Tu ne comprends pas. Tu lui avais pourtant proposé de la raccompagner dès début. Dès le début tu as tout fait pour lui faire comprendre que rien n’était plus important que de rester près d’une amie dans le mal. Une amie qui souffre. Que dommage que ce ne soit pas le problème Sacha. Quel dommage que tu ne comprennes rien. Ou alors tu refuses de comprendre tout simplement, tu fais comme si de rien était. Aller savoir.

Je n’ai rien de plus urgent non. Ne t’inquiète pas pour ça.

Il y avait tellement de choses qui t’échappaient au final. Enfermé dans ta bulle. Enfermé dans tes pensées. Enfermé dans ta zone de confort. Tu refuses d’en sortir. Tu refuses d’affronter, non pas le monde, mais Sacha. Toi. Tout simplement. Tu as peur. Peur d’assumer. Peur d’échouer.

Alors toi aussi tu devrais savoir que tu ne me déranges pas. Et surtout, que tu ne me fais pas perdre mon temps. Arrête un peu d’être aussi dur avec toi-même.

Et commence par appliquer tes propres conseils Skye. Un chemin que tu ferais bien de suivre également un de ces jours Sacha. Plus facile à dire qu’à faire pas vrai ?

Tu souries à sa prochaine phrase. Qu’elle soit contente de te voir. Sans vraiment comprendre le sens de ses paroles. Trop occupé à lui rendre son sourire. Trop occupé à penser à elle. Trop occupé à penser au bien être de Skye. Comme souvent avec toi, il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. A force de se renvoyer la balle, je me demande jusqu’où vous irez avec ces histoires.

Alors tu ouvres la marche. Tu t’avances en direction de la sortie, pour rejoindre le campus. Pour rejoindre les dortoirs. En direction de la chambre de Skye. Tu espères juste qu’elle se sente mieux. Qu’elle ait arrêté de s’en vouloir. Qu’elle soit à peine plus rassurée. Si au moins un de ces objectifs a été accompli, alors tu auras réussi à tes yeux. Ta présence n’aura pas été inutile.

Effectivement notre image risque d’en prendre un coup. N’est-ce pas Madame la Secrétaire ?

Tu te permets un léger rire, histoire de détendre l’atmosphère pour de bon. Histoire de passer à autre chose. Rien que le fait de penser à tout sauf à cette soirée pouvait lui être bénéfique. Tu en étais persuadé. Alors tu te décides à poursuivre sur cette voie. A traverser le fleuve de l’inconnu, pour changer davantage de sujet. Pour t’éloigner encore plus des rivages de ces souvenirs.

Dis Skye, tu sais ce que tu veux faire plus tard ? Après tout ça je veux dire. Après le conseil et le lycée.

Tu retiens une moue, elle n’avait pas vraiment répondu à ta question. L’idée était de détendre l’atmosphère, donc tu n’en tiens pas rigueur. Tu l’écoutes même avec un sourire. Et puis, pour être totalement franc, tu n’étais pas non plus sûr de la réponse à cette question.

Il y a tellement de choses que tu dois réaliser. Tellement de promesses à tenir, de rêves à réaliser. Autant d’utopies et si peu de temps. Autant d’espoirs et une seule vie. Ton rêve et le leur. Ton futur leur est dévoué. Ton chemin a été tracé. Tu le savais bien au fond. T’as seule aspiration était altruiste. Tourné vers les autres, tourné vers leur avenir à eux. Tu n’avais pas de futur proche. Tu n’avais pas d’attentes, d’envies particulières. Tu n’avais qu’un souhait. Celui d’être utile. Suffisamment pour accomplir leur demande.

Dans la justice. Représenter l’île à l’extérieur peut-être ? Je ne suis pas sûr. J’aimerai aider les autres, à pouvoir sortir un jour. A vivre librement, ici ou ailleurs. Sans se soucier du regard des autres.


Oui, tu aimerais leur offrir une vie d’insouciance. Une vie libre de toute contrainte, de toute discrimination. Un désir utopique et naïf. Tu en étais conscient. Tu le savais tout au fond de toi. Ce n’était qu’un rêve d’enfant, un rêve irréalisable. Et pourtant, tu voulais t’accrocher à ce songe. Tenir fermement cet espoir entre tes doigts, de peur qu’il s’échappe. De peur de le perdre. De peur de les perdre.

Je ne sais pas encore pour être honnête. Mais je comprends ton désir. J’aimerai qu’on puisse tous s’entendre et se comprendre. Qu’il n’y ait pas de différence ou de crainte entre nous.

Une tâche longue et difficile, elle aussi en avait conscience. Elle aussi elle le savait. Il n’y avait pas de chemin aisé vers cet accomplissement. C’était même perdu d’avance. Peut-être. Probablement. Espérer que chaque être humain s’entende. C’était réellement un rêve de gamin, un rêve égoïste. Les différences et les contradictions sont l’essence même de la vie. Ne serait-elle pas monotone si nous étions tous pareil ? Si nous pensions tous de la même façon ?

J’espère que ton rêve se réalisera Skye. J’ai confiance. Je sais que tu en es capable. Tu es capable d’offrir le bonheur aux autres. Fais attention tout de même de ne pas t’oublier sur le chemin.

Un bon conseil, un conseil d’expérience. Un domaine que tu vis jour après jour. Une lutte intérieure sans merci. Une lutte quotidienne.

Nos pas résonnent à travers la cour, les lieux étant déjà désert à cette heure. Rares étaient ceux susceptibles de traîner dehors à cette heure du soir. Et pourtant elle retient ton bras. Brusquement, votre marche s’arrête. Elle retient ta main, retient ses pas.

Avant de s’avancer vers toi. Réduisant la distance grâce à quelques enjambées. Elle pose une main compatissante sur ton épaule. Un doux contact. Tu restes néanmoins interdit, attendant la suite de sa phrase. Te demandant ce qu’elle pouvait bien vouloir te demander à cet instant précis, au milieu de nulle part, si tard dans la nuit.

Ecouter tes propres conseils. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Honnêtement, ce côté de toi te frustrais plus qu’autre chose. Tu avais horreur de l’exemple que tu renvoyais. Tout simplement parce qu’elle avait raison. Beaucoup l’avaient compris. Tu étais incapable d’appliquer tes propres directives. Incapable de suivre l’aide que tu offrais aux autres.

Un nouveau sentiment de culpabilité s’empara brusquement de tout ton être. Un échec de plus au compteur. Un de plus. Loin d’être le premier, sûrement pas le dernier. Tu soupires intérieurement, tu te désespères. Tu sembles sans espoir dans ces moments, comme une cause perdue. Comme une cause ne valant pas la peine d’être sauvée.

J’essaye Skye. Sincèrement…

Tu détournes le regard. Tu n’as ni l’envi ni la force d’aborder ce débat. Pas maintenant. Pas après une telle soirée.

Mais je vais considérer tes paroles, je te le promets.

Tu l’avais toujours fait, que ce soit les siennes ou celles des autres. Tu les avais tous écouté. Et pas à un seul moment de ton existence, pas à un seul instant. Tu ne t’es pas senti coupable. Bien au contraire.

Allons-y Skye, il est tard…

Tu avais déjà perdu cette discussion, comme les autres. Tu le savais.

L’ambiance avait changé. Probablement par ta faute. Une fois de plus. Comme toujours Sacha. Alors tu restes pensif, le visage tourné droit devant toi. Tu te demandes s’il y avait un réel bon comportement à adopter dans ce genre de situation. Si toutes les réponses n’étaient pas mauvaises. Si rien n’était capable de changer ton caractère. Les gens changent-ils ?

Ne t’excuse pas.

Ce n’était pas à elle de le faire. Elle n’y était pour rien. Tout comme lors de cette soirée. Tout comme lors de ces évènements. Elle n’était qu’une victime de plus d’Arsene. Qu’une victime de plus pour toi Sacha. Vous partagiez ce point commun avec lui. Cette faculté de décevoir ceux qui vous entourent. C’est peut-être cette similitude qui effraie Arsene. C’est peut-être pour ça que vous êtes incapable de vous comprendre.

Elle va être la première à briser le silence. Une initiative que du devrais prendre, probablement. Maintenant il était trop tard de toute façon. Elle l’avait fait à ta place. A force de te faire porter par les émotions des autres, tu finis toujours par devenir inutile, à un moment ou un autre. Ils avaient raisons. Tu n’avais que des mots à offrir, que des paroles à leur consacrer. C’est tout. Rien derrière. Tu sers qu’à ça Sacha.

Elle parle de pique-nique. Rien que cette évocation suffit à t’arracher à tes pensées. Surprenant. Imprévisible. Tu hausses un sourcil sous le choc. Tu ne pouvais pas t’attendre à une telle question. Pas après un dialogue si lourd de sens, si criant de vérité. Tu restes un moment interdit, encore sous le choc, sans savoir quoi répondre.

Oui, bien sûr, pourquoi cette question ?

Tu t’interroges réellement. A quoi bon savoir cela ? Quel intérêt. Ce n’est qu’en entendant la suite que tu finis par comprendre. Alors tu te retournes avec un sourire. Balayant toutes tes pensées négatives, le visage figer dans ce bonheur si éphémère.

C’est une excellent idée ! On devrait faire un pique-nique tous ensemble à l’occasion. Avec eux, ou même avec tous les membres du conseil. Je pense que ça pourrait être sympa. On pourra se détendre et se rapprocher comme ça, que demander de plus !

Des étoiles brillent dans tes yeux. Tu es tout à coup motivés face à cette idée. Animé d’un enthousiasme nouveau à la simple évocation de ce mot. Bien déterminé à réaliser cette tâche. Bien que tu te doutes, que certains seront plus faciles à convaincre que d’autres. Tu penses notamment à Sujin qui semble parfois froide. Ou bien le conseiller des rebelles qui est assez distant. Et pourtant, tu aimerais que tous soient présents. Tu aimerais passer un moment agréable avec tout le monde. Agir comme une équipe soudée, au moins une fois. Tu aimerais tellement que tous les membres soient plus proches les uns des autres. Encore une de tes visions idéalistes.

On doit vraiment organiser ça ! Tu m’as motivé Skye !

Un groupe qui se comprend, qui se soutient, qui s’écoute. Un groupe soudé par des liens immuables, que rien ne semble être en mesure de venir rompre. Un rêve de plus aux yeux de Sacha, une autre utopie irréalisable. Et pourtant, il souhaite tout de même essayer. Que ce soit une cause perdue ou non. Il ne peut se résoudre à baisser les bras. Il ne peut se résoudre à abandonner le conseil, au-delà de ses camarades d’infortunes, ce sont pour la plupart des amis, des personnes que tu as apprises à connaître et apprécier au fil du temps.

Oui, histoire qu’on se rapproche davantage, que ce soit rien que pour parler ou se détendre ensemble, l’idée me semble excellente.

L’air pensif il l’écoute parler. Évidemment, tu n’avais pas l’intention d’utiliser des fonds, que ce soit pour épargner Lloyd ou pour respecter les autres élèves. Tu voulais que cette idée se réalise par votre biais à vous. Seul. Sans d’aides extérieurs, tu n’avais aucun désir de déranger d’autres personnes pour réaliser votre petite sortie.

Je pense pareil pour le coup. On évitera davantage de travail à Lloyd comme ça. Je te fais confiance pour le lieu alors.

Tout sourire tu la dévisages à moitié perdu dans tes pensées. Concentré sur cette idée nouvelle qui germait de plus en plus à l’intérieur de ta tête. Bien déterminé à réaliser cette sortie aussi vite que possible. Et pourquoi pas mettre en place une routine ? Un système pour se retrouver et se détendre périodiquement. Sans avoir à penser à leurs responsabilités, concentrés sur l’instant présent et rien d’autres.

Je l’espère aussi, même si j’aimerai sincèrement que tout le monde vienne. Ce serait une occasion parfaite de renouer nos liens, ou de les nouer tout simplement.

Une occasion parfaite oui. Mais comme elle le soulignait. Cette décision ne dépendait pas que de toi. C’était à eux également de dire si oui ou non cette idée les intéresse. Au fond tu espères sincèrement et naïvement que tous feront l’effort de venir ou au moins d’essayer. Tu ne demandais rien de plus qu’une tentative. Une seule.

Je vais noter l’idée tout à l’heure pour ne pas oublier. Je veux vraiment mettre ça en place rapidement, je ne veux pas que ce ne soit qu’une idée. Je veux la faire cette sortie !

Pris d’un enthousiasme nouveau, tes yeux s’illuminent d’une douce clarté. Cette innocence digne d’un enfant t’animait. Comme si tu ne pensais plus aux évènements de cette soirée, comme si tu étais essentiellement concentré sur ce seul objectif. Celui de rassembler les autres.

Se détendre. Oui, vous en aviez bien besoin en ce moment en plus. Entre l’organisation de l’évènement d’été qui arrive et ces histoires en soirées. Tu étais assez d’accord pour dire qu’un moment de répits offert à tous les membres du conseil ne pouvait qu’être une bonne chose. Aussi étonnant que cela puisse paraître, même toi, tu étais enthousiaste à l’idée de décompresser un peu, de souffler tout en pensant à autre chose.

Rien que le fait de parler avec les autres autour d’un repas tranquille, dans une ambiance chaleureuse et agréable. C’était une vision idyllique, presque parfaite. Si calme, si tranquille. Que demander de plus ? Ton sourire était franc, honnête. Tu étais vraiment impatient à l’idée de participer à une telle sortie.

Ne t’inquiète pas ! Je suis sûr qu’on aura tous des idées, Mason et Lloyd auront de quoi nous occuper pour les jeux je leur fait confiance à ce niveau-là.


C’était le principal. Le fait que vous n’étiez pas seul. Que chaque membre est ses propres qualités et ses propres points forts. Avec un groupe aussi efficace, cette journée risque d’être le meilleur pique-nique jamais organisé. Tu avais la chance de faire partie de tout ça, d’avoir à tes côtés une équipe aussi merveilleuse. D’être si bien entouré. Tu n’aurais pas demandé de meilleur groupe.

Merci Skye, je te fais confiance. Je sais qu’on fera cette sortie. Je ne m’inquiète pas beaucoup à ce niveau.

Tu ne t’inquiète pas le moins du monde même. Tu es serein. Tu es persuadé au fond de toi que cette petite activité se fera sans encombre. Que tout se déroulera bien. Il n’y avait aucune raison de penser le contraire. Tu étais sur ton nuage, volant au grès du vent. Imaginant d’un air béat chaque moment. Chaque émotion.

Et puis, la motivation de Skye était contagieuse. Elle avait l’air tout aussi déterminé que toi. Tout aussi excité que toi à l’idée d’organiser cette petite sortie. Tu lui faisais confiance pour le coup. Tu savais qu’il n’y avait aucune raison qu’elle n’y arrive pas.

Le pensionnat des filles se dessina au détour d’un croisement. La soirée était sur le point de se finir, définitivement. Que d’histoire, que de rebondissements. Au final, tout ne s’était pas si mal passé. Du moins, c’est ce que tu voulais croire. C’est ce que tu espérais. Il fallait juste que ce ne soit pas qu’une lubie.

Je ne vais bientôt plus pouvoir t’accompagner Skye. Je n’ai pas le droit de déambuler dans les couloirs du dortoir, surtout celui des filles, et surtout à cette heure-là.

Des soucis. Tu risquais surtout tout en t’aventurant dans le dortoir des filles en pleine nuit. Une idée futile et inconsciente. Une idée qui n’amènerait du bien ni à toi, ni à Skye, ni au conseil. A personne.

Et puis, c’est pas vraiment mon genre de me promener dans le dortoir des filles la nuit. Je laisse ce plaisir à d’autres.

Tu souris. Il était bientôt l’heure de reprendre ta route. Tu repenses en vitesse à cette soirée. Longue soirée. Les débuts tranquilles, suivis du concert privé de Matthew et de ta séance de danse. C’était pas si mal ces souvenirs en y repensant. Ça passait presque. Puis le drame ne tarda pas à arriver. Drame du nom de Arsène. Qui brisa Scarlet et Skye par la même occasion. Ma sœur qui vomissait dans un coin. En parlant de ça il faudra que tu contactes Mason pour en savoir plus.

Et puis la discussion avec Scarlet sur les toits et celle avec Skye dans la serre. Non vraiment, cette soirée avait été plus que mouvementé. Tu n’avais pas eu un moment de libre. Un moment pour souffler, courant à droite et à gauche. Essayant tant bien que mal de sauver tout le monde. Comme d’habitude. Avec ton fichu complexe du martyre.

Au moins tu te disais naïvement que ton intervention avait été utile pour certains. Rien qu’une personne était une preuve suffisante à tes yeux. Preuve que tu n’étais pas si inutile. Preuve que tu pouvais servir à quelque chose.

Passant une main dans ses cheveux, tu lui caresseras doucement la tête, un sourire triste sur les lèvres. Coupable de devoir l’abandonner par lâcheté. Mais tu ne pouvais rien y faire. Tu n’avais pas le droit d’aller plus loin. De continuer.

J’espère que ça va aller Skye. Repose-toi. Tu en as besoin.


Sur ces mots tu t’écartes. Rompant doucement le contact, lui lâchant la main par la même occasion. Et tu t’éloignes en lui faisant un signe de la main. Un dernier geste avant ton retour. Avant ton départ.

Ta soirée à toi n’était pas terminé. Tu devais encore rédiger un petit compte rendu. Que tu avais bien l’intention de rédiger avant de dormir. En partant du principe que tu en aurais l’occasion ce soir. Ce qui n’était pas gagné Sacha.

Tu te retournes, marquant ton départ. Avant de disparaître. Tu t’étais élancé, tel un éclair. Tel un bruissement de l’air. Tu avais disparu l’instant d’après.