Prudence tape sur le métal dans un geste rageur, observant son pauvre petit personnage se faire avaler tout cru par ce qui ressemblait fort à une murène géante ou un serpent dodu. Elle ne s’y connaissait ni en zoologie, ni en jeu vidéo. Ne venait-elle pas de perdre une dizaine parties d’affilé sans jamais avoir pu passer ne serait-ce que le premier niveau ? Un GAME OVER retro vient la narguer alors que les ongles tapotent nerveusement les manettes de jeu. Soupire désespéré, Prudence ne pouvait décidemment pas être aussi nulle dans tous les domaines. Et pour défier une nouvelle fois cet affreux destin qui semblait vouloir lui intimer de se jeter dans une poubelle et d’y rester, la jeune femme sorti son portefeuille et ajouta une énième pièce à la borne d’arcade.
.
L’affreuse petite musique recommença pour la dixième fois et Prudence sembla ne jamais avoir été aussi concentrée de toute sa vie, pas même lorsqu’elle passait ses rattrapages de mathématique.
Bien.
Ce n’était pas si compliqué, elle commençait à comprendre le fonctionnement.
Avant de voir son petit personnage prendre feu et lâcher son dernier - bien que totalement imaginaire – souffle.
Prudence lâcha un petit cri totalement dépourvu de dignité avant d’abattre à nouveau sa main sur la machine, comme si celle-ci était responsable de tout le malheur des Hommes, ce qui aurait de l’avis de la coréenne, très bien pu être le cas.
Plusieurs solutions s’imposèrent alors à son esprit bouillant d’une colère toute immature.
.
Offrir une vierge en sacrifice.
Abattre l’odieuse machine pour que personne n’est à subir le même malheur qu’elle.
Mettre le feu à l’île pour s’assurer l’élimination radicale de tous les témoins et ainsi garder intact le peu qu’il lui restait de dignité.
.
Mais si Prudence trouva les deux dernières solutions quelque peu violentes et bien trop brutales pour sa pauvre personne, elle doutait néanmoins que la première ait un quelconque effet sur le jeu vidéo. Et Prudence n’avait décidemment pas la force de s’agiter inutilement dans l’espoir de trouver une vierge à peu près potable.
Ne lui restait donc qu’une dernière option – certes moins salissante mais décidemment moins marrante. Délaissant la borne non sans lui avoir adresser une œillade meurtrière, la jeune femme vient abattre ses petites mains sur le comptoir au fond de la grande salle.
.
« Eh il y a quelqu’un ?? Elle est cassée votre machine, j’exige un remboursement ! »
.
Pouvait-elle sans le moindre risque demander un million de dollars en guise de dédommagement financier ? Cette horrible borne venait tout de même de faire baisser son estime de soi à un niveau bien trop bas pour être vivable et peut-être la pauvre Prudence mettrait-elle des années de thérapie à s’en remettre. Non décidément, un million de dollars c’était bien peu.

Ronchonne ronchonne, critique en quelques mots presque inaudibles l’incompétence du personnel technique et la lenteur du service client.
Un bonjour lui répond quand quelqu’un surgit enfin pour écouter ses plaintes, funestes lamentations. Régulièrement entretenues oui oui oui à d’autre. Le monde aussi est censé être « régulièrement entretenu » n’est-ce pas et n’est-il pas plus pourri qu’un charnier ?
.
Et son prénom résonne. Comme une question, comme une dague tout contre la gorge. Prudence Prudence oui c’est bien elle.
Et lui,
Lui, fantôme d’hier homme d’aujourd’hui. Reconnaissable entre mille avec son étrange chevelure.
La colère se dégonfle comme un ballon de baudruche ; à peine un souffle restant, bloqué dans la trachée. Le cœur qui manque un battement. Eve Eve Eve, elle aussi pourrait murmurer son nom comme une simple question. Mais Prudence ne sait que dire sous ses yeux légèrement écarquillés par la surprise, Prudence n’a plus les mots. Aimerait bien hurler un peu, se plaindre beaucoup mais ah la jeune femme ne sait plus comment faire. Instant de silence face au passé.
Comme si c’était hier, comme s’ils étaient trois.
.
Elle se reprend, trésaille avant de ramener ses petites mains contre son ventre, les tordant dans un geste bien nerveux qui ne lui ressemble guère.
.
« Eva. » Le surnom est sorti tout seul. « Heu… ça va ? Je savais pas que tu bossais ici maintenant. »
.
Faible qualité d’oratrice, elle ne s’en est jamais cachée.
Bon. Que cherchait-elle déjà ? Ah, elle secoue la tête pour se reprendre quand les souvenirs d’un passé pourtant pas si lointain lui accaparent l’esprit. Elle reprend avec un peu plus d’entrain, peu désireuse de montrer son âme toute chamboulée.
.
« Une des machines est cassée. Je crois. Promis c'est pas moi. » Elle n’en était même plus sûr et se demanda tout à coup si elle ne devrait pas prendre les jambes à son cou.  
Quelle lâche, vraiment.

Fuir fuir fuir. Oh Prudence aimerait bien baisser la tête, se ratatiner sur place et s’enfoncer dans le sol. Elle n’aime pas cette situation, la déteste. Elle l’aime bien Eve, oh elle l’aimait bien quand dans un passé pas si lointain, elle s’efforçait de suivre leurs traces à lui et Logan.
Logan. Il lui manque.
Mais la culpabilité reste pourtant bien ancrée. Prudence est une piètre amie et à la place d’Eve, se mettrait elle-même à la porte en même temps que les poubelles. Non vraiment, Prudence est bien lâche et Prudence a un peu honte, elle l’avoue.
Aurait dû être là après l’enterrement. Mais non, seules ses bouteilles de wiskey avaient eu la malchance de subir son affreuse personne ; jour et nuit.
Mais Prudence n’aime pas spécialement les lendemains d’enterrement. Ni les surlendemains et tous les jours qui suivent.
Prudence pire qu’une autruche à qui on offre un masque.
Mais la voilà face à un Eve presque aussi gêné qu’elle.
Reprendre la salle ? Oh. Elle fronce les sourcils, se souvient de choses qu’elle aurait aimé oublier. C’est vrai que lui et Logan étaient bien proche de l’ancien gérant, voilà qui finalement ne l’étonne pas vraiment.
.
« Eh ba t’as mieux réussi ta vie que moi on dirait. »
.
Sarcastique, les paroles sont sorties toutes seules et elle s’en veut déjà, baisse un peu la tête. S’engage vers la machine sans un mot lorsque l’autre la rejoint de l’autre coté du comptoir.
.
« Celle-là. »
.
Un doigt pointé vers l’horrible chose qui n’en fait qu’à sa tête, Prudence est bien maussade maintenant ; n’a même plus envie de jouer.

Curieuse bien malgré elle, Prudence se penche, observe Eve inspecter la machine. Ah, peut-être aurait-elle dû tout d’abord endommager l’écran ou les manettes afin d’avoir quelque chose à montrer. Tant pis.

Rien d’inhabituel hein ? Prudence fronce les sourcils. Si elle a perdu autant de fois, ce n’est certainement pas pour rien. Croise les bras sous sa poitrine, l’air revêche. Personne ne la croit jamais de toute façon, elle a l’habitude Prudence. Une constante dans sa vie, un chaos dans son existence.

Vivement la fin.

Et ça la rassure Prudence, de parler de machine, de parler de bug. De parler de tout sauf d’eux, de tout sauf du passé. Se cacher dans un trou n’est malheureusement plus possible, alors la concierge s’avance, prenant bien soin de ne pas croiser le regard de l’autre.

.



« Je vais te montrer. »

.

Prend place devant la machine et commence une partie, le visage crispé par la concentration. Le petit personnage fait une dizaine de pas, à peine, avant qu’un rocher lui écrase la tête et que le GAME OVER vienne une nouvelle fois la narguer. Petit couinement de rage, Prudence oublie quelque seconde la gênante situation pour pointer la machine du doigt, comme si celle-ci sortait tout droit des enfers, ce qui était sans doute le cas.

.



« REGARDE. A chaque fois ! »

.

Un air outragé. Être aussi nulle ? Nooon, tout de même pas. Si ?.