Evan est subjugué. Souffle coupé.

Jamais il ne s’était senti si peu distrait.

Adossé contre un mur, suffisamment loin pour éviter le contact des autres, il ne lâche pas des yeux le groupe qui s’exprime sur scène. Non, c’est un mensonge. C’est lui qu’il ne quitte pas des yeux. Perdu dans sa musique, vivant pour sa musique. Evan comprend, ou il croit comprendre, ce qui pousse ce garçon à avancer. Mais est-ce triste ou pas, finalement ? N’avoir que ça pour tenir. N’avoir que le son déchirant de sa propre voix, n’avoir que les notes de sa basse pour s’exprimer.

Il y a de la douleur chez ce mec.

Il fronce les sourcils, il l’observe. Intrigué. Pour la première fois, il cherche à ramper dans son esprit. C’est interdit, il le sait. Qui fait ça, hormis les psychopathes ? Evan refuse d’être un psychopathe. Pourtant, il ne peut pas s’en empêcher. Il sait que s’il regardait n’importe qui d’autre dans cette pièce, des cris et des endroits sombres envahiraient sa tête. Peut-être même serait-il forcé de sortir et s’isoler.

Mais alors qu’il rive ses yeux clairs sur Matthew, il n’y a rien.

C’est beau. C’est triste. C’est enivrant. C’est enrageant.
Il ne sait plus trop ce qu’il ressent. Depuis des semaines, il rêve d’oublier ce pouvoir. Il rêve de vivre un rêve. Et alors que Matthew lui offre cet instant, ce moment inespéré, il refuse d’y croire. Son cœur bat la chamade, il l’abandonne.

La musique s’arrête. Au même instant, le souffle d’Evan se réveille. Les sons se lèvent, il applaudit. D’une main distraite, il attrape un croco rouge dans la poche de son jean. On ne change pas les habitudes, et pour ce qui est des caries, Evan est un chanceux. Le groupe sort, mais il n’en a pas fini, c’est hors de question. Pas comme ça.
Il rejoint le bar et glisse un mot au barman. Il n’a pas l’air surpris, il s’éloigne. En attendant, l’étudiant commande deux rhums arrangés au second serveur. La soirée ne fait que commencer. Est-ce qu’au moins Matthew a l’âge de boire ? Est-ce qu’au moins il acceptera de le voir ?

On s’en fiche. Au pire, il boira les deux shots et partira en vadrouille pour s’amuser.

Evan attend, debout face à deux tabourets et les shots. Il ne sait pas combien de temps il pourra patienter dans un endroit tel qu’ici, mais tant que son pouvoir ne fait pas des siennes sans son consentement, il peut attendre.
Un sourire en coin pendu aux lèvres, il glisse son doigt sur le bord d’un verre. Il pense aux gouttelettes, celles qui apparaissent par condensation. Il les compte. Puis, avec son sweat sans manches, ses bras nus captent le courant d’air.

Une porte qui s’ouvre.

Evan n’est pas un loup solitaire. Il est solaire, étrange, il aime les autres. Il aime rire et sourire. Mais qui est-il, aujourd’hui ? Maintenant ? Les apparences sont parfois trompeuses, il l’apprend chaque jour depuis près de trois mois. Ce qu’il voit, ce qu’il sent, ces images qui flottent encore devant ses yeux à son réveil… La barrière entre le réel et l’illusion est souvent si fine qu’il la traverse. Puis il la traverse encore.

Epuisé.

Il est épuisé de ne pas dormir. Epuisé de perdre le contrôle. Epuisé par son esprit, qui lui ment et le torture. Il est épuisé de se perdre, lui-même. Jusqu’où les choses iront-elles ? Jusqu’à quand pourra-t-il rester ce garçon qu’il a toujours été ?
Oublier. Comme ce soir.

Partir, découvrir, écouter, oublier.

Le barman vient lui annoncer qu’il avait délivré son message. Les dés sont jetés, alors.
Il n’a pas le temps de le chercher, il entrevoit le mouvement, la silhouette qui se déplace agilement. Quand Evan lève ses yeux sur lui, son sourire fleurit. La barrière se reconstruit, bien tangible, tandis qu’il s’arrime à cette vision singulière. Ce garçon, ce qu’il dégage. Décidément non, il ne voit rien.

Evan gobe un croco vert au moment où le chanteur s’installe. Alors il a fait demi-tour, finalement. Savait-il pour qui ?
Un rire lui échappe. Il pose un coude sur le comptoir et se penche, taquin.

- J’ai été complètement subjugué, dit-il simplement. Désolé de t’avoir fait rappeler, j’espère que ça ne te dérange pas.

Une façon de parler, quelque chose qu’il a appris au cours de sa vie. Il n’est en rien désolé de l’avoir rappelé, au contraire, et il le montre à l’intonation de sa voix, à l’incurvation de ses lèvres. Il veut en savoir plus. Il ne connaît rien de lui, ni son pouvoir, ni son âge, encore moins sa vie.

Leurs regards se vissent l’un à l’autre, Evan observe cet homme, ces yeux bleus, l’intrigante cicatrice de ses lèvres, puis il fronce légèrement les sourcils, amusé. Blanche colombe ? Il y a sûrement moyen de trouver mieux, mais qu’il l’appelle comme il le souhaite.
Il entrouvre les lèvres, en pleine réflexion, la pointe de sa langue distraitement pressée contre sa canine. Une manie. La séduction, c’est un acte qui s’est ancré à lui.

- Seulement si tu me laisses t’appeler Noir désir.

L’ambiguïté, son terrain de jeu. Cette frontière qu’il aime suivre et tâtonner, du bout des doigts.

Matthew commande un kraken, il a du goût. Peut-être qu’Evan passe pour un alcoolique avec ses deux doses, mais il s’en fout. Il sort son paquet de bonbons à moitié entamé et le pose à portée de main. Au passage, deux post-its griffonnés d’une écriture penchée tombent sur le comptoir. Ses pense-bêtes. Il les range nonchalamment avant que Matthew ne puisse y lire les prescriptions de la psychiatre.

- Imagine un peu l’affiche de mon futur groupe de métal triangulaire ? Blanche colombe et Noir désir, c’est absolument parfait, lance-t-il avec un clin d'œil en ramenant ses deux shots entre eux.

Une fois le kraken sur le comptoir, il lève un des verres de rhum arrangé figue/vanille, trinque, et prend une gorgée. La chaleur se répand, délicieuse, depuis sa langue jusqu’à son estomac. Ciel, ce que ça fait du bien. Quand il n’a pas la force de lutter contre les rêves, l’alcool ne lui a jamais fait faux bond.

Le verre aux lèvres, sans vergogne, Evan détaille les épaules larges et le visage anguleux. Les lumières tamisées lui rendent justice, elles exagèrent ses traits, font ressortir le grain de sa peau. Evan veut tout savoir. Il a déjà entendu l’instrumentale, maintenant il veut l’a capella.

D’un geste mesuré, il repose le verre sur le comptoir.

- Tu m’intrigues, Matthew Donovan. Il cale un bonbon entre ses dents, puis il le fait disparaître d’un glissement de sa langue et de ses lèvres. Parle moi de toi. Qu’est-ce qui nourrit ta musique ? Ou, à défaut, qu’est-ce qui te pousse à braver le couvre-feu en ma compagnie ? Il marque une pause. Car tu n’es pas étudiant, pas vrai ? Impossible de te retrouver dans les couloirs.

Il sourit. Il joue avec la frontière.

Le jeu prend, c’est évident. Evan est un parieur, il ne mise que sur les gagnants.
Il l’observe, il écoute son rire.
Matthew n’en a pas l’air avare, pourtant, c’est différent. Différent de ce qu’il a déjà pu en voir, différent de ce qu’il a déjà pu montrer. Était-ce l’effet du concert, de la musique dans chaque fibre de son être ? Evan aime ce qu’il voit, ce qu’il devine dans ses gestes. Il aime suivre le chemin de ses yeux, savoir quel est son effet, savoir ce qui l’imprègne.

Les doigts sur son verre, Evan sourit quand il se tourne si promptement vers lui.
Véritable. Authentique.
C’est ce que son regard lui inspire. Putain, c’est fou, tout ce qu’il y a dans ce regard. Depuis des semaines, Evan ne voit qu’une chose : la peur. L’angoisse. Mais pas dans cette nuit-là. Pas dans ces braises-là. C’était quoi, son secret ? Y avait quoi, derrière ce mec-là ?
Grisant. Enivrant.

Il va droit au but, la frontière est bafouée. Mais s’en inquiète-t-il encore ? L’incendie dans ces yeux bleus ne laissent aucune place à l’erreur. Aucune place au hasard. Le sourire d’Evan s’étire, encore sa langue contre sa canine. Il ne joue plus, tout ça, c’est instinctif.
Oui, Noir désir. Jamais un surnom n’a paru si approprié. Mais l’était-il pour lui, ou pour le bassiste ?

Quand Matthew se rapproche, il émane de lui une aura féline. Un chasseur. Affamé.  Plus le temps de réfléchir, plus le temps de penser. Les progrès, s’ils existaient, c’était maintenant ou jamais. Evan répond, son corps aimanté de plus en plus proche du sien. C’est animal. C’est viscéral.
Il le scrute, il balaie une nouvelle fois ce corps bien fait du regard, il surplombe cette satané cicatrice, puis il émet un rire. Bref.

- Peur ?

Evan attrape son shot et le termine. Sa langue caresse les restes d’alcool sur ses lèvres, puis sans lâcher Matthew des yeux, il avale le second verre cul-sec. L’alcool brûle, il réveille ses sens et les décuple. Il retourne le verre, vide, sur le bord du comptoir.
Aucune retenue. Aucune demi-mesure.

- Je connais tout de mes peurs, crois-moi. Et tu n’en fais pas partie.

Il veut savoir. Il veut tout savoir de lui. Mais quelle importance, maintenant ou plus tard ? Quelle importance, si la liberté prend les devants ? D’un air taquin, il pioche encore un croco. Il tire la langue, l’y dépose, puis il le déguste lentement. Evan sait ce qu’il fait, l’expérience il en a, et de toute façon, la frontière n’est plus là.
Matthew la défonce à coup de pieds.

Chez lui, c’est les dortoirs. Une chambre double, un coloc.
Mais les solutions, il y en a des millions.
Avec un sourire lascif, finalement, il crochète le col de son t-shirt avec un doigt. Evan, c’est pas le genre à tourner autour du pot, lui non plus. Il ne chipote pas, il ne tortille pas du cul, pas si on ne le lui demande pas.
Il se penche, si près que son souffle balaie son visage et que ses sens s’engourdissent, puis il dévie vers son oreille pour y chuchoter.

- Je suis sûr que cet endroit possède une pièce de repos pour le personnel. Il prend le temps de réfléchir, sa respiration profonde si près de son oreille. Il se retient, c’est tellement plus excitant. Sinon, je possède également les clés de la réserve du gymnase. À ta convenance, président.

Qui viendrait les y déranger à une heure si tardive ?
Il recule, non sans effleurer la peau moite de son corps en relâchant sa prise. C’est fini, il l’électrise autant qu’il l’intrigue. Mais le choix est déjà fait. Evan cherche une porte du regard, celle qui mènerait à une salle avec ne serait-ce qu’un canapé.
Elle est à droite du comptoir, près des toilettes du restaurant. Il est écrit « privé », mais à coup sûr dans la serrure, depuis l’intérieur, ils y trouveraient la clé. À titre d’information, il la montre à Matthew du menton.
Il est encore temps.

Du bout de l’index, Evan récupère un larme de kraken tombée précédemment sur le bois du comptoir. Il la porte à sa bouche, puis il la goûte, cette même saveur que le chanteur a sur les lèvres. Ses yeux clairs ne quittent pas les siens. Ils les dévorent, impatient. Pourtant, il se permet de jouer encore un peu.
Il se redresse, un frisson parcourt ses bras nus.

- Tu peux encore choisir une simple discussion, si tu préfères.

Provocateur, rien qu’un brin. Ses yeux vacillent entre les siens, convaincus et convaincants. Il humecte ses lèvres.
Dieu que c’est bon d’être lui-même. De n’avoir que ses pensées, que ses désirs dans sa tête. Evan n’est pas un playboy, ce n’est pas chaque soir qu’il se retrouve dans cet état. Mais la musique résonne encore à ses oreilles, la voix de Matthew hurle encore dans ses veines.
Il a besoin de lui.

Ils s’observent. Ils se cherchent. Comme deux aimants qu’on maintient à distance, sur cette limite, si fine, avant qu’ils n’explosent l’un contre l’autre.
Evan boit les pensées dans son regard. Il y contemple toutes ces réflexions, cette détermination. Il l’imagine, nonchalant, observer le monde depuis le sommet d’un toit désert. Il le voit, sur sa scène, à cracher des paroles qui n’ont de sens que pour lui. Enflammer les cœurs, sans aucun doute.

Et ce rire.
Il s’en fait un défi, de ce rire. Il veut le faire résonner dans tous les arpèges.

Evan le suit des yeux, amusé. La réponse est claire, pas besoin de chipoter. Ce sera donc la salle de repos. Le risque de se faire prendre, par du personnel en quête de détente. Par des oreilles indiscrètes, peut-être. C’est comme ça qu’il préfère ces envols, ces découvertes d’un inconnu.
Etourdissant.

Entêtant.

Il suit sa silhouette des yeux, incapable d’en ressortir un adjectif. Dans le jargon, quand il se refuse le tact, il dirait « croustillant ». Et puis au diable le tact, il n’est certainement pas là pour ça.
D’un geste rapide, Evan enfourne un dernier croco et laisse le paquet sur le comptoir. Après tout, pour les autres, ils ne font que s’absenter brièvement. Ils vont respirer, s’étirer, se détendre. De toute façon, il a des dragibus dans la poche arrière de son jean. Les sucres rapides, meilleur allié du sportif.

Entre à sa suite, puis résonne le cliquetis. Comme partout au bar, la lumière est tamisée. C’est parfait.
Au centre de la pièce, Evan se retourne pour le contempler encore. De haut en bas, il le scrute. Pour le détailler sans retenue aucune, une lueur de malice sous-entendue. Il est un peu plus grand que lui, il ne l’avait jamais remarqué. Il s’approche d’un pas, lève le menton et plante son regard au sien.
Ça ne change rien. Son sourire s’étire en coin, découvre en partie ses dents.

- Je te propose un jeu, souffle-t-il.

Son regard dérive, voilé, sur les muscles qui saillent de ses bras. Sur ses épaules, larges, et ses trapèzes qui semblent délicieux. Ils ne sont pas faits pareil, c’est certain. Evan est un perchiste de haut niveau, son corps musclé, dessiné par la force et la vitesse, s’est en partie affiné pour la souplesse. Comment Matthew entraine-t-il son corps ?
Il a mille idées à lui suggérer.  Pour la plupart, les vêtements ne sont pas forcément une nécessité.

- Tu devines un fait sur moi, et je retire un vêtement. Il s’approche, félin. Du bout des doigts, il atteint la poche arrière de son jean et sort un dragibus qu’il glisse entre ses lèvres. Et inversement.

Evan aime jouer. Il aime pimenter, exciter, faire monter.

- Je commence. Ses yeux balaient son aura, ce qu’il dégage avec tant de force. Putain Matthew, tu caches quoi derrière ces efforts, derrière ces hurlements ? Tu obtiens généralement tout ce que tu veux.

A deux pas, sur cette limite, si fine, avant qu’ils n’explosent.

Il les fixe… ces lèvres, cette langue, et tout ce qu’elles racontent en silence.
Dans son esprit, pour la première fois depuis bien longtemps, ce ne sont pas des peurs qui l’envahissent. C’est le désir qui le submerge. Qui lui écrase les côtes et qui lui réchauffe le corps. Quelle idée, de lancer un jeu maintenant ?
Mais Evan est comme ça. C’est un esprit ouvert, un curieux, un taquineur.
Il en veut plus. Il veut tout. Il te veut, toi.

Un sourire en coin.
Matthew se plaint, c’est trop facile, et pourtant, il la distingue. Elle est bien là, cette lueur, celle qui brille pour lui dire qu’il adore ça. Il est peut-être confus, ou peut-être pas, mais la lueur, elle, ne ment pas.
Tu as besoin qu’on te fasse vivre, Matthew, pas vrai ?
T’as besoin de vibrer, comme les cordes de ta basse que tu ne peux pas t’empêcher de gratter.

Le t-shirt tombe à terre, il ne fait même pas mine de le suivre des yeux. Face à lui, si proche et pourtant si loin, le corps de cet homme. Son odeur, sa chaleur, quelle exquise douleur que de se retenir d’agripper sa peau. La frontière, elle est là. Elle tient bon. Encore combien de temps ?
L’instinct, lui, ne résiste pas. Sa langue, insidieuse, retrace la tranche de ses dents.
Il te dévore déjà, tu le sais, ça, Matthew ? Il va te bouffer.

Immobile, face à lui, son cœur s’emballe. Ce sourire, putain, il pourrait s’en damner. Il adore ce qu’il raconte. Et surtout, ce qu’il promet.
Mais qu’est-ce que ça veut dire, Evan ? Est-ce qu’un soir, ce sera assez pour tout découvrir ? Pas le temps de psychanalyser. Pas le temps de comprendre les mots que soufflent les sens d’un corps en surchauffe.

C’est à son tour. « Trop facile », comme il avait dit. Evan ne peut s’empêcher de rire. Il l’avait peut-être bien cherchée, celle-là aussi.

- Des paquets sous l’oreiller, répond-il avec malice. Mais je ne suis pas d’accord pour dire que ce soit trop.

Néanmoins, il n’a pas envie de lui retirer ce point. Hors de question. La patience à ses limites, et celle d’Evan est particulièrement précaire à cet instant précis.
Comme par mimétisme, il attrape les bords de son sweat et le passe au-dessus de sa tête blanche. Les post-its se répandent sur le sol. Tant pis. On s’en fout.

- Comment quelque chose d’aussi délicieux pourrait être mauvais ?

L’ambiguïté, c’est sa seconde nature.
Son odeur, clairement musquée, légèrement citronnée, se mêle à celle de Matthew. Il est moins large, c’est une évidence, mais il n’est pas en reste. Chaque muscle de son torse est finement dessiné, ses épaules sont éclatées. A sa respiration, lente, on devine les heures d’entraînement.
T’aimes ça, Matthew ?

Evan a d’autres idées. D’autres théories qu’il voudrait partager. Mais y a plus le temps de jouer, c’est fini. C’est trop et pas assez.
Impatience.

Quand la distance se dévore, le perchiste ne pense plus. À quoi bon encore conjecturer qu’il chantait secrètement pour autre chose que lui-même ? Y a bien plus important que ça. Y a bien plus urgent, pas vrai ?

Sa main, fraiche de sa moiteur, se pose sur la nuque du chanteur. Ses ongles griffent, il l’attire. Sa peau, ciel, c’est dingue comme elle l’électrise aussitôt. Evan se mue vers lui, juste assez près pour que leurs torses ne s’effleurent pas.
Ce roulement de tambour, celui qui martèle sous sa peau, il l’adore.
Il s’en délecte.

- C'est ta dernière chance.

Son menton se redresse, car il veut tout lire au fond de ses yeux. Il veut voir son effet, leur effet, à eux.
Enivrant. Excitant.

- J’en n’ai pas fini avec toi, Donovan.

Sa main libre, sur le torse tendu. Son cœur, battant contre la pulpe de ses doigts.
Ça te fait quel effet, Matthew ?
Il le pousse, le mur tremble. Evan n’est pas en reste, même passif, il se refuse à l’être. Alors, finalement, son corps qui se fond dans le sien. Comme un soupir, celui de sa peau. Comme une explosion, celle de ces deux aimants qui se rencontrent.
Ça devait se faire, pas vrai ?

Alors il s’enchaîne à lui. Il tire sur sa nuque et ses lèvres se fracassent sur les siennes. Echauffées. Empressées. Et ses dents, sans vergogne, qui enfin découvrent et dévorent cette cicatrice. Putain, pourquoi est-ce que c’est aussi bon ?

De toute façon, le jeu, il n’aurait jamais eu la patience de le terminer.

C’est rare. C’est si rare, que ses sens se débrident à ce point. Comme le feu, brûlant, son regard le bousille de désir. Il le traque, le détraque, y a plus rien qui se comprend dans son esprit.
Enfin si. Y a toi, Matthew. Y a plus que toi sous sa peau, dans chacun de ses nerfs à vifs, explosés par cette envie.
Putain, t’as idée de l’effet que tu lui fais ?

Ce regard, il l’intrigue autant qu’il l’appelle. Evan le scrute, joueur sans l’effleurer, il veut lire ses sous-titres. Parce qu’il a l’impression d’y voir comme dans un miroir, comme si quelque chose venait de cliquer ici-bas. Sur la même longueur d’onde. Sur cette même tonalité. Ça veut dire quoi, au final, « désirer » ?
Ça veut dire ça.
C’est là, juste là ; ça bout et ça gronde jusqu’à l’explosion. Ça fait si mal que ça ne demande qu’à y retourner. C’est tellement bon qu’on n’a rien d’autre à imaginer.

Puis c’est trop tard. La frontière, c’est fini, elle s’est brisée dans un éclair. Elle s’est brisée contre ce mur.

Il ne cherche plus à comprendre. Il ne cherche plus à décrypter, ça, ce sera pour plus tard. Il ne veut pas savoir ce que lui murmure son corps, il ne veut pas chercher à entendre ce besoin, celui qui est en train de se former et de s’installer. Evan est charmé, happé. Il croit plus que ce sera facile, de prendre puis de laisser. D’oublier.
Et toi, Matthew, tu crois vraiment qu’ensuite tu pourras t’en passer ?
Nan, muettement, inconsciemment, il se le promet. Tu vas devenir un camé.

Alors il l’embrasse, comme si ça vie en dépendait. Il oublie de jouer. Il oublie de faire attention, son pouvoir, cette île, tout ça c’est du passé. C’est derrière. Là, tout ce qu’il voit, c’est ce mec qui lui retourne les sens. Ce mec qui fait vibrer son corps comme jamais auparavant. Ses mains, qui le malaxent et l’enferment dans son étreinte.
Dieu que c’est bon, ce genre de prison. Ce genre de poison, sucré, celui pour lequel on se damnerait.

Evan se presse, il efface ce sourire carnassier, il l’avale avec adresse.
Sa main, celle placée sur ce torse pécheur, rejoint l’autre derrière la nuque bouillante du chanteur. Il tire, s’y accroche comme à une bouée de survie. Comment a-t-il réussi à vivre, jusqu’ici ?  
Un soupir, quand leurs langues se rencontrent férocement. Puis ses dents, qui se plantent pour gonfler ces lèvres rougies, juste au moment où leurs entrejambes se percutent enfin. Le frisson remonte, électrique. Ses ongles, qui griffent la peau mouillée. La musique s’emballe. C’est viscéral.
Animal.

Ses mains ne le lâchent pas quand il rencontre le mur à son tour. C’est de bonne guerre. Un grondement, lascif, en réponse à cette douleur fugitive. Exquise violence.
Puis il se perd à nouveau dans ces lèvres, dans ce souffle si chaud. Son corps se plaque contre la main qui ouvre son jean. Il est bouillant, et cette langue fiévreuse, elle n’arrange rien. Les soupirs tombent dans ses oreilles, ils gonflent encore son désir. Sa tête, chauffée à blanc, tombe contre le mur derrière lui. Il soupire, la voix rauque.
Tu t’amuses bien, hein ?

Evan s’est perdu. La main sur son derrière, celle qui le possède d’une simple poigne, pose le ton pour la suite. Tel un animal qui marque sien, une paume aux ongles crochetés dans la peau tendue descend le long du torse tentateur. Elle laisse une marque, rouge vif, qu’il veut immédiatement apaiser de baisers. Sensualité.
Puis ses doigts suivent la route, celle des poils sombres qui descendent directement. Il en a besoin. Comme un fou, c’est ça qu’il veut. Alors, par-dessus le tissu rêche, il l’empoigne.
Il va pas te lâcher, Matthew.

Tu vas te faire dévorer.

La poignée s’abaisse, frénétiquement, Evan ne peut pas s’empêcher de rire.
Ils l’ont vraiment fait ici, dans cette salle de repos, sur le canapé. Et bon dieu, ce que c’était bon. Ce que c’était vivant. Ça fait combien de temps, qu’il n’a pas vécu une chose pareille ? Combien de temps qu’il n’a pas défailli ? Il ne le sait plus. Trop longtemps. Peut-être jamais, son esprit est encore trop embrumé pour penser.

Alors il file vers ses affaires, amusé de voir le chanteur s’habiller à la vitesse d’un éclair. L’habitude, certainement. À quoi d’autre s’attendre ? Evan ne s’attend à rien. Il le souhaite, peut-être. Sûrement. Et pendant que son amant discute avec le barman, il enfile boxer, pantalon et hoodie. Sur le sol, il avise les multiples post-its et s’empresse de les ranger à leur place. Il n’a pas honte, pas de voir une psy, mais tous ses petits secrets n’ont pas besoin d’être dévoilés en ces circonstances.

C’est au moment où il est fin prêt, son paquet de bonbons dans la main, qu’il croise son regard. Il est bref, à peine la demande d’une confirmation, mais il est suffisant. Evan hoche la tête, puis il le laisse sortir le premier. Il en profite pour se recoiffer, sécher la sueur de leurs ébats, puis il sort à son tour de la pièce.
Nonchalance.

- Merci pour la soirée, dit-il au barman en déposant l’argent sur le comptoir.

Puis, comme par là où il est entré, il sort par la porte principale. Et il sait très bien où aller. Pour la simple raison que lui-même ne voit pas d’autre issue à cette soirée, il fait le tour jusqu’à la porte de derrière.
T’es pas encore parti, Matthew, pas vrai ?

Un souffle du nez, amusé.
Un sourire, étiré, tandis qu’il s’approche du corps musclé. Ce corps qu’il vient de voir, qu’il vient de toucher, et dont il n’est même pas rassasié.

Il l’observe, de bas en haut. Il s’imprègne de son aisance, sa nonchalance, tout en se doutant qu’en vérité il n’en est rien. Où en l’espérant ? Evan ne sait plus. L’alcool, le sexe, tout ça est confus.
Putain ce que t’es beau, Matthew.

Alors il se mue vers lui, agrippe sa mâchoire d’une main et, d’un souffle enflammé, vient pour ravager ses lèvres une dernière fois de la soirée. Bon dieu, ce qu’il n’a pas envie de les lâcher.

- Oh, oui. On se revoit au club, souffle-t-il d’une voix rauque.

Puis il le relâche, s’éloigne.
Mais il le sait.
Matthew Donovan, vous n’avez pas fini de vous rencontrer.