Le lit de Karna est confortable (ses cotes aussi) mais la situation n'est plus supportable. Tu ne peux pas fuir indéfiniment Cecil, et si tu peux esquiver son regard sans sourire - tu vas devoir retourner un jour dans ta chambre avant que le colocataire de Karna ne se plaigne et te vire.
Tu veux retrouver ton confort, tes affaires.
Le joint calé sous ton tiroir, tes habits de luxe, ton livre d'anatomie, sa sale gueule que t'aimerais bien te faire. Putain Cecil, elle s'est évanouie la prestance du prince. S'est réveillée la conscience du monstre.

En journée pendant les cours, tu te glisses dans la chambre pour récupérer des affaires propres, vas te changer dans les douches et enfiles une tenue tout confort pour sortir en ville. Tu cherches à te rappeler du chemin qui mène au Baron Samedi, le bar de prédilection de Ren et de ses copains sauvages. Le barman te reconnait et tu glisses un petit billet pour qu'il te laisse entrer.
Une fois en bas, tu assistes dédaigneux à un combat pathétique entre deux gueux. Tu identifies un type qui désire monter sur scène plus que tout. Il s'accroche à la corde désespérément. Tu serpentes jusqu'à lui et roucoules à son oreille.

"On es impatient, on dirait."

Il tourne la tête et te toises.
Tu étires un demi-rictus à peine provocant.

— « Je serais ton adversaire si tu veux. »

***

Une dizaine de coup plus tard, tu craches une gerbe de sang sur le tatami. Le corps tâché d'une peinture qui ne reste jamais trop longtemps. Tu tangues et titubes, les poings braqués devant ton visage pour protéger ta garde. Tu prends appuis sur ton talon et encaisses, sans talent.
Tout ce que tu veux, c'est le désespérer. Lui faire comprendre qu'il aura beau frapper, il ne gagnera jamais. Un autre coup et cette fois tu tombes, bouffes le sol dans un gémissement douloureux. L'adrénaline atténue les bleus.

C e c i l.
Ren ?

Sans te relever, tu le vois prendre la relève. Te dominer de sa hauteur, et pourtant il remue la queue comme un camé.

— « Qui est le plus en manque de nous deux ? »

Lentement tu te remets debout. Les doigts à ton nez et dans un craquement sonore, tu le répares. Souffles par les narines d'un air satisfait. Le voir aussi dépendant - c'est exaltant.

— « Je ne te frapperais pas. ARBITRE ! Je veux un autre adversaire ! »

Tu ricanes et t'essuies la lèvre.

— « Je veux pas toucher un mec aussi crade. »

Les épaules en arrière, tu fais un pas en avant. Encore un autre. Un autre, encore. Jusqu'à être face à lui, mais sans le frôler pour autant.
Balayette sans prévenir pour le faire chuter.

— « Parce que je pensais ce que j'ai dis l'autre soir. Tu peux ramper pour avoir mon attention, je veux plus avoir à faire à toi, compris ? »

C'est moi.
Moi ou les lèvres de Karna.

Tu regardes autour de vous, alarmé que les autres garçons dans la salle écoutent votre conversation. Tu n'aimes pas qu'on lave ton linge sale en public, encore moins qu'on fasse croire à une foule entière des délires psychotiques - qu'on sous entende une attitude déplacée pour ton rang et pour l'homme que tu es. Tu plisses les yeux Cecil, menaçant et fais claquer tes dents pour lui imposer le silence.

— « Je te parle car tu viens m'imposer la vue de ton visage grossier. Ne va pas te faire des idées. »

Quand il mentionne Karna tu sens les traits de ton visage se tirer. Tu serres les poings et décides de ne pas répliquer tout de suite.
Mais le va te faire foutre est de trop alors juste avant que l'arbitre ne tourne le dos tu agites ta langue de serpent.

— « Pas loyal, tu veux dire quand t'as fourré ta langue dans sa gorge ? Ou quand tu as tenté de me séduire en la fourrant dans la mienne ? »

Sourire victorieux, suffisant, arrogant - tu te nourris des chuchotements et des regards dirigés vers Darren. La plupart ne semblent pas étonnés mais certains partagent ta vision des choses.
Tu aurais voulu l'asséner du coup de grâce mais il vient se saisir de ton col. Tu sursautes sur l'instant, regardes ahuri le fond de ses yeux vides. Il te hurle dessus et tu restes stoïque. Un peu sonné par l'agressivité dont il fait preuve. On le chope pour le forcer à reculer et tu tentes de garder la face, masses ton col en reculant.

— « Malade, va. »

Tu te recoiffes un instant avant de le provoquer derechef.

— « Et bien éclate moi. Casser du bourge après les avoir séduit, c'est ça ton trip ? »

Craches à ses pieds.

— « Je parie tout ce que j'ai que t'y arriveras pas. »

Toi ? Jaloux ? Et puis quoi encore. Tu te braques parce que tu veux pas l'admettre, tu veux pas lui céder cette vérité qui te brule les entrailles. Mais oui, quand tu repenses à ses lèvres sur celles de Karna ça t'enrage au plus au point. Partir avec lui, c'était une sorte de revanche - parce qu'au fond de toi tu espères que lui aussi est jaloux. Tu veux qu'il abandonne ses salopes qui salissent ses draps pour qu'il ne regarde que toi.

— « Jamais. »

Tu répètes.

— « Jamais je serais jaloux. Tes états d'âme me passent au dessus. »

Vile mensonge, il n'a suffit que d'un souffle sur la braise pour attiser un incendie. Il se jette sur toi pour te coller une droite, te fait basculer en arrière. Tu te tiens la joue Cecil, un peu sonné par cette violence soudaine - et pourtant tu t'y étais préparé.
A peine le temps de tomber qu'il te relève, murmure à ton oreille. Tu écarquilles les yeux, rougies même ! Mais t'as tellement chaud qu'on pourrait s'y méprendre avec de la transpiration.

Et le voilà qui se casse !

— « Lâche ! Reviens te battre ! »

Tu ne supportes pas que ce soit lui qui te tourne le dos. Alors tu abandonnes le combat à ton tour, fais signe à l'arbitre ne pas chercher à te retenir. Tu as la flemme d'affronter les autres, ils ne sont que fadeur face à lui.
Tu lui cours après, remontes les escaliers jusqu'au bar pour le chercher. Il est forcément sorti se fumer une clope. Bingo.

— « Hm. »

Tu te montres, passes une main sur ton front pour en essuyer la sueur. Le défies du regard. Le revoir dans cette allée, ça te rappelle un souvenir amer. Votre baiser. Votre premier et dernier baiser. Avant qu'il ne parte en aimer d'autres. Il t'a rendu fou cette fois-là. Honteux, mais fou.

— « Sympa la gifle. Elle était crédible. »

Tu fais quelques pas vers lui, mains sur les hanches.

— « Mon trip c'est toi. C'est ce que tu as dit. Qu'est-ce que ça signifie ? Je suis pas une minette. »

Tu sais très bien ce que ça signifie Cecil. Ton coeur s'emballe. Oui et c'est bien ça le problème. T'as peur de ce que ça peut vouloir dire - peur d'être celui qui finit piégé alors que tu t'es amusé à piéger les autres toute ta vie. Tu veux pas qu'il te voit à nu pour ensuite se moquer de toi. Tu ne le supporterais pas. Tu le tuerais même. Tu le tuerais !
En attendant, tu baves sur son torse nu et c'était pas prévu. Depuis quand ce genre de corps là t'attire ? Est-ce qu'un corps t'a déjà attiré, même ? Tu ne sais pas Cecil, tu aimes peut-etre juste qu'on te regarde comme lui le fait. Lui ne s'en cache pas et c'est ça qui te plait.

— « Non je ne sais pas. Je veux que tu le dises. Dis-le Ren. Dis-le. »

Il se rapproche de toi, et tu relâches tes bras le long de ton corps, serres les poings sur tes cuisses. Ton coeur ne bat plus, il vrombit carrément. A ce stade s'il continue, il va te lâcher et tu vas claquer dans ses bras. Sa voix rauque, ses cheveux collants, sa petite moustache. Tout chez lui sonne sauvage.
Ses gestes puent la rudesse et toi t'es la métaphore de la finesse. Y'a rien à faire, les opposés s'attirent et toi tu ...

— « Meow. »

Miaules.

— « Meeoow. »

Tu te hisses sur la pointe des pieds pour venir lécher le sel de sa peau, remontes de son cou à la naissance de son oreille.

Le mot obséder. C'est surement ce mot là qui te fait le plus d'effet. Il te donne l'impression de ne pas être comme les autres, confirme ta divinité et ta supériorité. Tu ne l'attires pas seulement... tu l'obsèdes. Tes yeux s'écarquillent de malice, et tu passes ta langue sur tes lèvres pour les humidifier. Déglutis silencieusement sans le quitter des yeux. T'as des papillons dans le ventre et tu bats des cils comme une effarouchée.
S'il savait Ren ! A quel point c'est réciproque.
Mais pas pour les mêmes raisons. Tes pensées sont moins animales que les siennes, plus structurées, plus imagées. Il y a de la réflexion même dans ton coeur quand il laisse le sien parasité par ses pulsions.

— « Je vois. »

Tu te laisses faire prisonnier de son étreinte, toujours sur la pointe des pieds. Tu fronces le nez, relèves les yeux. Est-ce qu'il se moque de toi ? Si c'est de la comédie tu lui feras payer. Parce que pour la première fois Cecil tu ne joues pas.

— « Merci. »

A sa question plus que tendancieuse, tu lui écrases le pied sans violence mais avec force. Appuies sur ses orteils pour les sentir craquer sous ton talon.

— « Je sais bien faire du mal. »

Glisses tes doigts sur sa cuisse, remontes à son entrejambe que tu frôles au travers du tissu épais. Tu prends plaisir à le voir se contorsionner sous la douleur.

— « La question n'est pas de savoir faire mais d'envie de faire. Toi, Ren, tu as envie de me faire des choses ? »

Lueur perverse au coin du sourire tordu.

Tu te noies dans la douleur qui trahit son visage, soupire d'aise en relevant légèrement le menton. Tu réussis l'exploit à le prendre de haut alors que tu es plus petit que lui. Amusé par la situation, totalement déconnecté du fait que tu martèles son pied sous le tien. Il t'énerve tellement Darren, que sous la couche de désir il se faufile une volonté sournoise de le punir.
Tu n'aurais pas cru qu'en le provoquant de la sorte il puisse assumer aussi vite. Il te surprend, à te soulever. Pire que ça ! Il te choque.

Tu perds ton sourire, colle l'arrière de ton crâne contre le mur duquel il t'a coincé. Tu n'es pas à l'aise Cecil car le jeu anodin se mue en un plateau plus sérieux. Déglutis quand il te relâche, te bloque avec son genou. Les cuisses écartées sur la sienne, tu inspires profondément pour contrôler ce corps qui pourrait te lâcher.

— « Que fais-tu ? »

C'est une demande calme.
Bousculée par des déclarations qui n'appartiennent plus au sous-entendu.
Tu sens tes joues s'échauffer, soupire bruyamment d'exaspération. Darren ne fait pas dans la subtilité, ça t'angoisse et ça te fascine. Tu serais un menteur si tu affirmais ne pas te projeter.

— « Alors t'es pédé. »

Ça aussi c'est dit avec beaucoup trop de naturel et pas assez de tact. Tu fronces les sourcils, sens ta pomme d'adam s'agiter sous ses doigts. Ta gorge se bloque.
Tu poses une main sur son torse nu et tournes la tête, adoptes une attitude bégueule. Tu prends un malin plaisir à feindre la timidité quand tout devient concret.

— « Et bien... »

Mais ta respiration se saccade et te trahit.

— « En voilà des jolies rêves... »

Tu resserres les jambes sur la sienne, et te mords la lèvre.

— « Que veux-tu que je te dise ? Je ne partage pas tes désirs déviants. Tu es un détraqué, tu le sais ça ? »

Toi le sais; que tu l'es.

— « Que je te veux ? C'est ça ? »

Tu relèves la tête.

— « Je ne dis pas ce genre de choses à voix haute. »

D'accord, tu te contenteras d'être l'exception. Ça t'arrache un petit sourire en biais, et tu ne peux réprimer ce désir qui grimpe de plus en plus. Tu ne contrôles plus vraiment cette passion qui l'anime, qui t'opprime. Tu es pris au piège Cecil, et pas dans la cage qu'il t'impose de son corps. Tu n'aimes pas du tout comment il tourne ça, comment il joue avec toi et se moque de tes réactions. Ton ego en prend un sacré coup.

Il s'approche encore plus, presse son bassin contre le tien. Tu te crispes et rétorques d'un ton cinglant, alerté par la forme qui tire sous son pantalon.

— « Qu'est-ce que tu crois savoir ? Tu ne sais rien du tout ! »

Ton visage s'empourpre - entre colère, gêne et excitation. C'est criminel tes réactions. Qu'il la ferme ! Tu tournes la tête quand vos lèvres s'attirent et le toises. Il t'a piégé. Ce sale petit con retourne la situation à son avantage. C'est un escroc qui cherche à t'extorquer des aveux.
Tu coupes court au chantage, Cecil et vient l'embrasser pour le faire taire, forces le passage de ta langue pour venir mordre la sienne. Recules brutalement ta tête et la plaques contre le mur derrière toi. Tu ricanes.

— « Tu bluffes très mal Ren. C'est toi qui me cours après je te rappelle. Et tu veux essayer de me convaincre du fait que tu vas lâcher l'affaire ? »

Tu ne lui laisses pas le temps de répondre, viens l'embrasser de nouveau. Grossièrement, bruyamment. C'est humide, charnel et imparfait. Tu glisses sur sa cuisse tout en t'accrochant à ses épaules.

— « C'est suffisant pour toi ? »