La nouvelle selon laquelle un nouvel élève avait intégré le collège s’était répandue telle une maladie lors d’une pandémie mondiale. La bactérie contenant cette information envahit ton organisme bien rapidement. Maintenant infectée, tu montrais maintenant l’apparition des premiers symptômes : un enthousiasme pathologique. Le nom de ce virus ? « Léo Garcia », mais ça bien sûr… Tu n’allais pas le retenir.

Les rumeurs à son sujet couraient… volaient… gambadaient, même ! Voilà ce qu’elles disaient, lorsqu’elles comméraient entre elles : « Il était mignon. » « Nope, pas mon style. » « Il a l’air d’avoir un passé sombre. » « Il a l'air froid ! » « Il a l'air timide... » mais la plus populaire était la suivante : « Il a pas l'air content d’être ici. »

Alors en bon samaritain, détective, et camarade – tu possédais de nombreuses casquettes – tu avais mené ta petite enquête. Au vu de l’expression qui accablait son visage lorsqu’il venait en cours, Sajna ne semblait pas être sa tasse de thé… ni de café … ni même sa tasse tout court, en fait.

Peut-être n’était-ce pas l’île, mais simplement la tête du pensionnat qui ne lui revenait pas ? Avait-il été arraché à sa famille trop vite ? Se faisait-il harceler !? Tu t’étais épanchée à son sujet, éprise d’une curiosité infantile. Tant de questions venaient toquer à la porte de ton esprit, et ce, sans aucune considération pour l’heure. À défaut d’avoir une réponse, celui-ci se contentait de formuler des hypothèses en guise de faits. Alors, à trois heures du matin, alors que tu étais allongée les bras croisés, l’air fâché, à force de réfléchir et de faire tournoyer en boucle tes pensées… Tu te relevais soudainement en claquant des doigts lorsque la (supposée) vérité vint brutalement t’illuminer.

« MAIS OUI C’EST ÇA ! TAE-O GARDIA À LE MAL DU PAYS !

Ta colocataire s’était réveillée le temps d’un instant, à cause de ta violente épiphanie. Tu l’assommas à coup de « Chhh, rendors-toi, c’est qu’un rêve. »

Il était maintenant question d’échafauder un plan. En bonne camarade pleine de compassion que tu étais, tu avais décidé de le « remettre dans le bain » de son pays d’origine. Mais d’où venait-il, ce Tae-o Garpia ? Était-ce son nom ? Oui pas de doute là-dessus, tu n’aurais pas pu oublier son nom aussi vite ! (Malheureusement c’était déjà le cas, toi et ton incapacité à retenir les noms…)

Il y avait tout un tas de rumeurs concernant ses origines, mais au vu de son appellation… Tae-o !? Ça sonnait Coréen. C’est drôle, il n’avait pas l’air Coréen du tout. Peut-être avait-il grandit là-bas de parents étrangers ? Peu importe. Puisqu’il souffrait du mal du pays… Quoi de mieux que de lui rappeler la nourriture de ses origines ? Et comme tu voulais bien faire les choses, tu avais décidé de l’aider à se remémorer des plats extrêmement rares de là-bas.

Le premier jour, tu avais déposé des intestins surgelés devant sa porte. Il s’agissait de « Sundae (순대) »  Avec la note suivante : « Voilà des intestins de bœuf vapeur, haha. Signé, K. »

Le second, c’était des larves de ver à soie bouillies « Beondegi (번데기) »
que tu avais déposées… Sur son lit. On ne te demandera pas comment tu t’étais introduite là-bas. Tu avais tes relations. Ton cadeau était toujours accompagné d’un mot :  « Voilà des larves, héhé. Signé, K. »


Et enfin, le troisième et dernier jour, tu avais été prise d’un doute alors que tu parlais avec une de tes camarades. Apparemment, Tae-o était similaire au prénom Français « Théo ». Alors dans l'hésitation, tu avais décidé d’offrir des expériences culinaires « rares » de ces deux cultures : Sur son bureau, tu avais déposé une assiette avec un poulpe vivant « Sannakji (산낙지) ».  Ainsi que deux grenouilles (encore vivantes), et un escargot. Recouvert d’une cloche couvre-assiette, et bien sûr accompagnées d'un post-it : « Bienvenue à Sajna, hihi <3. Signé K. »

Maintenant, tu attendais douloureusement en cette matinée que celui-ci entre dans sa classe. En effet, patienter à la fenêtre du 3ème étage, tout en restant cachée, était un effort qui nécessitait une condition physique que tu ne possédais malheureusement pas.

Ce Tae-o n’imaginait pas à quel point ç'avait été difficile pour toi de réunir tous ces aliments et ingrédients dans un si court lapse de temps. Tu avais hâte de voir sa réaction.
Il allait très probablement être ému, et pleurer de joie, n’est-ce pas ? Si ce n'était pas le cas... Tu lui avais préparé d'autres surprises.

Tu n’avais cessé de te démener. À force d’efforts afin de maintenir ta grippe au rebord de la fenêtre du 3ème étage, tes bras étaient engourdis et la fatigue se faisait ressentir aussi intensément qu’elle se matérialisait à grandes gouttes sur ton visage. Ah, bon sang, quand est-ce qu’il allait arriver ce petit Tae-o Garpia ? Ta patience et ta détermination étaient mises à rude épreuve.

Pour faire passer le temps plus vite, tu finis par étudier attentivement un oiseau qui avait fait son nid sur le rebord voisin. Distraire ton esprit était le meilleur moyen de faire preuve d'une plus grande endurance. Ce volatile au plumage tacheté t’observait avec un air de défi. Et puis, il piaille soudainement. Tu ne parles pas l’oiseau, mais tu as très bien compris qu’il te sous-estimait... Alors toi aussi, Kai, tu le fusilles du regard. Un véritable duel de cow-boy. (A l'exception qu'il s'agissait d'un humain et d'un animal.) C'était presque comme si vos yeux s’échangeaient des éclairs. Cette petite guerre silencieuse a eu raison de ton but premier. Ton attention s’est dispersée, et tu as complètement oublié ton objectif principal. Tae-o Garpia. On peut dire qu’il s’est… volatilisé de ton esprit.

...

Enfin, bref.

La jeune femme que tu es finit par réaliser qu’elle est à bout de force. Tu as perdu contre l’animal, et dans tes réserves se trouvent les forces restantes afin de revenir dans la pièce. Appuyée, tu t’élances et soudainement tu arrives à remonter. Te voilà, sur le sol, et boom, tu viens de tomber. Comment ? C’est un mystère qu’il faudra élucider. Alors tu dépends de ton coude pour te relever, mais devant toi se dresse le cadeau que tu avais délaissé.

Le poulpe vivant s’approche dangereusement, ce t’inquiète énormément. Ça ne t’avait pas dérangée de le déposer, tu ne jugeais pas Tae-o -... après tout chacun ses préférences. Culinairement, toi tu aimais tout ce qui était terriblement épicé. Toutefois ce poulpe et ces escargots ? Non, non merci... très peu pour toi. Tu préférerais te contenter d’un bon vieux Roti Canai accompagné de Teh Tarik. Rien d’aussi extravagant. En tout cas, tu te redresses immédiatement.Tu ne l'avais pas remarqué tout à l'heure, mais la table de Tae-o est au sol... qui avait bien pu osé !? Tu t’étais tant investie, tu avais tant cherché ! Le coupable allait bientôt devoir payer… Et tu vois ton petit protégé, l’air furieux... Bien sûr qu’il est en colère ! Quelqu’un a balancé son poulpe ! Son plat préféré !

- QUI !? Tu hurles. QUI A OSÉ FAIRE ÇA À MON AMI TAE-O !?

Ton petit poing vient s’abattre sur le bureau le plus proche, pour un effet à la fois théâtral et dramatique.

- VOUS SAVEZ LE TEMPS QUE CA M’A PRIS POUR TROUVER CETTE NOURRITURE DE CHEZ LUI !?

Tu soupires. Les gens te dévisagent. Sûrement à cause de la crainte que tu inspires... Du moins, c’est ce que tu voudrais. Mais non, en réalité… Tu arrives de derrière la fenêtre et tu t’es mise à crier d’un coup, comme si c’était chez toi. Bien sûr que les gens vont te regarder. Tu te tournes vers le jeune homme pour qui tu avais préparé cette surprise. Ah, sa déception était visible. Même un aveugle serait en mesure de le dire. Son pays d’origine lui manquait tant que ça... Tu avais mit tant de coeur à l'ouvrage. La tristesse s'empare de ton expression de fureur lilliputienne.

- Je suis désolée camarade… Je voulais vraiment que tu manges tout ça...

Par la coquille tu saisis le petit escargot qui tentait de s’échapper, sûrement pour rejoindre sa dulcinée. Toutefois, impuissant face à force colossale, il reste le minuscule et répugnant prisonnier de ton emprunte. Tu le tends à ton cher protégé en guise de rédemption.

- Tiens, prends. Je sais que tu en meurs d’envie... Ça t’avait manqué n’est-ce pas ? Allez, mange.