. Une cigarette pour bien finir la journée ; respire, crache sa fumée. Elle n’a pas vraiment le droit Prudence mais les règles, elle n’y prête plus attention depuis bien longtemps. Qui viendra la gronder maintenant ? Elle n’a plus 15 ans, ne se cachera plus dans les recoins sombres pour dealer son tabac. Le temps passe trop vite, elle se sent carrément vieille. Vivement la fin. Petite pensée pessimiste pour bien finir la journée. Les cours viennent de finir et Prudence aussi. Encore quelques heures avant le couvre-feu mais là encore, elle n’y fait plus attention. Le monde des adultes hein, elle ricanerait bien comme un démon si sa fine bouche n’était pas occupée à cracher la fumée, développer un joli cancer. Ô joie, peut-être mourra-t-elle plus tôt que prévu. Un gamin passe devant elle, accoudée contre le mur du grand bâtiment scolaire, face aux jardins qu’elle connait par cœur pour s’y être des centaines de fois dissimulée. Un autre gamin. Tous des gamins, oui oui elle se sent encore plus vieille et que fait cette foutue faucheuse ? . Tire encore sur sa cigarette, les yeux dans le vague. Bon, c’est l’heure de rentrer. Un pas, deux pas et voilà qu’on la percute à toute vitesse. Prudence trébuche, si peu stable sur son pied bancal. Lève la tête pour fusiller une petite fille du regard. A peine 12 ans, une victime parfaite pour la concierge déjà énervée par une journée de travail, ne rêvant que d’une bière et de ne plus jamais bouger de son lit. Jamais jamais jamais. Et qu’est-ce qu’elle veut celle-là, à la regarder bizarrement ? Zut, sous le coup Prudence a lâché sa cigarette. Nouveau regard noir alors qu’elle sort son paquet pour en allumer une autre. . « On voit que c’est pas toi qui me paye mes clopes hein. » . Elle ronchonne, baragouine dans sa barbe et quand la pauvre élève baisse la tête et tente de s’échapper, Prudence lui attrape l’épaule, élève la voix plus que nécessaire. . « Hop hop hop dis pas pardon surtout ! Vous êtes tous mal élevé ici ou quoi ? Et on court pas dans les couloir, c’est interdit ça ! » . La gamine vient certes d’atterrir dehors mais honnêtement, Prudence s’en fou ; Prudence râle et puis c’est tout. Et dire qu’elle ne dépasse sa victime que de quelques centimètres… Pour la peine, elle lui souffle la fumée au visage sous un regard à la fois furieux et craintif. Oui oui faut pas fumer ici, et alors ? Il fallait bien un minimum davantage à ne plus être élève dans cette foutue école. Ah qu’est-ce qu’elle rêverait de balancer ses mégots par terre ! Dommage que celle qui nettoie, ça soit elle.
❝ J'suis pas quelqu'un de bien, j'suis pas une belle personne j'suis une sale bête, une bouteille de gaz dans une cheminée et j'vais finir par te sauter au visage si tu t'approches trop ❞
“Hey oh ! Tu t’es prise pour qui ?”
Les mots étaient sortis un peu tout seul de ma bouche, j’étais un peu perdue dans mes pensées en sortant du conseil des élèves. Les arguments avaient volé dans tous les sens, même si on essayait forcément de paraître uni face aux autres élèves, beaucoup de sujets restaient très sensibles; des sujets dans lesquels j’aimerais me plonger avec eux, mais cette foutue boule au ventre m’en empêche toujours. C’est pas comme ça que j’allais me faire une place dans le brouhaha des réunions. Toujours était-il que j’étais ressortie un peu sur les nerfs, malgré la chaleur de l’après-midi qui me hurlait dessus de ne pas m’échauffer plus. C’est là, au détour d’un bâtiment, que j’ai entendu une fille s’emporter sur une autre.
“On voit que c’est pas toi qui me paye mes clopes hein.”
Alors là non ! Déjà on ne fume pas dans l’établissement, et surtout, je ne supporte pas les bully. J’avais foncé tête baissée vers les deux gamines, les surplombant du haut de mon mètre soixante-deux.
“Alors déjà, on ne fume pas.” Je faisais tomber sa cigarette à terre avant de l’écraser de mon soulier. “Et c’est quoi ces manières de se comporter, tu es en quelle classe ?”, j’ajoutai en direction de la rouquine. Son visage me semblait familier de près, mais avec un œil en moins, on distingue moins les détails.
J'observais le visage de la délinquante, contrasté entre la douceur de ses lignes et la dureté de son expression, je sentais une douce odeur de sucette à la fraise. J’avais faim, raison de plus pour ne pas me taper sur les nerfs.
“Avant que tu ne te cherches des excuses, je suis du conseil, ne joue pas les idiotes avec moi !”. Je la fixai de mon œil valide, le mécontentement visible sur mon visage.
. Une petite souris ne suffisait pas. Une autre pointa le bout de son nez. Prudence fronce les sourcils. Trop occupée à engueuler, elle ne l’avait pas vu arriver la blondinette. Encore une gamine mais ça, ils le sont tous dans cette grande école. Si elle l’avait elle-même était un jour -une gamine- elle préfère oublier ces jours heureux pour se morfondre dans son quotidien triste et monotone. Avec une bouteille de vodka si possible. Elle mesure bien quelques centimètres de plus que Prudence celle-là, et déjà ça l’enrage. Prudence toute petite, Prudence à jamais insignifiante. Oh ça lui va de n’être qu’une moins que rien ; mais ne pouvait-elle pas être une grande moins que rien ? Oh non non non Prudence restera minuscule, à rester coller sous les souliers comme le bon chewing-gum qu’elle est. Bon, puisqu’il faut un peu lever les yeux… . La cigarette finit par terre, la concierge suit le mouvement en écarquillant les yeux, choquée de voir le feu s’éteindre immédiatement, la fumée se disperser. Ne restera que des cendres et elle, elle n’a plus rien en bouche. Cette cigarette elle venait juste de l’allumer. Grognement alors qu’elle relève les yeux, loin du cadavre incompris de sa meilleure amie du jour. Qu’est-ce qu’elle voulait celle-là ? Une heure de colle dans le bureau de la concierge ? Ah ça pouvait s’arranger. Mais Prudence comprend bien, comprend bien malgré son flagrant manque d’intelligence que la gamine la prend pour une élève. Elle croise les bras dans un air de défis, peu pressée de lui dévoiler son erreur. . « T’es qui toi ? On peut plus bully les gamins au calme maintenant ? » Elle sort pour la deuxième fois son paquet de cigarette pour en ramener une contre ses lèvres, sans encore l’allumer. Allait-elle pouvoir finir une clope entière ou était-ce trop demandé ? « J’suis dans la classe "dégage minus". » . Un membre du conseil ? Prudence lève les yeux au ciel . « Oh pitié les gens comme toi sont les piiires ! » . Le dernier mot traine alors que la rouquine insiste bien dessus, un geste agacé de la main. La suite sort d’un air bien narquois. . « Tu veux quoi, que je fasse un câlin à la pauvre petite pour me faire pardonner ? » Elle désigne rapidement l’autre enfant qui déjà, semble vouloir s’échapper. Et puis quoi encore.
❝ Mais non, j'me calme pas, j'me calme pas, il sait pas c'que c'est lui ! Il sait pas c'que sait que d'être un crevard, d'être mal-foutu, d'être une crasse, un pantin d'être le terrain où le bien et le mal s'affrontent ❞
Jamais encore je n’avais senti quelqu’un me regarder de si haut alors que je faisais une tête de plus qu’elle. Quelle effrontée, elle a beau faire la maligne qui se moque des répercussions, on verra bien si quelques heures de colle lui remettait les idées en place; probablement pas malheureusement. Elle avait sorti une autre cigarette de son paquet miteux mais elle avait l’air d’attendre d’être en terrain sûr pour pouvoir l’allumer, mais pas sous ma supervision ma grande; enfin ma petite.
“T’es qui toi ? On peut plus bully les gamins au calme maintenant ?” Et bah figure toi que non, on ne bully personne ici, on est tous dans la même merde à ramper avec les insectes parce qu’on est pas plus forts chacun dans notre coin. J’enrageais de voir les jeunes se bouffer entre eux alors qu’il fallait se serrer les coudes sur cette île merdique. “J’suis dans la classe -dégage minus-.”. J’ai dû devenir rouge de colère, au vu de son sourire satisfait quand elle s’est mise à dénigrer le conseil des élèves. J’étais furax et parler avec elle n’était qu’une perte de temps, j’allais prendre son nom et simplement la reporter à l’administration.
Mais ça serait plus facile si j’étais pas déjà en rogne de ma journée.
“Ce qui va se passer c’est que tu vas déjà présenter tes excuses à cette petite, et à moi par la même occasion ! Et ensuite j’irai reporter tes conneries et tu passeras tes prochaines pauses en colle comme la petite idiote que tu es !”
Malgré la différence de taille, je ne devais pas paraître si impressionnante que ça, mon doigt accusateur posé sur son sternum, comme quand je me faisais engueuler enfant. Mais j’étais en rogne, et celle-là j’allais pas la louper.
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Ven 13 Aoû - 21:31
