out le monde a ses petits secrets. Ces petites choses qu’on ne peut avouer à personne, ces petites plantes qui peuplent nos jardins intérieurs. C’est sain, même, d’entretenir un tel jardin. On ne peut pas toujours tout dire. Le monde en exploserait.  

Alekseï, lui, il en a beaucoup aussi de ces petits secrets. Ce qui est arrivé à son hamster quand il avait douze ans. Le nombre de peluches qu’il possède encore. Le temps qu’il passe à se coiffer. Les semaines qu’il a passé enfermé à reviser les équations du second degré et à quelle vitesse il en a tout oublié. Ou bien encore, le fait qu’il ne sache pas nager.
En fait, c’est-à-dire qu’il n’a jamais appris. Comment aurait-il pu ? Ses parents n’y avaient jamais vu d’intérêt, alors qu’il habitait si loin de l’eau. Ou peut-être qu’ils n’en avaient juste jamais eu l’envie. Ou peut-être un peu des deux.
Toujours est-il qu’il n’aurait jamais pensé vivre sur une île. S’il y avait bien un endroit où savoir nager était utile, c’était bien ici. Mais quand il y avait mis les pieds, à l’aube de ses quinze ans, il était déjà bien trop vieux pour apprendre.

C’est là la raison pour laquelle c’est un de ses secrets les mieux gardés : savoir que tu dois apprendre à nager après dix ans, ça fait rire les gens. Alors oui, y en a qui diront qu’ils s’en fichent. Mais Alekseï, il sait que ce sont des menteurs. Tout le monde trouve ça un peu ridicule. Tout le monde. Lui y compris.
Alors pendant longtemps, il avait juste évité d’avoir à en parler. « Oh non, j’aime pas trop la mer. » « La piscine, ça me fait des allergies. » « Je vous regarde, je préfère bronzer. » Les excuses, il y en existe des milliers. La preuve, il avait tenu cinq bonnes années sur ces excuses. Mais, cette année, c’était devenu de plus en plus difficile. La crise de la vingtaine, peut-être. L’envie de ne plus être un petit garçon. De laisser derrière lui ses problèmes d’enfance. De pouvoir voler, nager de ses propres ailes or nageoires. De passer de meilleurs moments, alors que la mer paraissait si belle et si fraîche loin du sable brûlant de l’été. De s’inscrire au club de natation pour pouvoir apprécier ses membres.

Il se retrouve donc dans la piscine du pensionnat. Un beau soir d’août. Alors que les cigales chantent dehors et qu’il croit même pouvoir entendre les rires enjoués des étudiants. Il soupire. Tant de soirées gâchées, jetées à la poubelle pour quelques heures d’apprentissage. Mais c’est un mal pour un bien, il le sait. Alors qu’il enfile un maillot bariolé (il en a des tonnes, nécessaire pour aller à la plage et avoir l’air normal mais sans jamais se baigner), il pense à toutes ces nuits chaudes de l’été prochain, à tout ce qu’il pourra faire. Il sourit.

Un pied dans l’eau, puis l’autre. Il n’a pas pensé à chercher quoi que ce soit sur la natation. Les enfants y arrivent naturellement, non ? Pourquoi pas lui ? Il n’est pas plus bête qu’un autre.
Pour l’instant, il sait flotter. Après une semaine. C’est déjà bien, il se félicite. Mais avancer, ne pas paniquer… C’est moins évident que ce qu’il pensait.
Il s’accroupit, laissant l’eau lécher sa poitrine. Il fait quelques ronds avec ses bras. Il se souvient des bouées que l’on fait porter aux gamins, mais l’idée lui fait froncer les sourcils. Même avec personne autour, plutôt se laisser couler que porter ça.
Un coup de talon, il se propulse. Pas bien loin. Très vite, il perd ses moyens. Bras partant dans tous les sens, il ne sait plus ce qu’il fait. Il respire. Planche. L’eau tape gentiment contre ses lèvres, ses yeux. Il lance un pied vers le fond. Touche. Il se redresse. Se propulse à nouveau.

Un cercle qui n’avance pas, du moins en apparence. Il en est à sa deuxième heure d’essais lorsqu’il arrive à se lancer un peu plus loin. Bras et jambes se battant contre la gravité pour réussir à le faire avancer. Ce n’est pas gracieux, mais il survit. Il en est presque à l’autre bout lorsqu’il entend un bruit de pas faire des échos dans la grande piscine vide.

Instantanément, il se retourne. Essaie, du moins. Son regard se porte vers une figure à l’entrée. Et en quelques secondes, c’est la panique qui se crée. Ses bras ne suivent plus, ses jambes non plus. Il se bat, mais ne sait pas contre quoi. Il ne sait certainement plus flotter, et plus il sent l’eau taper contre ses yeux, moins il sait y faire. Pendant un instant, son cœur bat si fort qu’il croit qu’il va exploser.

Quelle façon stupide de mourir.

NOTES — //