Je commence a ressentir des trucs. T'avais lâché ton téléphone sur ton matelas, comme s'il t'avait à l'instant brulé les mains. Dégoûté, écoeuré. Est-ce que t'as bien lu ? Tu comprends pas si Icare se fout de ta gueule, te prank ou s'invente une vie.
Mais ce soir là t'as pas répondu, et le lendemain non plus. Si tu souffrais de la prise de distance d'Icare récemment, cette fois c'est toi qui allait en avoir besoin. Tu lui avais pourtant répété à de multiples reprises : vous êtes amis (meilleurs amis depuis l'enfance même) et rien de ce que vous faites pour vous amuser ne peut altérer cette vérité inexorable. Tu ne comprends pas le moment où ça a pu déraper. Te persuades de pouvoir le ramener à la raison.

Plusieurs jours passent et le malaise est palpable. Tu le croises peu de fois, malgré le fait qu'habituellement vous trainiez ensemble, le voilà qu'il passe son temps avec ses autres potes. Ça t'énerve Arsene, tu veux être celui qui contrôle (et qui distance) mais Icare est déjà beaucoup trop loin pour ça. Le voir entouré t'agace au plus au point.
C'est l'heure du déjeuner, tu lâches ton troupeau et te diriges d'un pas déterminé vers la table où il est installé avec d'autres. Tu les toises un par un et hausses la voix.

— « Dégagez. Allez à une autre table, je dois lui parler. »

Ça te tient tête pour certains, quelques secondes avant que tu ne frappes du pied sur le bord de la table. Tu la fais trembler brutalement et certains repas sautent de leurs assiettes. Ça râle et ramasse les plateaux pour s'assoir ailleurs et tu prends place en face de ton ami. Quoique, ami est-il encore un mot correct pour vous définir ?

— « Tu m'évites. Encore. »

Les traits de son visage sont plutôt tendu et ton large sourire trahit une colère qui enflamme ton regard.

— « Tu pourras pas me fuir éternellement. »

Merde, il revient tout de suite à la charge avec son foutu sms de merde. Tu fronces les sourcils et poses tes couverts lentement à côté de l'assiette. Tu te forces à étirer un faux sourire compatissant et agréable. Il est évident que tu pourrais t'engager dans une guerre que tu regretterais mais ce n'est pas ce dont tu as envie. Ce que tu veux c'est ramener Icare à la raison. Tu inspires profondément sans arrêter de sourire et croises les bras sur ton torse.

— « Icare icare icare. Tais-toi. Tout va bien. »

Tu penches la tête sur le côté pour le détailler dans un léger silence puis la replaces droite et avances lentement le haut de ton corps.

— « Il est clair que toute cette histoire t'a perturbé. Tu n'es pas dans ton état normal et l'ambiguïté de... hm. Ce que j'ai pu faire t'a légèrement... confusé. »

Tu attrapes une pomme sur ton plateau et croques dedans. Tu t'amuses à exagérer la mastication et la reposes, une fois encore pour soupirer.

— « Tu ne le pensais pas vraiment... on se connait depuis qu'on est petit. On est meilleurs amis, ça ne peut pas changer ! Tu es juste légèrement perturbé et je peux te pardonner. Tu comprends ? »

Il est fou comme ton déni Arsene instrumentalise sa condamnation.

Ce n'est pas possible. Pas lui, pas Icare. Mason avait-il eu raison finalement de venir te prendre la tête ? Depuis des semaines tu t'amusais à lui briser le coeur et tu n'en avais même pas conscience. Même pour quelqu'un d'aussi égoïste que toi Arsene, ça fait mal. Tu grognes et tournes la tête quand il te contredit, s'enfonce dans ses inepties. Tu n'es même pas touché, tu es trop dépité pour prendre conscience de la pureté de ce sentiment.

— « Hm. »

Tu n'as même plus faim. Toute cette situation te dégoute profondément. Tu n'oses même pas le regarder dans les yeux, et ta voix s'enraye un peu quand tu te racles la gorge.

— « Je vois. C'est regrettable. »

Ton coeur à l'agonie siffle et murmure - mais ton esprit étriqué refuse de l'écouter, le censure à coup d'ego accablé. Tu oses finalement le regarder dans les yeux, captes son regard avec intensité alors qu'on ne saurait dire si tu le juges ou si tu l'implores. Silencieux, ton seum se mue lentement en ressentiment.

— « Je suis en couple, Icare. On était d'accord que le but de tout ça c'était de s'amuser. »

Le couple, c'est quand ça t'arrange uniquement. A croire que Scarlet te donne une couverture pour ne pas que tu aies à t'assumer pleinement. Soudain, tu tapes violemment du poing sur la table. Si fort que ça a renversé le contenu de l'assiette. Si fort que tout le monde s'est tut après que tu aies crié.

— « PUTAIN ICARE ! TU DECONNES LA ! »

Icare ne veut rien lâcher. Il ne veut pas comprendre et arrêter d'être égoïste ! Il s'obstine à nourrir des sentiments illusoires et inconvenants. Tu lui en veux Arsene, car pour toi te placer dans cette situation c'est la pire des trahisons. Tu t'accoudes à la table, regardes dans le vide un instant alors que lentement tout le monde reprend le fil des discussions. Le brouhaha ambiant reprend et tu restes mutique. Tu l'écoutes parler, se justifier. Ses mots sont comme des coups de couteau. Si ça continue tu vas t'effondrer.

Ça te fait mal au coeur de le voir aussi sérieux. Ce que tu préfères chez Icare c'est son sourire, sa bonne humeur habituel. Reviennent des images moins légères, celles de sa bouche, de ses cuisses, de ses fesses, de ses joues rougies par l'effort, de ses yeux brumeux par les torts. Merde, merde tu t'empourpres. Qu'est-ce qui te prends de penser à ça à table, dans un moment aussi pénible ? Tu t'essuies le front et te racles la gorge.

— « Hm. D'acc. »

T'es amer Arsene. Tu te lèves.

— « Et bien je te remercie I-ca-re. »

Et ton sourire est aussi froid qu'il est cruel. Hypocrite et acerbe.

— « Merci d'avoir clarifié la situation. Elle n'est on ne peut plus claire. Comme de l'eau de roche. »

Tu fais le tour de la table et t'abaisses pour que ton visage se positionne face au sien.

— « Garde bien tes distances, et je vais garder les miennes. »

Lentement tu te saisis de son plateau pour le poser en équilibre sur le tien.

— « C'est pas bon pour ce que t'as. »

Et tournes les talons pour aller les déposer plus loin dans un fracas, sort du réfectoire d'un pas agacé. Tout le monde a compris à ta démarche que ça n'allait pas - et que tu veux que ça se sache.