there's no cops in the forest we take this to our graves
all men are pigs
Nike était une personne économe. L'habitude des vieux jours, toujours économiser, garder les choses le plus longtemps possible. Y compris les pyjamas un peu gênants achetés quand elle avait quatorze ans, sous la pression sociale de connaissance quetionnables. Elle n'avait pas énormément grandi depuis cet âge-là, et les vêtements du fond du placard, vous savez, ceux que vous ne mettez que quand le reste est sale, ceux-là restent en bon état longtemps. Pas de trous apparents, aucune vraie bonne raison de le jeter, si ce n'es qu'il est un peu gênant à porter. Bien heureusement, elle avait suffisamment en Ava pour savoir qu'elle garderait le secret de ce pyjama. Et le soir était venu. Aujourd'hui était le soir des nuits du fond de placard. Il était venu l'heure de porter l'infâme pyjama poop emoji. Oui mesdames et messieurs, ça existe. Il y a même des kigurumi poop emoji, mais heureusement, même à quatorze ans, Nike avait encore un minimum de bon sens pour ne pas en avoir acheté.
▬ Ava, je vais prendre une douche, je dois faire un soin aussi j'en ai peut-être pour un moment dans la salle de bain
Un vendredi soir banal en somme, au calme, rentrée assez tard mais vannée, petit douche avant d'aller se coucher. L'eau qui coule, et comme toute jeune adulte avec un minimum de responsabilité, elle se dissocie de la réalité sous le jet d'eau pendant une demi-heure, le regard dans le vide en pensant à toutes ses erreurs passées, présentes et futures, leur isolation mondiale, le sens de leur existence en tant que somnus, et l'inéluctabilité de la mort. Et puis ensuite elle met du savon.
Bruits, vagues conversations mutées par le bruit du jet d'eau, un cri presque? Elle doit rêver, ou c'est juste le téléphone, Ava n'inviterait pas quelqu'un dans la chambre sans la prévenir avant. Et puis elle enfile le pyjama de la honte. Celui qui ne doit jamais être vu par d'autres yeux que les bienveillantes pupilles de sa discrète colocatair-
Elle ouvre la porte. Un inconnu. Eméché sûrement. Indésirable sans doute. Mais tout ceci Nike n'y pense même pas. Tout ce qu'elle pense c'est qu'un inconnu. La voit. Dans. CE. PYJAMA.
▬ AAAARKEZHFZEGT
Une serpillère qui traîne à côté de la porte attrapée, et un bon coup dans les dents par réflexe. Ne sous-estimez JAMAIS la force de quelqu'un dont porter des caisses entières de costumes et d'accessoires et tirer des rideaux de plusieurs kilos est le loisir. Ne sous-estimez pas non plus la rage de l'embarras. Damn Nike.
Et un homme raide sur le sol. Petit silence alors qu'il retombe, et que Nike le poke avec le bout du manche.
Vous savez, ces soirées où même l'idée de devoir cuisiner est pénible, eh bien c'était le cas de ce vendredi soir. Ava était rentrée assez tard, après avoir fait un jogging pour se défouler. Journée constituée principalement de cours ennuyants, rien de fou, elle n'avait envie de rien faire. Déjà douchée, vêtue d'un short court et d'un tee-shirt ample, la jeune femme allongée dans son lit scrolle ses réseaux sociaux quand sa colocataire interrompt le silence.
- Pas de soucis prend tout ton temps !
Des fois, il lui arrive d'oublier qu'elle ne vit pas seule. Cette solitude dont elle s'était habituée au fil des années avait été coupée court lors de son arrivée il y a quelques semaines sur l'île. Ava avait un peu rechigné à l'idée de partager sa chambre mais finalement, ce n'était pas si mal que ça. Qui aurait cru ça venant de L'Américaine ? Personne.
Ava s'étire et attrape son livre sur la table de chevet pour le poser sur le lit. Rien de mieux qu'un bon bouquin et d'une tisane avant de dormir. C'est tout naturellement que la jeune femme se lève pour mettre de l'eau dans la bouilloire et préparer deux tasses. Si Nike n'en veut pas tant pis, elle prendra les deux. Ça toque. Elle ne rêve pas là ? Qui ça peut être à cette heure ? Nike attend quelqu'un ? D'un air perplexe, la brune se dirige vers la porte et l'ouvre. Elle se rend compte que ce geste est totalement inconscient seulement lorsqu'elle découvre l'homme qui fonce littéralement sur elle pour l'enlacer, les enfermant dans la chambre. C'est si rapide, si intense. Elle le repousse une première fois dans la panique.
- MAIS CA VA PAS LA TÊTE, DÉGAGE DE LÀ OÙ J'TE BUTE
Menace non écouté, l'inconnu attrape Ava par les épaules. Elle hurle et essaye de se débattre jusqu'à ce que bam, il tombe comme une crêpe au sol. Devant elle Nike qui touche du bout de la serpillère l'homme. Tétanisée, tout son être tremble, Ava fond en larmes. Combien de temps ça a duré ? Une éternité et une fraction de seconde en même temps. Impossible de déterminer cela. Son premier réflexe c'est de trouver refuge dans les bras de Nike et d'essayer de parler, une épreuve au vu du traumatisme trop frais.
-I..I..IL EST REN... RENTRÉ ET C'EST JETÉE SU..SUR MOI.
Respirations entrecoupées, il lui faut quelques temps pour reprendre un peu ses esprits et laisser Nike pour enfin répondre à ce qu'elle avait dit avant que L'Américaine ne fondent dans ses bras. Mort ? Ava un peu revigoré donne un bon coup de pied dans le ventre de l'étranger pour voir s'il réagit. Elle ne va tout de même pas se pencher prendre le pouls de ce taré. Vu le cri qu'il pousse, il à l'air vivant, juste bien entamé et assommé. Putain, qu'est -ce qu'elles vont faire maintenant ? L'idée d'appeler les flics ne plaît pas à Ava, de toute façon, très peu de chance qu'ils se déplacent.
- Il est vivant, on le jette par la fenêtre ?
Du point de vue de l'étudiante, ce gros chien ne mérite que ça mais la, peu de chance qu'ils survivent à la chute des étages. Les larmes continuent de couler totalement librement sur le visage d'Ava, elle se tourne vers Nike avant de marquer un arrêt et d'éclater de rire. Mélange entre la pression qui redescend et cette situation totalement absurde de sa coloc' en pyjama caca. Oh putain, cette soirée va finir par l'achever entièrement.
- Ma super héroïne Pyjamacaca vient d'me sauver d'un gros pervers qui a dû me suivre toute la journée, Wow... On fait quoi ?
Sa voix était toujours nouée et faible à cause du choc mais aussi, remplit de reconnaissance envers Nike.
there's no cops in the forest we take this to our graves
all men are pigs
Oh c'était un pervers. Bien. Tant mieux. Nike respire, elle peut désormais se sentir un peu moins coupable. La seule culpabilité qui lui reste est celle de savoir, intérieurement, qu'elle ne l'a pas tant assommé par esprit héroïque mais par embarras. C'était plutôt l'inverse d'habitude, c'était Ava qui accourait si elle avait un problème, elle, servait juste d'oreille attentive et de guide occasionnel.
▬ On peut pas le jeter par la fenêtre enfin!
Evidemment. Du bon sens, qu'ils soient dans le tord ou non on ne traite pas les êtres humains comme ç-
▬ S'il est juste en bas de chez nous on sera des suspectes potentielles. On l'emmène dans la forêt avec une bouteille de scotch vide. Tout le monde pensera qu'il était bourré.
...Nike, chill.
La voilà coincée entre deux émotions, celle de l'adrénaline qui retombe et de l'inquiétude de se retrouver affubler d'une réputation de brute violente ou PIRE d'héroïne courageuse. Vous imaginez la pression sociale après ça? Et d'un autre côté, toute cette mascarade avait un côté excitant. C'était un peu comme vivre son propre polar.
Elle enfila un cardigan par dessus son pyjama et entrebâilla la porte pour vérifier que le couloir était vide et chuchota.
▬ (Ok la voie est libre, prends ses bras je prends ses pieds et je réduit notre son à zéro, go.)
C'est que cela lui donnait presque de l'assurance, de cacher des corps, à la petite.
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Mer 4 Aoû - 22:45
