juil - 18:22
