Disclaimer:

La tête en vrac, sourire au bord des lippes. Un coude sur le comptoir, les yeux qui observent sans cesse. Il les regarde vivre, respirer. Exister. Détaché.
Evan a bu, trop bu. Ou pas assez ?

Termine son verre d’une traite, le repose dans un bruit sec. Il n’a pas compté, il s’en fout, il a l’habitude. Ce soir c’est dur, tellement dur, alors il se permet de déconner. Il se permet d’abuser, parce que plus il boit, plus il y a de chances que les hurlements cessent dans sa tête. Plus il boit, et plus les monstres reculeront dans l’ombre.
Oublier.

Oublier quoi, exactement ? Son pouvoir, qui lui bousille la vie ? Ou ce sentiment, insidieux, qui lui prend aux tripes ? Tourne la tête, tire sur les racines de ses cheveux clairs. Trous de mémoire, cauchemars. Ouais, ça peut être que son pouvoir. C’est sa faute, au pouvoir, à lui-même, il se détraque. C’est forcément ça.
Pas vrai ?

Un soupir, qui franchit la barrière de ses lèvres. Il paie, se lève. C’est une mauvaise soirée. Pas la première, certainement pas la dernière. Son regard traverse la pièce sombre. Bar miteux, clandestin, avec quelques poivrots aux quatre coins. Il leur sourit. Evan sourit toujours.
Ses pas le mènent vers la porte de la cave. Vers le bruit et la vie qui éclate.  
Là, dessous, des égarés qui se battent et qui se frappent dans cet espace dégagé. D’autres qui font cercle, en pariant ou en criant. Personne ne le remarque. Pourquoi on le remarquerait ?
La tête qui vrille, faute à l’ambiance explosive.

Se met à l’écart, s’adosse contre un mur décrépi. Il fout quoi, là ?
Il se change les idées. Il a le droit, non ? Les bras croisés, son regard brumeux qui survole la pièce. Première fois qu’il vient seul ; habituellement, il est accompagné. Aujourd’hui pas la peine, il veut juste décompresser. Ensuite, il rentrera, peut-être cette nuit, peut-être au matin. Juste que ça lui ressemble pas.
Inspire, expire. C’est lui, ça ?
Non, c’est le pouvoir. C’est la phobokinésie, c’est elle la fautive.

Tourne la tête, sonde l’espace. La plupart des gars sont agglutinés au combat, mais y en a d’autres. Des rires, des cris. Ils se défoulent, ils ont le droit.

Et alors, ses yeux qui cillent. Il le reconnaît, il l’a déjà vu ce mec-là et même plusieurs fois. Ses sourcils qui se plissent, l’obscurité lui jouant peut-être des tours. Mais il ne rêve pas, il le voit.

- Karna ?

Il se râcle la gorge, sa voix est rauque d’alcool. Instinctivement, son sourire s’étire et il lui montre les dents. Il l’aurait pas cru, de croiser quelqu’un ici. Non qu’ils se connaissent vraiment, c’est juste un camarade, mais quelle jolie coïncidence.
Il approche, l’esprit vague, pose une main sur l’épaule large.

- Eh, qu’est-ce que tu fous là ?

L’esprit brumeux.
Détaché. Presque comme dissocié.

Il les voit pas, Evan. Ce mal-être.
Cette haine.
C’est son alcool qui accoste, curieux et innocent dans ses veines. Il pense parler, se découvrir, se rencontrer. Loin de se douter que ce n’est pas ce qui va se passer. Pas pour lui. Evan est brumeux, il se sent déjà mal. Il se sent déjà loin.
Et quand Karna explose, c’est comme s’il perdait son propre aval. Passe au second plan, s’éteint au beau milieu de ses pensées. Comme s’il disparaissait.

Rapide, ses mains qui t’agrippent avant que tu ne puisses les toucher. Il te toise, lui aussi, le sourire en coin étiré. C’est plus la même lueur que tu vois là. Plus la même chaleur.
Tu l’as réveillé, ça y est. Et généralement, ce n’est pas signe de bonne nouvelle. Tu l’as énervé.

Quand tu lui demandes à te lâcher, il se meut vers toi, prend la peine de te tordre les poignets. Vous faites la même taille, mais il a bien envie de te diminuer.
Il t’observe, sourire mauvais aux lèvres.

- Eh non, raté.

Sören te fixe, s’amuse de ton air paniqué. Tu veux partir ? Arrête de le faire rire.
Il t’a bien observé, tu sais ? Il sait ce que ça cache, les gars comme toi. Y a de la noirceur dans ton âme, peut-être autant que dans lui-même. Mais lui, il a ses raisons d’être. Toi c’est quoi, ton excuse ? T’es garde du corps, alors t’abuses ?

Son genou qui se fiche dans ton ventre. Ça le dérange, que tu sois aussi grand.

- Avant de te lâcher, j’vais t’apprendre à te calmer, ok ?

Ses pouces s’enfoncent dans tes poignets, à cet endroit sensible où on peut sentir le pouls. Il y devine tes nerfs, les écrase sans broncher. Pour lui le calcul est fait : t’as failli les frapper. T’as failli le frapper, et ça c’est juste pas possible.

Mais t’as de la chance, parce qu’il est réactif. Comme depuis des années, Sören est toujours là pour protéger. Faire oublier ce qui fait mal. Préserver.
Il te regarde de haut, ricane en te poussant contre le mur. Quelle bonne idée, Evan, d’être sportif. Ça lui facilite beaucoup la vie.

- Alors Karna, t’as besoin d’te défouler ?

Renifle l’odeur d’alcool qui traîne entre vous. La tienne, la sienne aussi.
Ils sont rares, ceux qui le connaissent. Ceux qui ont la chance de le confronter. Darren, Arsene, Lucrecia aussi... Bravo, Karna, tu entres dans le cercle. Pour le meilleur et pour le pire.
Alors, comment tu vas réagir ?

- Tu veux t’cogner ?

Glisse sa langue contre ses dents. Presque excité, parce qu’il adore switcher.