« Bien sûr, j’adore les plantes ! »La journée d’Alekseï avait commencé un mois plus tôt, dans une petite chambre de pensionnat éclairée par un soleil éblouissant.
Enfin, pas littéralement. Le temps, ça ne fonctionne pas comme ça. Mais un mois plus tôt, dans une petite chambre de pensionnat éclairée par un soleil éblouissant, il avait prononcé cette phrase.
Bien sûr, j’adore les plantes. Un tout petit mensonge, un peu innocent, un peu intéressé, mais pas du tout méchant. Ce n’était même pas un mensonge de beaucoup. Les plantes, il trouve ça vraiment beau, évidemment. Les fleurs, pleines de couleurs douces ou vibrantes, bariolées, délicates, c’est tout lui. Il trouve ça beau, mais c’est tout. Un objet de déco comme un autre.
Juste que, quand la jeune femme qu’il visitait dans cette fameuse petite chambre de pensionnat lui avait demandé s’il s’intéressait un peu aux végétaux, il n’avait pas réfléchi. Tout le monde s’inventait des hobbies pour plaire aux gens à un moment ou à un autre, non ? Il n’avait pas réfléchi et il se serait senti bête de revenir sur ses paroles. De toute façon, quand il s’était vu tendre, avec un sourire aveuglant, un pot rempli de vert et de blanc, il avait su qu’il était bien trop tard pour dire non. Il s’était contenté de sourire à son tour, de s’extasier (« Ca pour
moi ?? Oh non, il ne faut pas ! Vraiment, c’est trop ! Je ne mérite pas ! Quel honneur ce serait ! Bon, si tu insistes. ») et de remercier avec enthousiasme. Au moins, il avait fait plaisir à quelqu’un, et c’était le plus important. Elle l’avait enlacé, dit qu’elle adorait partager ses « enfants » (le mot avait fait fortement déglutir le russe), qu’elle était heureuse qu’il puisse avoir ça en commun. A ce moment précis, il était clair qu’il allait devoir gentiment l’éviter pour le reste de sa vie. Si seulement elle s’était souvenue de la règle fondamentale : Ne jamais rien lui confier de vivant.
Il avait vraiment fait de son mieux, c’est ce qui rendait l’aventure d’autant plus triste. A peine rentré chez lui, il avait googlé frénétiquement, remerciant Dieu pour l’intranet. Apparemment, la plante était un
Gardénia. Etrange créature exotique pour lui, il avait essayé de la traiter avec douceur et respect. Les premières semaines, d’ailleurs, avaient été agréables. Un peu d’eau par ici, un peu de soleil par là. Il aurait presque pu s’y habituer, y prendre goût. Gardy était devenue sa petite confidente, celle à qui il parlait pour entraîner son pouvoir quand son coloc n’en pouvait plus. Il se demandait si elle avait des pensées, une personnalité, si elle aussi elle n’en pouvait plus. Leur relation était si magique qu’il avait rappelé la jeune femme à la petite chambre. Enfin, il l’aurait fait s’il n’avait pas perdu son numéro.
Mais le naturel revient toujours au galop. T’as beau le repousser, le nier, le cacher, il est toujours là, à attendre l’occasion. Pour Alekseï, cette occasion avait été une petite sortie au cinéma. Rien de bien méchant, mais il avait alors oublié d’arroser sa plante. Evidemment. Il n’était pas du genre à se souvenir.
Alors, le lendemain, il l’avait arrosée trois fois plus. Pour compenser. Et il avait continué ainsi. Cinq fois dans la journée par-ci, parce qu’il ne rappelait plus de la dernière fois qu’il l’avait fait. Zéro fois par-là, parce qu’il était occupé. Finalement, ce n’était vraiment pas sa faute.
Rapidement, Gardy avait commencé à se dépérir. Au début, il avait attribué ça à une haine de l’allemand. Alors il avait changé de langue d’entraînement, mais rien à y faire, elle avait l’air de plus en plus mal en point. Lei-Wei n’avait été d’aucune utilité, lui suggérant de la placer près du chauffage pour recréer l’ambiance tropicale. Ils étaient morts de chaud, et elle aussi.
Un jour, il avait donc décidé de s’en débarrasser, avec gros regrets et un pincement au cœur. Problème, il ne pouvait pas la jeter. Il aurait eu l’impression de commettre un meurtre. Et il ne pouvait pas être vu sur l’île avec une plante mourante. Plutôt se pendre que d’admettre qu’il ne pourrait jamais avoir d’enfants parce que tout ce qu’il touchait finissait dans cet état.
Avec ces conditions, il ne fut pas difficile d’établir le plan parfait. Un jour de pluie, de gris, un jour sombre, il prend Gardy dans ses bras une dernière fois, le visage fermé. Dans la pénombre forcée par la météo, il espère qu’on ne le voit pas trop.
Et puis, un jour de pluie, personne ne sort. C’est ce qu’il se dit pour se sentir mieux, marchant un peu trop solennellement vers la serre qui se tenait, solide et dégoulinante, dans un coin des extérieurs du pensionnat. C’est joli, la serre, mais il n’a jamais vu personne aller là-bas. C’est joli, sa plante y sera à sa place. Il se sent un peu déçu de ne pas être à la hauteur, mais bon, en la plantant là-bas il y a une chance qu’elle s’en sorte. Enfin, pour être honnête, il ne sait pas du tout si cette chance existe réellement. Mais il y croit.
Il enlève sa capuche et souffle en pénétrant dans l’immense bâtiment. Définitivement, c’est joli. Son anorak jaune fluo recouvrant un short et un t-shirt de différentes teintes de rose fait un peu tâche, quand il pense à l’acte honteux qu’il est venu commettre. Mais le noir, il trouve que ça lui va mal.
Quelques pas. Il grelotte, par reflexe. Il passe le regard autour de lui. Attentif. Personne. Tant mieux, ça lui épargnera de s’accroupir pour se cacher. Lentement, il fait le tour de la serre. Enfin, il marche un moment au moins. De la couleur partout, du vert surtout. Des plantes, toutes plus grandes les unes que les autres, toutes plus élégantes, toutes plus impressionnantes. Devant la diversité, il s’émerveille, d’abord. Puis, devant la
diversité, il ouvre les yeux d’effroi, ensuite. Il vient de se rendre compte d’une chose très importante :
Il n’a aucune idée de ce qu’il fait, là. Ça parait peut-être évident, mais ça ne lui était pas venu à l’esprit. Tellement de plantes, autant de conditions de vies différentes. Son but n’est
pas le meurtre, il ne peut pas ne pas donner ses dernières chances à la plante qu’il serre dans ses bras.
Visiblement, il panique, tournant, réfléchissant à cent à l’heure. Du coin de l’œil il aperçoit un petit bonhomme tout en noir. Il a l’air jeune, il a l’air calme. Un complet contraste face à lui-même. Il est certain (aussi certain qu’Alekseï puisse l’être) qu’il ne le connait de nulle part.
Parfait.
En s’approchant doucement, il remarque l’appareil dans ses mains. Puis le clic de la photo, le cliché qui sort. Ça le fascine un moment. Quelle belle technologie. Délicatement, il le voit glisser l’œuvre d’art dans un petit livre. Immédiatement, il sait que le jeune garçon doit faire des recherches sur les plantes de l’école. Pour quelle autre raison pourrait-on se trouver à prendre des photos dans une serre un jour grondant comme celui-là ?
Encore mieux.
Enorme sourire aux lèvres, comme il sait si bien le faire. En quelques pas élancés, il se retrouve à côté de sa cible, s’assoit sur le banc d’un mouvement fluide. Tenant son pot difficilement sous un seul de ses bras, en équilibre sur ses genoux, il tend une main à son nouvel interlocuteur.
« Alekseï, enchanté. » s’exclame-t-il, voix aussi sympathique que possible. Il ne s’agirait pas de faire fuir la seule âme pouvant l’aider.
« Sans vouloir être indiscret, est-ce que tu aimes bien le jardinage tout ça ? » Merde, commencer une question par « sans indiscrétion », c’est bien la meilleure façon pour que les gens pensent que tu les agresses.
« Je veux dire, est-ce que tu t’y connais un peu en plantes ? » Il soupire un peu, son sourire juste légèrement moins intense. Il dirait bien qu’il a besoin d’aide, mais faut pas exagérer non plus.
Vraiment désolée pour l’attente, un peu de mouvement dans la vie en ce moment ! J’espère que ça te plaira <3 sinon, hésite pas !