T'as vu le message et t'as paniqué. Vague d'anxiété qui te prend à la gorge. Si tu l'avais soigneusement évité dans l'école et si t'avais arrêté de répondre aux sms c'était pas pour en recevoir un de ce type. C'est tendu que tu te fous en boule dans ton lit, que tu tapes du poing sur la table de nuit. Déclenches d'ailleurs un feu et consumes ta plante verte. Putain. Tu ferais mieux de rester au lit. Peut-être que tu devrais en parler à Sylvestre... Non, elle a ses problèmes. Hm.
Tu pèses le pour et le contre, c'est peut-être urgent. C'est peut-être grave. Ton instinct te pousse à sortir du pieu pour enfiler ton bas d'uniforme. Tu attaches grossièrement ta cravate avant de sortir dans le couloir du dortoir pour rejoindre ceux du lycée. Qu'est-ce que tu fous Ezra ? C'est carrément une mauvaise idée de le laisser se rapprocher, c'est carrément malsain de jouer le jeu après ce que t'as fait. Mais savoir que ce visage-là pense à toi ça te fout les chills et c'est plus fort que toi.
Tu cherches la chambre (la trouves) et l'ouvres après avoir toqué. Une fois face à lui, tu le toises en le découvrant dans son accoutrement. Torse nu, chemise ouverte.
— « C'est quoi ce traquenard ? »
Joues qui se teintent de rose et tu détournes les yeux en grimaçant. Flammes qui crépitent au bout des doigts, tu serres les poings pour les étouffer. T'inquiètes des quelques bleus qui parsèment son corps avant de lever les yeux au ciel : c'est pas ton problème si ce taré de populaire s'attire les ennuis.
— « Putain je sais pas ce que je fous là mais c'était une mauvaise idée, je me casse. »
Impulsion. Ces sms étaient une pure impulsion. Un caprice débile, mais te le répéter n'avait pas empêcher à tes doigts de pianoter sur l'écran tactile, d'appuyer sur le bouton envoyer. Avant que la première insulte ne franchise tes lèvres, le mal était déjà fait. Et tu t'étais senti stupide, sur ta chaise de bureau, à tourner comme un con, le regard figé sur l'écran. Tu t'étais demandé pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi cette excuse bidon ? Tu ne pouvais pas dire qu'il te manquait, tu ne le connaissais que trop peu. Tu ne pouvais pas dire que ses silences t'inquiétaient, parce qu'il avait toujours été silencieux. Alors quoi, Noah ? Bah tu ne sais pas. Parce que la vérité, c'est que tu n'as aucune idée de ce que tu fous. Ezra entre jouet et réel objet de ton intérêt. Tranche avec tout ce que tu connais. Un vent aussi frai qu'effrayant. Est-ce que tu as envie de le torturer ? De le connaître ? De le comprendre ? Est-ce pour tromper l'ennui ? Pour te rattacher à quelqu'un qui pourrait te démasquer ? T'en sais rien, t'en sais foutre rien.
— Mais quel con !
Et tu ne sais pas, combien de temps t'es resté à moitié à poil sur cette foutue chaise à tourner. Quand on toque, ton premier réflexe est de penser à Arsene. Ton second de te dire qu'Arsene n'aurait jamais frappé pour rentrer dans sa propre piaule. Ton troisième de comprendre qu'Ezra s'était peut-être extirpé de son lit pour répondre à ton appel. Ton quatrième, de te dire que tu allais l’accueillir dans une tenue pas trop conventionnelle, avec des bleus sur le corps... Et d'en être étrangement satisfait.
Et quand la porte s'ouvre enfin sur sa tête, tu t'en veux presque pas, Noah.
— Yo.
Il détourne le regard, prend la mouche. Un plaisir mêlé d'amertume. Y a pas que le visage qui le perturbe. Mais au final, c'est lui qu'il voit, pas toi. Si la grimace vaut bien un frisson de contentement, c'est dommage que tu la dois à un mort. Tu pourrais en rester là, après tout t'avais pas de plan bien défini quand t'as écrits ces messages. Qu'est-ce que tu pourrais lui dire ? T'en a pas la moindre idée. Pourtant, quand il va pour tourner des talons, t'attrapes son poignet. Une impulsion, encore. Un caprice, encore. Parce que t'es un enfant capricieux, Noah. Parce que t'es au bord du gouffre, Noah.
— Non ! S'il te plaît ! Je veux dire, y a pas de piège, regarde, je me rhabille.
T'empresse de triturer ta chemise, un peu trop maladroit, tu frôles un de tes bleus et tu grimaces. Quand tu t'acharnes, tu penses à déballer une excuse, un unième mensonge, n'importe quoi. Et tu te souviens, que t'as pas n'importe quoi sur toi.
— Mon costume ! Ouais, j'ai un problème avec mon costume, y a une attache derrière pour le col de la veste, tout seul j'arrive pas. Tu veux bien m'aider ?
Tu le savais, que c'était une mauvaise idée. Le plan, c'était de plus le croiser une seule fois jusqu'à la fin de tes études - et te voilà carrément dans sa piaule. C'est mauvais, malsain, c'est clairement le pire choix possible que tu pouvais faire si tu voulais enfin tourner la page. Mais comment la tourner quand le jumeau maléfique du garçon qu'on a tué cherche absolument à vous parler ? Tu souffles du nez, visiblement mal à l'aise. En colère aussi, contre toi-même. D'être à ce point désespéré pour accepter à ce point de te souiller pour de l'attention.
Il t'attrape le poignet et tu te dégages violemment avant de te retourner et de le fusiller du regard. T'as envie de devenir méchant, Ezra, mais aucune de tes punchlines habituelles ne sort. Tu le regardes silencieux et intense remonter les boutons de sa chemise.
— « C'est sérieux là ? Tu pouvais pas demander à ton partenaire de chambre ? Ou à un ami de ton étage ? Pourquoi tu me déranges pour ça ? »
Tu râles et soupires.
— « J'y crois pas... »
Fais lentement le tour pour te retrouver derrière lui. Tu attaches le col comme demandé, avec précision. Frissonnes au contact de sa peau, détailles la naissance de ses cheveux. Ils sont un peu trop longs. Toujours dans son dos, tu confesses. C'est plus facile quand on est lâche.
— « Je déteste les mecs comme toi. T'es admiré par une bonne majorité de l'école, ils sont tous à tes pieds. Ce que tu fais, c'est juste par pitié. »
Tu resserres d'un point son attache, pour que ça soit bien serré au niveau de son col.
— « Je supporte pas la pitié. Alors si tes intentions vont dans ce sens, arrête. »
Toutes tes actions puent le bancal, Noah. Tu t'embarques dans de la manipulation sans réflexion. Serein et affolé par la fois, destructeur mais pas dénué d'une certaine envie de partager quelque chose d'un peu moins sale, d'un peu plus normal. Pourtant, dans ta tête, résonne que ce type aime, visiblement encore, un cadavre. Qu'il n'est pas si différent des autres, à projeter ses fantasmes sur la copie conforme de si regretté et tant aimé Liam. Mais il a ce truc aussi, ce reproche que personne ne te fait jamais, cette espèce de gêne, vis-à-vis de toi. Tu la détestes cette gêne, mais tu cherches à t'y confronter malgré tout. Est-ce une forme de masochisme, Noah ? Putain, t'es plus tordu que tu ne le pensais.
— Mon partenaire de chambre ?
Les bleus sur ton corps pulsent une douleur supportable, mais pas agréable. Ah. Ton partenaire de chambre. Pas sûr qu'Arsene aurait coopéré... Pour t’étrangler, si, peut être ? Mais mieux valait faire profil bas le temps que la colère redescende. Te compose le sourire le plus rayonnant (mensonger) de ton arsenal. Nan, mieux valait laisser Ars tranquille pour le moment.
— C'est quelqu'un de très occupé et on s'est un peu fâché récemment. Une sombre histoire de goûter volé, j'avais pas tilté que le twinkies sur le meuble c'était le sien.
Tu hausses les épaules, pas besoin d'aller trop en profondeur. Manquerait plus qu'il s’interroge. Arsene, l'un des rares écarts dans ta vie bien rangée (quelle blague), mais que tu n'as aucune envie de rectifier. D'une certaine façon, Arsene te maintient dans la réalité, sa violence, peut-être la seule chose qui t'a empêché de virer totalement taré ces dernières années.
— Et c'est sympa de voir ta bouille ! Quoi, t'es pas content de voir la mienne ?
T'es vraiment le dernier des connards. Ton sourire qui s'élargit quand il finit par céder et se glisser dans ton dos pour venir à bout du bouton-pression. Ah. Il reste. Oui. Oui. C'est parfait. C'est bien. Non. C'est terrible. C'est con. Qu'est-ce que tu attends de lui ? Qu'est-ce que tu attends de toi ? Il crush probablement sur un mort. T'es mort déjà, Noah. Putain. Il te frustre, a balancer ses vérités jamais en face. De dos, tu ne peux pas dégainer tes meilleures armes. T'as que ta voix, mais tu peines à la faire jumelle de celle de Liam. Il te frustre, il te fait chier. Mais plus que tout, tu te fais chier toi, à constater que nombre de tes caprices du moment porte son nom. Un rire léger entre tes lèvres, cependant. Pitié. Ouais, il te fait pitié, à rougir comme un môme face à une contrefaçon, à se dépatouiller avec sa colère aussi maladroitement que toi. Ouais, il te fait pitié. Mais toi, aussi, non, tu te fais pitié ? Et t'es pas un garçon honnête, pas assez pour encaisser l'accusation d'un hochement de tête. Alors le regard tourné vers la porte, tu dis :
— Moi non plus, mais c'est pourtant bien ce que tu ressens en me voyant, non ?
Tu te tournes pour lui faire face. Le sourire doucereux est présent. Est-ce qu'il sait, Ezra, comment Liam pouvait être cruel des fois ? Liam, balançait toujours les pires vérités avec le sourire. Il ne savait pas ce que c'était un air grave. Liam était un gars trop gentil. Et être trop gentil, c'est être cruel. Alors qu'il regarde, comment la beauté fait mal.
— Après tout, je suis le pauvre gars qui a perdu son frère jumeau. Si tu viens, c'est peut-être aussi parce que tu as pitié de moi. Remarque, tu ne serais pas le premier. La pitié, c'est comme tout, on s'y habitue.
Même si en cet instant, tu rêves de le voir sortir de ses gonds. Son mépris, sa haine, c'est bien plus beau que sa pitié ou sa souplesse.
Tu ne sais pas, tu ne comprends pas... T'es un peu à l'ouest alors qu'il parle de son partenaire de chambre. Tu l'as observé, tu sais qu'il la partage avec le leader des populaires - un autre que tu détestes aussi. C'est rare qu'il y en ait un qui trouve grace à tes yeux désormais. Il n'y avait que Liam Pierce pour être l'exception à cette règle que tu as osé souillé. Noah lui ressemble peut-être, dans ses gestuelles, sa voix, son aura, son attitude - il ne peut te tromper toi. Cette pale copie est vaine et surtout trop douloureuse pour que tu acceptes d'en souffrir gentiment, sans te rebeller.
— « Ma... bouille...? »
T'es encore plus confus Ezra, fronces les sourcils alors que des élans de violence te prennent aux tripes. Tu serres les points, te mords la lèvre et tournes la tête pour te retenir. Inspires, expires. Concentre-toi, Ezra. Ton mental et tes exercices sont plus forts que cette voix insignifiante qui t'ordonne de tout retourner dans la chambre, de tout casser, de te jeter sur lui pour le frapper au sang. L'oeil gauche vibre un peu dans son orbite et tu plaques tes mains sur tes joues d'un seul coup pour te sortir de cet état de transe.
— « Hm. »
Tu recules et t'autorises à t'asseoir sur le lit derrière toi. Tu lèves le menton vers lui. C'est vrai que tu as un peu pitié, quand tu le regardes. Pas pitié de lui - mais de cette situation et de ce deuil que tu lui as imposé.
— « Je suis désolé. »
Merde. Ferme ta gueule !
— « Pour Liam, je veux dire. »
Tu portes ta main à ton front, la paume pour dissimuler un de tes yeux.
— « Ça n'a pas du être facile. »
Tu te filerais carrément la gerbe à compatir comme ça.
— « Mais je ne te regarde pas avec pitié ! »
Tu t'es levé d'un seul coup, comme si cette affirmation avait besoin d'être portée par le mouvement de ton corps. Tu te rassois, penaud et détournes le regard.
Sa lutte intérieure, sa guerre, si visible. Tant que ça en est risible. Qui lutte à ce point avec aussi peu de pudeur ? Tu ne sais pas, si c'est par manque de retenue ou si c'est parce que la tempête est si forte... T'aimerais qu'elle le soit. Vu comme ça, il semble sur le point de te déchiqueter et l'idée ne te déplaît pas. Tu n'as pas spécialement d'attache à la vie, mais pas d'attrait à la mort non plus. Pas nécessairement par lâcheté, juste par omniprésence du vide. Tu es anesthésié, Noah. À l'avenir, à l'espoir, à toutes ces choses qui poussent la jeunesse à avancer. Dans le néant, il n'y a que la violence qui semble pouvoir te bousculer. Celle d'Arsene, de ses mots, mais rien ne te semble comparable à ce que, lui, pourrait t'infliger. Alors t'es d'une certaine façon déçue, Noah, de le voir s'asseoir, comme vidé. T'aimerais qu'il arrête de lutter, qu'il arrête de se retenir, t'aimerai qu'il te fasse ressentir quelque chose de vrai. Rien qu'une seconde. Rien qu'une fois. Te sortir des mensonges, même si c'est juste pour avoir le goût métallique du sang sur la langue.
Et il faut qu'il parle, évidemment, qu'il déjoue les espérances. Déception, l'espace d'une seconde tu n'as que du dégoût pour lui. Perds ton sourire, perds ton éclat, sur ton visage, alors que sa main le cache à toi, tu t'autorises le visage fermé. Parce que t'en as rien à faire de sa pitié, rien à faire de ses excuses, rien à faire de sa considération de merde. Qu'il soit désolé tu t'en branles, Noah.
Putain, qu'est-ce que tu fous ? Bouscule moi... Arrête de chouiner... Bouscule moi putain...
Je te déteste, en réalité.
Ah.
Oui.
Enfin.
Tu t'es accroupi entre temps, pour être à sa hauteur. Quand il s'est levé, t'as levé la tête, quand il s'est rassis, ton visage à suivi. Mais il a fallu attendre cette confession pour qu'enfin tes yeux s'agrandissent, pour qu'enfin le cœur sonne moins creux que le reste du temps. Juste le temps d'un battement, mais ce fut libérateur. Ah. Enfin. Il l'admet. Il t'en veut. Il te déteste. Parce que c'est toi qui restes. Pas Liam. Pas celui qu'il attendait. Pas celui dont il rêvait. Enfin un qui l'assume. Que ça n'aurait jamais dû être lui. Que ça aurait dû être toi.
— Merci.
Probablement le mot le plus honnête que tu as sorti depuis qu'il est parti. Sur ton visage rien qu'un sourire. Mais les mots crus.
— Je te déteste aussi, tu sais ? Je déteste tes regards que tu n'assumes pas. Je déteste cette fausse distance qui crève d'envie. Je déteste que tu n'aies pas le courage d'assumer que je te fais penser à lui, que tu me détestes pour ça. Parce que c'est lui que tu voudrais voir en face de toi, pas moi. Tu n'es pas le seul, tu sais, à me détester. Mais tu es probablement le seul à le dire à voix haute.
Et tu ne sais pas, ce que tu fou, ce que tu veux. T'as posé tes mains sur ses genoux pour prendre appui, t'as approché ton visage. À quelques centimètres de ses lèvres. T'as hésité. Une seconde. Tu ne sais pas. Tu t'éloignes. L'envie là. Mais le goût de la bile dans la gorge qui te stop.
— Sens libre de me détester. Je préfère ça à la pitié.
Et le regard qui se détourne. Tu ne sais pas ce que tu fous, Noah. Il te rend fou, ce type. C'est encore plus tordu que toi.
Merci. Tu écarquilles les yeux, remontes le regard pour trouver le sien. Ton coeur bat à cent à l'heure, pourquoi est ce qu'il te remercie ? Non, il a pas le droit. C'est indécent, il a tout faux. Tu nages dans la honte Ezra, et quand finalement t'embrasses la lueur de la rédemption, que ton âme s'allège un peu - il revient l'alourdir d'une charge mentale qui te coupe le souffle. Lui aussi il te déteste, il déteste ton regard, il déteste avoir pris sa place quand tu lui détestes de lui avoir pris tout court. Tu serres les dents.
— « Il aurait été plus simple pour tout le monde que tu ne fasses pas ça. Que tu ne le remplaces pas comme si de rien était. Tu devrais être toi même. »
Ça serait moins dur de te devoir le regarder, s'il n'était pas aussi... aussi identique. Mystérieusement dramatique. Quand il plaque ses mains sur tes cuisses t'es archi mal à l'aise. Tu te figes et accueilles son souffle comme un vieil ennemi. Tu t'en veux un peu de ne pas bouger la tête, de ne pas avoir de mouvement de recul, comme si tu étais ok avec l'idée que ça puisse arriver. Putain.
— « J'ai rien à assumer, merde. »
T'as quand même commencé à fermer les yeux, à te laisser aller. Quand il recule, c'est une nouvelle couche de gêne et de malaise qu'il dépose délicatement sur le haut de ton crâne. Tu respires plus rapidement, étires ton corps quand tu déposes tes bras derrière toi. Le torse bombé, les idées noires.
— « Tu... tu fous quoi là ? »
T'exploses. Il te croit né de la dernière pluie ? Bon peut-être un peu, parce que t'as les joues rouges et le reste du corps blême. Tu fronces les sourcils et avances vers lui, le pousses violemment de tes deux mains sur son corps. Tu hausses le ton, parce ce que tu as à dire ne peut pas être seulement murmuré.
— « Parfait ! Alors détestons-nous et ne nous adressons plus la parole ! Reste loin de moi ! »
Et moi, loin de toi. J'en crève.
— « Rien à foutre de ta petite crise existentielle. Tu peux crever aussi, je m'en branle pas mal. »
Putain, ça tambourine dans ta tête. Tu l'as poussé contre son bureau et la chaise s'est barré sur le côté. T'as le regard aussi noir que ton coeur qui pourrit.
Il a des mots plein de sagesses, lui. Ouais, ça aurait été plus simple, plus sain, plus tout. T'es le premier à le dire, ça aurait été mieux. Seulement, tu n'as pas choisi. C'était nécessaire, pour les autres, quelque part aussi pour toi. Lui en moins, il avait fallu apprendre à voler seul. L'imité, devenir ce qu'il ne serait jamais plus, quelque part, ça a permis de voler à deux encore un peu. Même si tout est vicié depuis, même si tu ne saurais dire depuis quand tout est devenu à gerber. Tu as fini par te noyer dans tes contradictions, dans tes mensonges, sans plus rien faire pour regagner la surface, parce que rien ne t'attend là-bas. Et il a été un souffle d'air, Ezra. Cette petite bulle distordue et ridicule qui rappelle qu'il y a de l'oxygène quelque part. Et tu ne sais pas, Noah, tu veux la détruire ou l'avaler toute entière, cette bulle. Peut-être un peu des deux. Et c'est peut-être parce que t'es aussi ambivalent que quand il te pousse, que tu percutes le bureau de dos, tu comprends que tu l'as bien chercher.
— Ah ! Ça t'es donc si insupportable que ça que son visage puisse te détester ?
La tête renversée vers le plafond. Dans ton dos pulse la douleur vive d'un bleu qui rencontre un nouveau choc. Et si la larme brille au coin de l’œil, c'est le rire qui gronde dans le fond de ta gorge. Rire que tu expulses, parce qu'il aussi paumé et tordu que toi, parce qu'il est frai dans sa violence, beau dans ses propres contradictions. Ah. Putain. T'as trouvé aussi laid que toi, Noah.
— Faut savoir ce que tu veux ! Je dois encaisser que tu me détestes, mais je n'ai pas le droit de faire de même sans que tu me frappes. Tu ne te trouves pas injuste et contradictoire parfois ?
Tu te redresses, secouer par le rire alors que tu passes une main sur ton visage. L'espace d'une seconde, tu le regardes, tu souris. Si laid. Si fébrile. Si bancale. Comme toi.
— Ah, putain.
Grogne sous la douleur. Une main timide sur ton dos, t'as pas envie de demander à Arsene te passer de l'arnica, mais il va bien falloir, fait chier. Tu t'approches. Rien à foutre qu'il te frappe encore, qu'il explose, puisse-t-il t'emporter si ça lui chante. T'es pas assez bon joueur, Noah, pour concéder le coup sans le rendre.
— T'es comme les autres, t'entend que ce qui t'arrange. J'imagine que c'est plus simple de réfléchir qu'une fois sur deux, hein ?
Tu saisis ses bras.
— J'ai dit que je détestais ta lâcheté, pas ton honnêteté, ni toi d'ailleurs. Mais ça, tu vas me le reprocher aussi ? Sans me laisser te reprocher en retour que c'est insupportable de te voir me bouffer du regard sans me voir ? T'as pas besoin de me dire d'aller crever, t'es assez clair dans tes souhaits, Ezra.
Est-ce qu'il a jamais prononcé son prénom ? T'es presque sûr que oui. Si tu dois crever, qu'il vienne crever aussi. Tu l'as assez dit : t'es mauvais joueur, Noah.
Il te rend fou putain. Il te rend fou avec ces mots qui sonnent faux. Il te rend fou à retourner la situation. C'était pourtant simple : vous n'avez rien à vous dire et vous devez rester au stade ou vous étiez depuis le début : nul et non avenu. Tu déglutis quand il rigole, sens la colère grimper de nouveau en flèche. Tu te sens souillé Ezra, sous l'éclat de son rire à gorge déployée, sous la flamme de ses iris moqueurs et courroucés. Murmures sans réelle conviction, dents serrées.
— « La ferme... »
Sa vérité te percute. Oui, tu ne supportes pas. Tu n'arrives pas à accepter qu'il soit encore là au travers de lui, de Noah. N'arrives pas à assumer tes sentiments passés, ton attirance d'aujourd'hui car c'est après un fantôme que tu cours et la culpabilité de l'avoir arraché ne cesse de te hanter.
— « Qu'est-ce que ça peut te faire ?! On se connait pas. On... Putain. »
C'est tout comme non ? Vous vous connaissez car tu as épié toute sa vie, tu t'es torturé pendant des années à l'observer. Vous vous connaissez car lui a remarqué, t'a remarqué en retour à tes espionnages incessants, tes coups d'oeil délirants. Il attrape tes bras en se relevant, encore tremblant et hilare et tu tires pour te dégager, mais n'y arrives pas. L'écoutes à moitié (et lui donnes raison) ; la lèvre en sang à force de te la mordre. Si tu laisses éclater ton pouvoir ici c'est fini. Les flammes crépitent au bout de tes doigts et tu serres les poings pour les étouffer, comme à ton habitude.
— « Lâche-moi... Je ne te dévore pas... du regard. »
T'as la respiration saccadée.
— « Je vais t'enculer, putain. Ferme ta gueule une bonne fois pour toutes. »
Tu détournes le regard.
— « J'aurai jamais du venir ici. T'es vraiment un sale con. »
Tu dégages un seul de tes bras pour le gifler. Le regrettes instantanément - dans une grimace horrifiée. Putain tu peux pas faire ça au jumeau de Liam, tu peux pas lui faire ça. T'es infâme Ezra, c'est toi qui mérite de crever. La dernière fois t'aurais pas du te louper.
C'est une bonne question. Qu'est-ce que ça peut te faire, en vérité ? Il n'est qu'un point en plus dans la foule, qu'un mange-merde parmi tant d'autres. Juste un type qui transpose ses sentiments sur un visage ressemblant, sa tristesse sur ce qui rappelle le passé, ses attentes sur le pauvre con qui a eu le malheur de naître dans le même corps qu'un autre. Ces gens-là, Noah, tu as appris à les mépriser, à les battre à leur propre jeu pour en faire des empereurs de la conneries et de la médiocrité. Ces gens-là, t'aspirent à la propre chute. Comme Livy, à la fin, tu feras tout brûler. Tu joues leur jeu pour mieux les faire culpabiliser à la fin. Pour qu'ils regrettent tous tant qu'ils regretteront d'être pas mort avec Liam ce jour-là. C'est l'objectif, Noah. C'est ce que tu t'es fixé pour ne pas crever et pourtant. Il a beau être laid et difforme, tordu et insignifiant, inspirer dégoût et pitié, il te fascine, Ezra. Dans toute son imperfection t'en arrive à la trouver beau. Tu pourrais lui coller ton point sur la tronche, tu pourrais ouais, tu devrais ouais. Mais t'as toujours été un grand amateur d'arme plus subtile. T'as appris des meilleurs, qu'il y a des coups bien plus blessants. Et. Non. Tu n'en as pas terminé. Avec lui, t'as pas envie d'en finir.
— Je suis un sale con.
Attrape son bras de nouveau. La douleur pulse sur ta joue. Il a une sacrée force, une haine sacrée. T'aimes ça, Noah, tu te rends compte que tu aimes ça. Il est terrible. Il est beau. Il te déteste. Il aime Liam. Putain, c'est d'un tragique. Mais il faut que ça continue. Encore besoin de son air. T'es trop gourmand. De l'air. De la douleur. N'importe quoi pour peu qu'on se sente un peu plus vivant. Alors tu craches quand tu serres son avant-bras.
— Pour ça fait toi plaisir. Crache-moi tout ce que t'as à me cracher. Frappe autant que tu veux, défoules toi. Libère-toi, Ezra.
Fait moi sentir misérable mais vivant, putain.
— Détruit moi, comme ça t'auras plus à te poser la question de qui est qui. Ça me rendrait service, en vrai, qu'on arrête de me confondre.
Tu sens que ça gonfle au niveau de ta joue. Putain tu vas être beau demain, en cours. Mais qu'importe. De ton autre main, tu glisses sur sa joue. Plus que la détresse folle dans tes yeux. Presque sincère quand tu demandes qu'il aille modeler ton visage à la force de ses poings. T'es sûr que défigurer tu serais déchu mais peut-être heureux. Quand on t'enterra on ne pensera pas à Liam comme ça. On dira juste qu'un sale con est mort. Et tu seras content. Alors ta prise plus forte sur son bras. Frappe. Frappe Ezra.
— Vas-y ! Encule-moi comme tu dis ! Je ne te déteste pas, mais je déteste ton regard. Arrête de me regarder comme ça. Défigure-moi si c'est ce dont t'as besoin. Et par pitié, ensuite, arrête de me regarder comme-ci j'étais lui.
Il n'est pas con, il est con-plètement fou. Un taré, voilà sur quoi tu es tombé. Larmes aux coins des yeux qui cherchent la porte de sortie. Si tu ne te contrôles pas tu vas vraiment l'abimer, si vous continuez tu vas finir par regretter - pour l'instant c'est la seule émotion (le regret) qui n'est pas encore venu te hanter. Sa main sur ta joue, tu observes la sienne qui possède encore la trace rouge de tes doigts et de ta paume.
— « Putain redescends ! Tu veux que je te frappe c'est ça ?! »
Tu grimaces de douleur alors qu'il retient en otage ton bras, qu'il serre à t'en marquer la peau. Tu tires dessus pour te dégager, mais n'y arrive pas. Dans un élan de rage, tu lui assènes un coup sur la tête - paniques comme un forcené et te débat encore plus.
— « Mais LACHE MOI BORDEL ! »
Coup de pied dans les cuisses, dans les tibias. T'as l'air d'un garçon à qui il manque cruellement du contrôle - t'as l'air d'être malade, la raison bousillée par les médicaments et la volonté aliénée par un manque cruel d'affection et d'attention.
Tu tires plus fort, après t'être défoulé sur lui et trébuches sur la chaise, l'entraines avec toi dans un fracas sourd au sol. Ta tête heurte la table de nuit et quelques éléments sur le bureau se renverse. Cette chambre est devenu un terrain de lutte mais aussi un champ en carnage.
Un peu sonné par la chute, tu tentes de pousser le corps de Noah, malgré que tes membres soient tout engourdis.
— « J'ai besoin de mes cachets... »
Tu les as pas pris ce soir. Un oubli aussi volontaire qu'irresponsable.
Ce sont les derniers mots distincts que tu entends. Parce que rapidement, les coups pleuvent, parce que ta tête sonne douloureusement, parce que t'as le goût du sang dans la bouche, parce que tes jambes pulsent d'une douleur qu'elles n'avaient pas connue depuis longtemps. Pourtant, ta main se fait ferme, tu ne peux même plus dire que ce soit volontaire. Tes membres en mode automatique. Si tu le tien, c'est pour ne pas tomber, peut-être pour ne pas qu'il s'arrête aussi. Tu ne sais plus tu ne sais pas. L'agression ne te chamboule pas de l'intérieur, d'une certaine façon, tu la trouves méritée, tu l’accueilles comme un châtiment juste, parce que c'est peut-être tout ce que tu mérites à mentir, haïr, détruire, consumer comme tu le fais. Si Liam pouvait encore voir, t'espère qu'il en est content. C'est qu'il doit te détester, maintenant. Peut-être même plus que tu ne le déteste.
Tu sens ton corps basculer, soudain lourd. Aucune idée de l'angle de la chute, de ce qu'il a fait pour que vous en arriver à vous étaler sur le sol. T'entends le vacarme de ton réveil et tes bouquins qui vous rejoigne. T'entends sa tête aussi. T'as une bête et brusque pensée pour lui : "ah merde, il s'est fait mal". T'as un bête et brusque retour à la réalité pour toi : "Oh merde, j'ai mal". Tu le sens, qui te pousse et tu roules un peu sur le côté. Tousse, affreusement sonné. Il sait y faire, y a pas à dire. T'as le crâne aussi lourd qu'un melon, les jambes aussi flasques qu'une gelée. Tu te redresses sur tes coudes. Grogne. Il allait falloir ranger. Arsene allait poser des questions, sinon. Et tu n'as pas envie qu'il en pose. Pas envie qu'il ne connaisse rien que son nom. Ezra, c'est à toi, rien qu'à toi. C'est ton échec, ton fail, ta destruction. À côté tu l'entend appeler après des médoc dont tu ne connais rien. Attends, ce type est sous traitement ?
— ... Parce que t'es malade en plus... ? Merveilleux...
Tu grimaces, putain, t'es dans un bel état. Tourne difficilement la tête vers lui. Peut-être que tu ferais mieux de l'emmener à l'infirmerie ?
— O... Où ?
Tu tâtes maladroitement ses poches sans rien sentir, regarde autour de toi sans rien voir.
— Ils sont où tes médocs... Crétin ?
T'es un peu trop HS pour trouver mieux. Tu te demandes s'il n'aurait pas eu la bonne grâce de les oublier, ces stupides cachets. Tu pourrais le laisser là, ça lui ferait les pieds une lente agonie. Mais tu ne peux pas. Les médocs, ça te rappelle douloureusement Liam. Quand cet imbécile sortait à moitié guérit et oubliait ses traitements. Quand tu te retrouvais à le chercher des heures durant parce qu'il n'avait pas pensé à prendre son téléphone. Quand tu le retrouvais pour le traîner, furieux, jusqu'à l'infirmerie, à le traiter de tous les noms, alors qu'il rirait ce con. Riait en te disant qu'il était désolé. Riait et te disant qu'il s’inquiétait jamais, parce qu'il savait que tu le retrouverais. Quelque chose te dit qu'il n'y aurait pas de rire, ni d'excuse cette fois-ci. Mais tu te dis qu'ils ont un peu en commun, lui et Liam. Vraiment, quelle bande de crétins.
— Tu veux pas aller à l'infirmerie, je suppose ?
Tu te traînes face à lui, glisse tes mains sous ses aisselles pour essayer de le redresser.
— Sont dans ta piaule c'est ça ? Je te ramène... Et vraiment ferme-là, t'as même plus la force de frapper.
Tu geins, et te recroquevilles de douleur sur la moquette de la chambre. Tu te tiens le ventre, là où tu as reçu un coup de coude quand il est tombé sur toi et suffoques sous les bouffés de chaleur. Tu vas exploser Ezra, et tu retiens malgré toi la bombe qui pulse sous tes veines à chaque haut le coeur. Noah t'aide à te relever, semble s'inquiéter pour toi d'un coup. C'est peut-être un piège, une hypocrisie latente mais tu t'accroches malgré tout à ce qu'il t'offre parce que sans sa bonté d'âme tu vas t'effondrer.
Tu t'enfermes dans un mutisme quand il te questionne, te secoue. Tu te contentes de fixer un coin de la pièce en fronçant les sourcils et sans répondre. Tu veux pas de son aide, tu veux pas admettre. Il te soulève par les aisselles et tu concèdes à laisser s'échapper un râle de mécontentement. Résistes à peine, épuisé de t'être excité pour rien.
— « Va mourir, connard. »
Charmant, comme à ton habitude. Geins quand il t'aide à tenir debout, la pression de ses doigts sur ta peau et contre tes os.
— « Ouai, dans ma chambre. Je peux... j'y retourne. Je sais. Seul. »
L'adrénaline t'a coupé la parole, et tu parles de manière un peu saccadée, désordonnée. Ça n'a pas vraiment de sens mais Noah peut interpréter. Tu t'adosses à lui pour prendre appui et le repousser, te rues en titubant vers la porte alors qu'un départ de feu se déclenche dans la poubelle, située à gauche du bureau et juste à côté de toi.
Regard noir que tu lui tends, la sueur au front dégoulinant le long de tes tempes. Tes cheveux collent surement, t'es dégueulasse Ezra et tu fais semblant de ne pas être traumatisé par les flammes qui grimpent très légèrement - écho à celles qui ont dévoré dangereusement le cadavre de son frère et de ton ami.
— « Ne me suis pas. Et ne m'adresse plus la parole. La prochaine fois, appelle en un autre pour t'habiller. Et c'est à toi que je m'adresse, pas à lui. Sale trainé. »
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Mer 7 Juil - 23:20
T'as vu le message et t'as paniqué. Vague d'anxiété qui te prend à la gorge. Si tu l'avais soigneusement évité dans l'école et si t'avais arrêté de répondre aux sms c'était pas pour en recevoir un de ce type. C'est tendu que tu te fous en boule dans ton lit, que tu tapes du poing sur la table de nuit. Déclenches d'ailleurs un feu et consumes ta plante verte. Putain. Tu ferais mieux de rester au lit. Peut-être que tu devrais en parler à Sylvestre... Non, elle a ses problèmes. Hm.
Impulsion. Ces sms étaient une pure impulsion. Un caprice débile, mais te le répéter n'avait pas empêcher à tes doigts de pianoter sur l'écran tactile, d'appuyer sur le bouton envoyer. Avant que la première insulte ne franchise tes lèvres, le mal était déjà fait. Et tu t'étais senti stupide, sur ta chaise de bureau, à tourner comme un con, le regard figé sur l'écran. Tu t'étais demandé pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi cette excuse bidon ? Tu ne pouvais pas dire qu'il te manquait, tu ne le connaissais que trop peu. Tu ne pouvais pas dire que ses silences t'inquiétaient, parce qu'il avait toujours été silencieux. Alors quoi, Noah ? Bah tu ne sais pas. Parce que la vérité, c'est que tu n'as aucune idée de ce que tu fous. Ezra entre jouet et réel objet de ton intérêt. Tranche avec tout ce que tu connais. Un vent aussi frai qu'effrayant. Est-ce que tu as envie de le torturer ? De le connaître ? De le comprendre ? Est-ce pour tromper l'ennui ? Pour te rattacher à quelqu'un qui pourrait te démasquer ? T'en sais rien, t'en sais foutre rien.