”There's no reaction, missing in action,
I haven't found me yet.”

Feng, c'est un mélange d’humour piquant et sarcastique qui évite de tomber dans le cynisme sans tact de certains. Parce que pour lui, il y a une différence entre la franchise et ceux qui appuient là où ça fait mal juste parce qu’ils le peuvent, et que contrairement à l’impression qu’il peut parfois donner, il n’est pas quelqu’un qui prend plaisir à blesser les autres sous la guise du divertissement.

Il est le premier à avouer qu’il n’a jamais été aussi doué que certains envers tout ce qui touche les relations interpersonnelles, mais cela ne l’empêche tout de même pas d’être là pour ceux à qui il tient. Toujours, il a l’habitude d’offrir son support dans les petits gestes, et il n’hésite jamais à écouter les autres se plaindre de tous leurs problèmes avec un commentaire acide bien placé ici et là; il faut dire qu’il possède un intérêt que certains trouvent parfois surprenant envers le gossip qui a l’habitude de circuler dans le pensionnat. Et s’il n’a pas de mal à offrir une oreille attentive à ceux qui en ont besoin, sans cesse, il a du mal à partager ses propres émotions, et n’a jamais vraiment su comment exprimer un quelconque besoin d’affection.

Difficilement irritable, il est de ceux qui se mettent rarement en colère, n’ayant jamais été quelqu’un qui cherche la confrontation, préférant se taire plutôt que de s’emporter. Et toujours, lorsqu'il est réellement énervé envers quelqu'un, il répond à la chose avec un silence lourd, froid et souvent inconfortable qui s’étire parfois sur plusieurs jours.

Feng, c’est aussi une boule d’anxiété sociale, devenant presque monosyllabique lorsqu'il se trouve parmi un groupe qu'il ne connaît pas vraiment ou s’il se trouve au milieu d’une situation inconfortable. Il n’a jamais su comment gérer le semblant de panique qui le prend à la gorge lorsqu’il doit s’exprimer en public, il ne peut empêcher les sueurs froides et le nœud qui se forme au fond de son estomac, ou encore cacher le tremblement incessant de ses mains.

Et pourtant, malgré ses fortes tendances d’introverti, il est tout simplement incapable de se débarrasser de ce désir de camaraderie qui le pousse à chercher la compagnie de ceux avec qui il parvient à se sentir à l’aise. Il y a de bonnes chances que, lors des sorties de groupes et autres regroupements entre amis, il passe son temps assis dans un coin à prendre des photos et vidéos sur son téléphone afin de pouvoir rire plus tard de tous les trucs stupides que les autres allaient avoir fait au cours de la soirée, avant de passer la semaine suivante à leur envoyer des memes moches de leur propre tête.

Feng, il possède une estime de soi plus fragile que ce qui peut paraître de premier abord. La dichotomie entre sa volonté à ne pas laisser ce que les autres peuvent bien penser de lui le déranger tout en étant intimement conscient de chacune de ses imperfections. Un perfectionniste qui ne supporte pas l'échec et n'est jamais satisfait de ce qu'il fait parce rien n'est jamais suffisant. Ces commentaires négatifs parfois passés sous le ton de l’humour qu’il ne peut souvent s’empêcher de faire à son propre égard, et que ceux qui le connaissent le mieux pourraient probablement interpréter comme signes d’un flagrant manque de confiance en lui-même.

Bien souvent, il a cette impression d’être coincé entre ce sentiment que son pouvoir est une intrusion totale de la vie privée des autres, et ces pensées insidieuses lui soufflant qu’on pourrait être en train de lui mentir en pleine gueule et qu’il n’en aurait aucune idée s’il ne servait pas de son don. De ne parfois pas savoir quand effectuer un acte de foi et tenter de faire confiance à quelqu’un sans faire usage de son pouvoir juste pour être sûr.

”I’m not brittle,
Well, maybe just a little.”

La plupart des bons souvenirs que Feng avait de son enfance consistaient des moments passés avec sa mère dans le petit jardin qui se trouvait sur le balcon de leur appartement. Il n’était pas rare qu’elle y reste des après-midis entiers à lui partager tout ce qu’elle savait sur les fleurs et les plantes dont ils s’occupaient, et de comment en prendre soin du mieux qu’il le pouvait.

D’aussi loin qu’il pouvait se rappeler, il n’avait toujours eu qu’un seul rêve. Le dessus de sa tête dépassait à peine la table de cuisine qu’il avait décidé qu’un jour, il allait devenir photographe, allait voyager d’un bout à l’autre du monde et prendre en photo les gens et les endroits d’ailleurs. Il voulait immortaliser la vie comme on la trouvait loin d’ici.

C’était là une chose que son père n’avait jamais approuvé. Ils n’avaient jamais réussi à se mettre d’accord sur quoi que ce soit, et tout ce qui concernait son futur n’était pas différent. Les discussions à ce sujet - si on pouvait réellement appeler discussions les conversations oú il n’y avait qu’une seule personne qui parlait - se terminaient plus souvent qu’autrement par la demande de “te concentrer sur quelque chose d’actuellement utile. Il est temps que t’arrêtes de gaspiller ton potentiel sur des idées stupides qui ne te serviront à rien. Grandit, un peu.” Et le jour où il retrouva plusieurs de ses photos en morceaux dans les ordures, il apprit tout simplement à mieux cacher ses affaires.

Puis son pouvoir s’était manifesté, pas que quiconque l’ait réalisé à l’époque; même lui avait tout juste eu une vague impression que quelque chose venait d’arriver.

Lors d’une soirée où quelques-uns des amis de ses parents étaient présents, le sujet de conversation avait fini par se tourner vers lui comme la chose tend à arriver lorsqu’on essaie d’inclure les gamins en posant des questions dont la réponse n’intéresse jamais personne. Une mention de ses notes en classe - probablement son père, ce dernier ayant toujours été obsédé par les apparences, par sa réputation -, et l’un des invités avait mentionné qu’il devait sans doute être fier de lui. Son père avait répondu brièvement avec un “oui, évidement”, et du reste de la soirée, la seule chose dont Feng se souvenait vraiment était le sentiment de certitude au fond de ses entrailles que son père venait de mentir.

Quelques mois plus tard et il était prêt à se faire envoyer à Sajna, qu’il le veuille ou non. Malgré le fait qu’il ne possédait pas un pouvoir voyant, qu’il ne l’avait mentionné à personne, qu’il avait fait de son mieux pour ne pas s’en servir, le gouvernement l’avait tout de même trouvé.

Comme ils le faisaient toujours.

Trois choses tendaient à lui venir en tête lorsqu’il lui arrivait de repenser au moment où il attendait l'arrivée du bateau qui allait l’emmener vers sa nouvelle vie. Le fait que tout espoir qu’il avait pu avoir de réaliser son rêve s’était volatilisé aussitôt que son pouvoir avait été découvert. L’absence flagrante de son père, toujours amer du fait que son fils était l’un d’eux et qu’il allait devoir expliquer sa disparition à ceux qui finiraient immanquablement par lui demander. L’odeur fanée de la boutique de fleuriste de sa mère alors que celle-ci déposait ses lèvres sur sa joue, de même que ses yeux emplis de mots qu’elle semblait incapable de vocaliser.

Au fond du placard de la chambre qu’on lui avait attribué à son arrivée au pensionnat, Feng avait rangé ses caméras, se refusant d’y toucher et se disant que ce n’était pas comme si ça allait lui servir à quoi que ce soit, maintenant.

Puis semaines, mois et années passèrent. Il finit par s’habituer au pensionnat, à l’île, au pouvoir qu’il n’avait pas demandé et que bien souvent, il n’était pas sûr de vouloir. À se faire à l’idée de ce à quoi sa vie à Sajna allait bien pouvoir ressembler. À apprendre à être lui-même, peu importe ce que ça pouvait bien vouloir dire.

À trouver comment naviguer le monde tout en étant pertinemment conscient que l'honnêteté était parfois une denrée rare, et où les pieux mensonges sont loin d'être efficaces lorsqu'on peut les repérer.

Et au cours des quelques derniers mois, un peu avant son quinzième anniversaire, il se décida enfin à ressortir son équipement de photographie de là où il l’avait laissé, abandonné dans une vieille boîte recouverte de poussière. Il savait pertinemment que son rêve d’enfance était ruiné, savait qu’il n’avait pas l'intention de s’aventurer à l'extérieur de Sajna afin de passer le reste de sa vie dans un monde qui ne voulait pas de lui, mais peu importe.

Tout le monde savait que les rêves, ça n’avait pas besoin d’être réaliste.

Sur le rebord de la fenêtre de sa chambre au pensionnat, Feng finit par ajouter quelques plantes dont il s'occupait religieusement. Il n’allait peut-être jamais être en mesure de revoir sa mère, mais ça ne l’empêchait pas de trouver d’autres moyens de rester proche d’elle à sa façon, et si les souvenirs de leur petit jardin sur le balcon de leur appartement à Hong Kong était tout ce qu’il pouvait avoir, alors il allait s'assurer de les garder en vie dans sa mémoire.