En fait Ramos n’aimait pas la cantine.

Toute cette nourriture brutalement insipide ne convenait pas à son palais explosé par le piment. Heureusement qu’il avait son tabasco sur lui pour égayer son assiette sinon autant ne pas se sustenter, surtout que ça avait le mérite d'être pratique, accessible et de ne rien coûter du tout.

Il hésitait avec son plateau, mais aussi un peu parce que le mec devait lui discutais avec une tierce personne et n'avançait pas. Il hésitait entre deux choix qui avaient l’air moins pire que les autres. Et la tout s’enchaine très vite et très diaboliquement. Pour une fois que ce n’est pas lui la source du chaos. Un plateau cogne le sien puis un coup de pied son tibia puis une voix mal lunée ses tympans.

Ramos n’eut pas besoin de plus pour se dresser du haut de son mètre quatre vingt treize, le regard posé sur la petite furie qu’est Emma.

« Mais qu’est ce que tu m’veux, bouffonne ? »

Il ne la toucha même pas se contentant de rester sur place pour l’emmerder. On ne lui parle pas comme ça à lui.

« T’es pas normale, t’as des yeux de zombie. T’sais quoi avec une gueule comme la tienne je me la ramènerais pas. A moins que t’aie envie de finir à l’hosto »

Bref une fois les menaces et toute l'hostilité mise en place il se servit juste très lentement en la gardant dans le collimateur au cas où elle tenterait un truc fourbe. C'était évident qu’elle allait le faire. C’est comme ça que réagissent les faibles.

Alors qu’elle subit son poison crache en pleine face, qu’elle ne réagit pas pour ensuite reprendre de toute son amertume, Ramos grince un « foutue autiste ». De nouveau le coup au tibia mais cette fois il est prêt car il la surveille en coin et décale légèrement la jambe pour que le coup soit amorti quelque peu. Pas optimal mais mieux que rien dans cette position. Par contre elle le toucha quand même et ça lui courut sur les nerfs.

Dans le fond, Emma est un moustique, il n’a même pas vraiment mal mais se laisser marcher dessus le ramène à une époque qu’il aimerait voir définitivement enterrée. C’était lui le prédateur maintenant. La rage se sentait, couvait sous l'épiderme, mais contenue au coin de ses mâchoires elle n'atteignait aucun sommet. Il récupéra d’une main le plateau de la demoiselle, jetant au passage au sol verre et couvert. Le premier se brisa sur un coin dans un claquement sec. Les autres allèrent tinter ailleurs. Il souleva le plateau de la solitaire hors de sa portée.

« Qu’est ce que tu comptes faire maintenant ? Refaire toute la queue ? »

Il ricana, mais plus pour la forme. Cela lui démangeait de faire finir le mouvement du plateau dans le visage de l'intéressé mais il avait un peu peur des dégâts possibles. Et il se contenait bien pour le moment.

Il était évident qu’elle harcèlerait de sa langue de teigne les suivants dans la file pour qu’ils lui amènent le nécessaire. Ou du moins elle doublerait des deux côtés. Il la sentait assez mauvaise, trop pour retourner faire sagement la queue.

Ou alors elle irait jeter aussi son propre plateau mais il le maintenant d’une main ferme et avança, la place libre, mettant quelques bons pas de distance entre eux deux. Nécessaires. Il alla jeter le plateau qu il avait récupéré par terre entre des tables, lui laissant le loisir de courir après a quatre pattes.

« Ouais, c’est toi mon problème »

Il la regarde faire en coin. Son signe de croix le ramene des années en arrière. Maman allait à l’eglise avec eux. Ils avaient des saints en statuettes sur le buffet du salon. La Ofrenda de Dias de los Muertos avec les photos des ancêtres. Oui Ramos avait eu une éducation religieuse, mais sa croyance était morcelée et déconnectée sur cette terre étrangère. Il croyait dans les âmes, les esprits qui revenaient parfois sur terre. Dans les Saints. Dans le fait que il y’avait un D.ieu quelque part. Qu’il interpellait parfois intérieurement. C’etait juste un peu étrange de voir ce signe dans ce contexte. Il se détourna de ce qu’elle faisait. Des petits bonhommes allant chercher ses affaires.

La guerre était finie mais ses nerfs n’etaient pas calmes. Pensait il, du moins, jusqu’a ce qu’Elle ne revienne à la charge avec sa voix piquante. Et ses yeux furent attirés par sa mimique. Une grimace étrange barra son visage, un poil démente. Il lui aurait décollé la tête s' il avait fait ça. Il n’aimait pas réellement en venir aux coups. Harceler et intimider oui. Mais le combat pouvait aller tellement hors de son contrôle et emprise que cela lui faisait peur. Il avait réellement peur de tuer quelqu’un un jour, de franchir cette limite la à cause du flux sourd de ses émotions.

«Ta gueule… »

Son plateau, et tout ce qu’il y’avait dessus ne furent pas les seules choses à trembler. Il tremblait lui même, contenant la houle de nouveau arrivée avec les taches de nourritures émanant de l’assiette d’Emma qui s'étaient écrasées sur sa veste. Il aimait ce vêtement à un point. C'était un cadeau, c'était un ancrage.

Ses mains tremblaient.
Il se sentait à l’etroit dans son corps, comme si celui ci était une camisole de force.
Il ressentait qu’il devait ça a l’effet contraignant de l’artefact.

Le rebelle eu la pulsion de prendre l’objet qui le maintenait ainsi et de le jeter mais au final il se contenta de prendre Emma au col et de la soulever vers lui, son haleine chaude sur le visage de la jeune fille.

«  Tu t'écrase, ou je te jure que je te tue »

Son regard ne s’appartenait plus totalement déjà. Il avait une note un peu rauque dans la voix. Blessée. Il était un animal blessé et il ne fallait pas être un expert pour le sentir.

Cela se passa si vite. Il ne vit rien venir, cette chose gluante qu'elle lui deposa au visage. Son coeur battait deja sous l'adrenaline, la rage etait deja l'essence qui fait tourner son etre, son coeur pompait deja ce fluide noir et crasseux pour le distribuer a tout ses organes. Fight or flight, il n'avait plus que ces choix.

Animal.

Il la lâcha, s'essuyant le visage d'un geste sec. Et tout ce qu'il avait encore de maîtrise de soi lui recommandait de fuir. Ramos était une bombe à retardement. Hagard, il cracha aux pieds d'Emma avant de se detourner, le visage figé dans ce rictus de dents serrees. Il quitta son plateau dans un ultime déshonneur, il quitta le réfectoire par la porte menant à l'extérieur.

Il ne savait pas toute la douleur. Il hurla comme la bête qu'il était et se vengea sur un arbre à s'esquinter les phalanges. L'artefact le faisait suffoquer maintenant. Forcément elle se sentirait avoir gagné la conne.

Il voulait arrêter d'être compressé entre sa raison et ses pulsions.

La cour extérieure était relativement vide à cette heure. Il ne remarquait rien. Même pas le sang qui commençait à perler sur ses jointures. Il voulait juste se vider de cette grande colère qui lui collait au corps. Lui donner un exutoire.

Il aurait pu la rouer de coups, la tabasser devant de nombreux témoins. Lui passer l'envie de recommencer. Il avait envie de ca, de la voir supplier pour qu'il arrete. De la casser. Mais il l'avait laissé derrière, intacte et vainqueure, comme si il etait faible.

Il se montrait si faible.
Enfermé.