L'arrivée sur l'île s'était faite rapidement et la transition entre la Malaisie et Sajna s'avérait brutale. Alors à l'arrivée de Kai dans ce pensionnat, la Somnusienne décida de ne pas se laisser intimider par son nouvel environnement et plutôt de l'accueillir à bras ouverts, tel un pirate décidé à l'océan de la vie.

Elle avait décidé de marquer le coup et les esprits en s'aventurant au sommet de la plus haute tour du plus haut bâtiment de cette académie et y avait fait son mémorable discours. Tous se rappelleront d'une telle prouesse, et également de celle qui l'avait accomplie. C'était en effet le but de Kai, être quelqu'un que les gens n'oubliraient pas.

Cependant sa petite démonstration ne se passa pas aussi bien que prévue - une chute malencontreuse, ainsi que le renversement du contenu de ton estomac dans un buisson... Ça ne faisait absolument pas partie de son plan, bien que celle-ci en avait prétendu le contraire pour garder la face.

La jeune femme s'était dirigée vers les toilettes de son établissement, s'était d'abord rafraîchit la bouche avant d'aller squatter dans les toilettes. Oui, squatter. Elle ressentait le besoin de traiter toutes les informations qu'elle avait ingurgitées jusqu'ici, et Kai se contentait juste de contempler ses pensées sur le trône.

C'est alors que deux individus indésirables finirent par perturber le cours de son voyage intérieur destiné à faire le point. Bon sang ce que les filles de Sajna avaient la voix grave. On aurait deux hommes ! Mais c'était impossible, après tout Kai était dans les toilettes des filles.

La voix la plus grave conseille à l'autre d'arrêter ses petites crasses. "Des conseils d'entretien de la maison de si bonne heure ?" Se demande Kai. "Peut-être que le ménage est un sport national ici." Qui sait ? Marie Kondo était sûrement aussi une Somnusienne.

C'est alors que voix plus aiguë rétorque que voix plus grave (que l'on nommera Super Ménagère) que c'était un râté. Ah ? - Du harcèlement - ? Super-Ménagère lui demande d'un ton menaçant si voix n°2 veut aller boire la tasse dans la piscine.  On dirait que les choses dégénèrent. Alors Mlle Bint'Ismail entr'ouvre doucement la porte et observe ce qu'il se passe : Ce n'était pas une Somnusienne, mais un Somnusien titanesque qui en tenait un autre par le col. Il lui murmure de n'en parler à personne.

Kai pousse soudainement la porte, et la grande perche croise son regard. L'adolescente lui fait un signe accompagné d'un grand sourire, avant d'aller se laver tranquillement les mains - le tout sans dire un mot.

Pourquoi deux mecs traînent-ils dans les toilettes des filles ?

Plutôt que de poser la question, celle-ci observe discrètement le reflet de ces deux individus dans le miroir. C'était clairement une scène de harcèlement. Ah. L'heure était venue de se confronter à ce géant. Et parce que Kai est une inconsciente, elle n'a pas peur. Mais elle sait pertinemment qu'elle ne fait pas le poids. Donc, pour se donner un air redoutable, elle croise les bras et fronce les sourcils tout en avançant vers celui-ci - mais bon sur l'effrayant-o-mètre, l'aiguille tend bien plus vers le côté "adorable" que "dur-à-cuire"

Elle engage donc les hostilités : elle pointe son doigt encore humide dans un geste rapide et certaines gouttes viennent atteindre le visage du colossal titan.

 - J'ai pas lu la constitution de cette île mais j'suis sûre que c'est écrit quelque part dans le règlement que la violence est IN.TER.DI.TE ! Le harcèlement c'est naze, SALE NAZE ! Alors arrête ça tout de suite ! Quel genre de loser harcèle son bien-aimé camarade dans les toilettes DES FILLES ?! T'as pas honte ?! Entre Somnusiens on doit s'entraider c'est clair ?

Kai avait cette habitude d'énoncer tout un tas de faits en parlant très vite. Pendant ces élucubrations, elle avançait en agitant le doigt. Elle était désormais très proche de son interlocuteur, et il paraissait encore plus grand.

 - ... Alors laisse-le tranquille sinon... Crois moi, ça va pas être joli. Fit-elle en rejetant les cheveux en arrière.

Il s'agissait peut- être des derniers mots de Kai, un gringalet sauvage qui avait regardé trop de films. Le premier jour d'école, quoiqu'on dise, est souvent déterminant du type d'année scolaire que vous allez passer.  La règle numéro un est de ne surtout pas se mettre qui que ce soit à dos. Surtout pas. Et pourtant, pour couronner de tout, celle-ci lui fit un regard qui se voulait intimidant en lui faisant le fameux signe qui signifiait "Je t'ai à l'oeil".

Sa main tordue avait l’air minuscule dans la sienne. Kai avait simplement grimacé sa douleur plutôt que de la vocaliser, mais intérieurement elle hurlait. Le but, derrière cette inhibition de douleur, était de ne pas paraître faible. Ç’aurait sûrement donné un sentiment de supériorité à celui qui lui avait infligé cette peine. Un ogre.
Ce même ogre, d'un air ténébreux, lui avait demandé pour qui elle se prenait. C’est vrai ça, pour qui elle se prenait, à interrompre une scène de harcèlement scolaire tout à fait banal ? Batman ? La présidente du conseil des élèves ? Un bon samaritain ? Après tout, elle n’était qu’une petite nouvelle. Toutefois, si ses parents lui avaient bien enseigné une chose, c’était qu’il était important de se dresser contre toute sorte d’injustice.
L’adolescente était simplement incapable de laisser quelqu’un dans la galère. Elle préférait souffrir quitte à aider, que d’être passive et en bonne santé. C’était une part si importante de sa personne qu’on aurait pu dire que c’était juste ancré dans son ADN : Kai se souciait des autres comme elle aurait voulu qu’on se soucie d’elle-même.

Mais la séance de torture n’était pas terminée pour autant. Le titan avait continué à gauchir sa main, en la qualifiant de «gamine». Oh. Mlle bint’Ismail avait l’air d’une gamine mais elle était loin d’entre être une. En réalité, ce genre de commentaires sur son physique l'agaçaient au plus haut point. – c’était une f.e.m.m.e !  Bon... Un petit bout de femme – mais quand même! Ça restait une femme presque adulte ! Alors la colère commença petit à petit à bouillonner. En plus, ce pseudo-vilain venait de prétendre qu’il s’agissait des toilettes des hommes (lol, comme si Kai pouvait se tromper).

Ah. Le voilà qu’il s’approche et tente de l’intimider du regard. C’est peine perdue, elle le soutient, ce regard. Elle l’observe avec une expression déterminée, qui montre qu’elle ne se laissera pas marcher sur les pieds. Ce grand costaud pouvait avoir la supériorité physique mais jamais non jamais il ne la dominera sur le plan mental.

D’un coup, elle perd son équilibre à cause de lui et tombe sans grande douleur. Il relâche son emprise. Son premier réflexe est de secouer sa main, la tête baissée. Ah. Aïe, äie, aië-ayayayayayayaïe. Vraiment, qu’est-ce que ça faisait mal.
Il parle, mais elle ne l’écoute pas.

La Somnusienne lève simplement son autre main vers son tortionnaire comme pour lui signifier de s'arrêter.

« Je suis pas une gamine. J’ai 17 ans ! Sois gentil, laisse moi réfléchir une seconde.

Kai ferme les yeux, assise en tailleur. Une fois que la douleur s’est évaporée, elle croise les bras. Son opposant avait auparavant posé une question cruciale : qu’allait-elle faire ?

Son cerveau et ses deux neurones - dont, rappelons-le, l’un était cannibale – tournent à plein régime. Que faire dans ce genre de situation ? Kai n’avait aucun moyen de gagner. Sa force était équivalente à celle de 3 mouches réunies. Sa capacité à établir des stratégies, elle, était similaire à celle d’un enfant. Elle se sentait submergée. Pas par la peur, mais plutôt comme si elle était coincée entre quatre murs, sans aucune issue.

La jeune demoiselle prend son temps. Mais elle a finalement un plan !


Quoi... ?! Vous auriez fait quoi, vous ? Mlle bint’Ismail ne voulait pas s’attirer plus de problèmes. À la place, allait simplement aller snitcher. Balancer quoi. Appeler un prof. Dénoncer ce bonhomme. Faire en sorte que cet évènement soit gravé à jamais dans son dossier scolaire. Qu’il se retrouve expulsé. En plus, l’autre élève était hors de danger. Ce figurant... Voilà le plan. Alors...

Kai ouvre finalement les yeux.

Et les referme immédiatement.

Parce que… Eh bien, pudeur oblige.

Il avait retiré son futal.

C’était quoi ça ? Pourquoi il a retiré son pantalon ce mec ? C’est un dégénéré ? Ou alors c’est moi qui me fait des films ?

Mais non. Quand elle ouvre les yeux, les deux jambes sont là, devant elle. Donc elle les referme plus vite qu'un volet cassé. Un fourmillement étrange parcourt son corps, comme si elle avait utilisé son Somnus. Alors Kai finit par comprendre ce qui se passe. C’était elle. Elle qui prévoyait de fuir, sans s’attirer plus de problèmes avec ce grand gaillard… Ah. Quelle poisse.

Et puis, elle entend « clic » Toujours assise, elle se tourne vers le son et ouvre les yeux.

Le figurant ! Ce sale figurant qui avait énervé le grand méchant loup au départ. Il venait de prendre une photo et de se barrer en courant ! Quel vaurien, il avait même claqué la porte derrière lui. Kai bondit alors pour rejoindre la sortie, sa mission était terminée - Il fallait juste courir ! S’enfuir ! Alors que sa main était sur le point d’agripper la poignée de la porte… Celle-ci disparaît aussitôt, lui arrachant une grimace d’horreur sur le visage.

La voilà bloquée. Hahaha. Quelle ironie. Fichu Somnus. Tu étais à la fois le héros de Kai…


Et en parlant d’ennemi, en voilà un derrière elle. Elle ne se retourne pas directement.

Parce que… Eh bien, pudeur oblige.

À la place, Kai pose ses mains sur ses yeux et entr’ouvre ses doigts de façon à ne voir que la partie supérieure du géant. Tout s'était enchaîné si vite. Alors elle inspire un grand coup.

Quelque part, sur un site de pseudo-journalisme qui forçait à accepter les cookies il y avait un article expliquant que c’était une bonne idée de distraire un animal sauvage s’il attaquait.

« ...Tu sais, les réseaux sociaux de nos jours, c'est plus si en vogue… C'est "has been" comme on dit... Hahaha... Plus personne ne les utilise. Hahaha. Ah. Et... Il pleut beaucoup ces jours-ci, hein ? Jet'avaisditqueçaallaitpasêtrejolihahaha. Fallaitm'écouter,idiot,hahaha.

Kai avait lu cet article. Pour le meilleur ou pour le pire.

Mais pourquoi s'inquiéter autant ? Au final, il n'y avait aucun signe que Kai était responsable de... cet incident. N'est-ce pas ?

Soulevée par le col de la main de son opposant au regard meurtrier... Kai se fait promptement critiquer, malmener, et menacer. Ah la politesse, la gentillesse, le pardon, et la bienveillance... Ces qualités se perdent vraiment de nos jours.

Ce type agaçant - qui devait sûrement boire une tasse de thé parfumée à la rage, dont l'eau était bouillante de colère chaque matin - lui demande de faire réapparaître son pantalon. Ah. Elle fut surprise en deux temps. D'abord... Il avait compris que c'était elle - en même temps il n'y avait pas énormément de potentiels coupables ici - et ensuite, la nature de sa demande, bien que tout à fait raisonnable lui était impossible.

Incapable de maîtriser son Somnus, elle se retrouvait dans l'impossibilité de faire réapparaître quoi que ce soit. De plus, son pouvoir n'admettait pas la réapparition, seulement la dématérialisation.

Kai observe cet individu aux yeux clairs et au nez très légèrement tordu. Ce camarade Somnusien qui la malmène sans le moindre scrupule. Qu'avait-elle fait pour le mettre tant en colère ? Était-ce parce qu'elle l'avait traité de naze ? Empêché de nuire à autrui ? Éliminé son pantalon de la surface de la terre pour les 6 prochains mois ?

Apparemment, si elle ne cédait pas, il allait lui enfoncer le crâne "illico presto." Ah-hahahaha... Super ! Pas inquiétant dutoudutoutdutou.

Et d'un coup, sans sommation, on la balance contre la porte. Kai se cogne la tête et le dos dans un grand fracas. Ça fait un mal de chien. C'était la première fois de sa vie qu'on levait la main sur elle d'une quelconque façon. En Malaisie, elle ne s'était jamais battue, et n'avait connu que le confort et l'amour de ses parents. La jeune femme avait toujours été appréciée de tous... Par conséquent, cette situation la dépassait un peu. Mais c'était la dure réalité de la vie, il fallait s'y faire. Alors elle reste au sol un moment, elle vient toucher de sa main l'arrière de sa tête, là où l'intensité de la peine raisonne le plus fort. Grinçant des dents, le visage déformé dans une grimace de douleur. L'expression de son affliction se cantonne à un simple murmure. "Aïe..."


La Somnusienne ne voulait pas l'admettre, mais elle était si fragile. De cette légère altercation elle en garderait des bleus pendant des semaines. Et si leur interaction se poursuivait dans cette direction, si le géant finissait par mettre ses menaces à exécution, elle finirait par retourner à l'hôpital.

Ah. L'hôpital, qui fut pendant si longtemps sa maison. Rien que l'idée d'y poser un pied en tant que patiente suffisait à lui donner la chair de poule, et pour la première fois depuis qu'elle avait rencontré cet énergumène, la crainte la saisit. Le genre de crainte qui serre la poitrine, qui fait retentir le coeur bruyamment. Étrangement il ne s'agit pas de la peur de l'autre... non. Le géant ne l'intimide pas. Mais les conséquences de ses actions, si.

D'autres menaces éclatent. La photo qu'on avait prise de cette racaille allait être la cause de sa perte. Ce type qu'elle avait sauvé, n'aurait-il pas pu l'aider en retour ? Lorsque la jeune femme lève la tête, le titan aux yeux brillants à les bras croisés... L'image est drôle, à moitié dévêtu. Toutefois, l'instinct de survie la garde de se moquer... Ça, elle le fera plus tard.
Notre Kai se lève donc. Doucement. Elle prend son temps. Encore. C'était une façon qu'elle avait de défier l'autorité que cet homme tentait de lui imposer. Répondre en ses propres termes et pas avec les siens, ne jamais le laisser croire qu'il avait une emprise quelconque. C'était là un non-dit perceptible pour quiconque tentait d'établir sa domination. La tête baissée, les jambes avancent. Doucement, encore.

 - D'accord, d'accord... Je vais faire revenir ton pantalon et la poignée, mais laisse moi passer - J'ai besoin de place... Ah... Mon bras me fait si mal ! Fait-elle d'un air dramatique.

Elle dépasse le jeune homme, et se tourne vers lui. Et pendant qu'elle masse son épaule, elle jette un coup d'oeil à la cabine.
La cabine d'où elle était sortie en premier lieu, où cette histoire avait commencée. Puis elle lève les bras comme pour jeter un sort.

- Bon... T'es prêt ?

....Bibbidibobiddiboo-

Aussi rapide qu'un mangeur de compétition, elle se réfugie dans la cabine et ferme le loquet. La voilà en sécurité pour le moment... À moins qu'il n'arrive à passer en dessous... ou au dessus... Ou voire même... À enfoncer la porte...

Ok... Il s'agissait d'un refuge plutôt bancal, en fait ! Mais elle n'avait pas prévu de le laisser s'introduire dans ce fort qu'elle avait prit d'une quelconque façon. La jeune femme bondit sur les W.C et fait face à son ennemi qu'elle peut voir depuis l'ouverture supérieure de la porte - à condition de tendre le cou. Sur la pointe des pieds, agrippée à la porte et armée d'une brosse de toilettes qu'elle avait saisi dans la foulée. Mlle bint'Ismail inspire un grand coup, et déballe sans pause dans un rugissement tout ce qu'elle a sur le coeur.

 - TOI ! ESPÈCE DE PAUVRE TYPE. COMMENT OSES-TU LEVER LA MAIN SUR MOI ! -

Pendant qu'elle parle, celle-ci passe son bras au dessus de la porte et brandit la brosse dans tous les sens. Certaines gouttes de... ?... viennent atteindre le pauvre homme sans pantalon.

- Ne me traite plus JAMAIS de nabot c'est clair !? C'EST TOI LE NABOT ! Et je peux pas faire réapparaître ton pantalon, ALORS MAINTENANT ASSUME TA VIE DE DEMI NUDISTE SANS DIGNITÉ! ... Il reviendra tout seul dans 6 mois ou un truc comme ça ! PAUVRE TYPE ! T'as pas honte de lever la main sur une femme !? NABOT DÉPRIVÉ D'HUMANITÉ-

Bon, tout n'avait pas forcément de sens mais c'était ce qu'elle avait sur le coeur. (Et elle s'était cognée la tête...) L'avoir critiquée sur sa taille, ça... Ça ! Ça lui avait fait vraiment mal. Mais elle n'avait pas fini. C'était parti pour la partie deux de la tirade Kaiotique. Au vu de son débit, elle pouvait entrer en compétition avec Eminem n'importe quand.  En réalité, elle avait continué de parler tout ce temps sans s'arrêter mais il ne s'agissait que d'insultes dignes d'une primaire alors la narratrice avait préféré couper à l'édition.

- EST-CE QU'ON PEUT DIRE QUE C'EST DE MA FAUTE TOUT CE QUI SE PASSE ICI !? Je ne suis coupable que d'avoir essayé de défendre mon bien aimé camarade ! Ce traître ! Pourquoi tu agresses les gens comme ça hein !? Dans les toilettes des FILLES en plus !? C'est à cause de personnes comme toi qu'on aura JAMAIS la paix dans le monde !! --- ET OUI, D'ACCORD !  J'admet ! J'ai fait disparaître ton pantalon et ce mec à pris une photo et c'est un peu à cause de moi ! (D'ailleurs tu avais l'air ridicule en tapant des poses tout à l'heure) Maiiiis - C'ÉTAIT UN ACCIDENT!  Bon, écoute mon cher camarade. Faisons la paix, tu veux ?! ON DOIT S'ENTRAIDER entre Somnusiens !

Kai reprend sa respiration, c'était fatiguant de parler en accéléré dans la vraie vie. Mais même essouflée elle ne perd pas le nord.

- Négocions ! Je vais... récupérer la photo !... Et te trouver un... pantalon ! N'attentes plus jamais à mon intégrité physique d'une quelconque manière. Deal !?



 

Ah, Kai, Kai, Kai, Kai, Kai. La pauvre petite Kai. Elle ne méritait pas ça. Elle mériait mieux. La porte était censée la protéger, la porte était censée être son bouclier… Mais la porte avait failli à sa mission. Ses options de marchandage étaient à prendre, pas à ignorer. La situation aurait pu s’arranger n’est-ce pas ? La jeune femme aurait pu s’en aller, récupérer la photo, et lui trouver un pantalon…

Mais non.

La bête furieuse à laquelle Kai faisait face ne semblait pas disposée à suivre cette voie. C’est pourquoi, dans sa colère elle détruit l’entrée de sa forteresse, la faisant tomber au passage. Oh, les égratignures, nous n'étions plus à ça près. Kai est faible. Elle a mal. Et la voilà, l’affreuse créature titanesque qui s’étend en longueur sans jamais s’arrêter. Ce n’est pas juste d’être aussi grand ! Il déblatère encore des paroles de haine, apparemment elle l'avait bien énervé. Qu'est-ce qu'elle avait fait de mal !?

Enfin bref, Kai n’a pas le temps de se poser plus de question. Oui, parce que soudainement elle goûte l’eau des toilettes. Salée. Bizarrement. Écœurant. Celle-ci n’arrive pas à y croire. Il l’avait violemment saisie par l’extrémité de ses cheveux. C’était la première fois de sa vie qu'elle avait le profond et sincère désir d’être chauve. Mlle Bint'Ismail ne peut pas respirer, elle boit la tasse... beurk.

J’ai de la peine pour toi, Kai. Tiens bon, ça ira.

Elle se rappelles de ta famille, dans ces moments là. De son père, précisément. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire, là tout de suite ? Sirotait-il tranquillement du Limau Ais, assis sur son divan et en lisant le journal comme à son habitude ? Et sa mère ? Était-elle en train de filmer son processus culinaire afin de le partager sur Pacebook ? Ils n’avaient aucun moyen de savoir ce qui était en train de lui arriver. Kai avait l’impression d’être dans un film. Un film dans lequel l’héroïne souffrait au début et finissait bien à la fin.

Ah, retour à la réalité, mais surtout à la surface. Il lui serre les cheveux. C’est une séance de torture de la mafia Russe ou quoi ? La petite femme voudrait simplement retourner dans son lit. Elle a peur, pour la première fois depuis le début de ces évènements. La suite ne semble pas rose. Est-ce que je vais mourir ? Est-ce qu’il va vraiment me tuer ...? Ces questions l’impactent. Son bourreau rejette sa tête vers l’arrière. Voilà son souhait : qu'elle fasse revenir la poignée de porte des toilettes.

Mais en fait, Kai… n’est ni un génie, ni un technicien. Son pouvoir, c’est la dématérialisation… Pas la re-matérialisation, ni même la matérialisation tout court. Autrement dit, la Malaisienne n’était en aucune mesure capable d’exaucer son vœu.

Alors elle se mit à rigoler. Doucement… Puis, de plus en plus fort. Non, Mlle Bint’Ismail n’avait pas pété les plombs. Il s’agissait d’un rire sincère, mêlant un tas d’émotions : l’impuissance, le choc aussi, probablement… La peur, l’adrénaline, le tout saupoudré d’un peu de désespoir et fourré dans une baguette de fureur. Un sandwich aussi disgracieux que le fond des W.C.

La vie était intéressante, et bien plus intense que ce qu’elle croyait. Au final, avec des cinglés comme lui… N’allait-elle pas avoir beaucoup à faire à Sajna ? Enfin, ce n'était pas la question pour le moment. Il fallait qu’elle se sorte de là.

- J’peux pas faire revenir la poignée de porte, camarade… Par contre…

Elle plonge d’elle-même la tête dans la cuvette.

Après tout… N’y était-elle pas déjà allée une fois ? N’avait-elle pas déjà bu la tasse de cette eau recyclée et peu propre ? N’avait-elle pas déjà subi cette humiliation ? Une fois de plus, tant pis. Kai finit par ressortir. Elle ne se tourne pas tout de suite, parce qu’elle saisit le pot qui retenait la brosse à toilettes.

Alors la Somnusienne se lève d’un coup, fait face à son ennemi et lui crache toute l’eau qu’elle avait stocké dans son bec, au visage. Kai était surprenamment douée pour viser avec sa bouche. On en apprenait tous les jours, après tout.
Ce n’était pas fini, pendant que le monstre était aveuglé, elle frappe le pot de toutes ses forces contre son entrejambe. Hé oui, comme disait son père : "Si un garçon t'embête... Eh bien, utilise ton avantage, son point faible!" N'avait-il pas raison ?! Son conseil allait peut-être lui sauver la vie.  

A toute allure, poussée par l’adrénaline, ses gestes sont rapides et précis. Elle va sous la petite fenêtre qui était à l’opposé de la porte, en hauteur. Celle-ci était si étroite que seul un poids plume aurait pu passer. Parfait pour Kai. C’est dans une prouesse formidable que la jeune femme parvint à se hisser là-haut…  Jamais en temps normal elle n’aurait été capable de faire ça, mais sa vie était en danger et c’était comme si elle n’était plus maître de son propre corps. Elle l’ouvre, et se glisse presque à l’extérieur.

Quand Kai regarde en bas, elle ne voyait que des buissons… Ce n’était pas trop haut. Elle risquait tout de même de se faire mal… Mais c’était moins risqué que de faire face à l’autre dégénéré complètement furax. La Somnusienne lui jette un dernier regard, lui tire la langue… et se jette en dehors.

Kai atterrit douloureusement. Ouf, rien de cassé ! Pressée, celle-ci se lève. Et si son agresseur venait à la poursuivre ? La course continue, il fallait se cacher. Elle n’était pas encore sauvée. Il n’y avait aucun élève dehors, les cours allaient-ils bientôt commencer ? Pendant que la jeune femme galopait à la recherche d’un refuge, elle rejoignit les couloirs… Et alors que la pensionnaire passait devant les toilettes où elle avait été elle-même prisonnière plus tôt, elle fut surprise de voir qu’il y avait foule. À la tête, le populaire qui avait prit une photo sans pantalon de celui qui l’avait précédemment maltraitée, et l’avait également lâchement abandonnée.

Ils voulaient ouvrir la porte.

Ah…

Bien fait pour lui.