Devant le miroir de l'armoire tu te fais beau. Darren n'est pas là, tu ne l'as pas entendu quitter la pièce à l'aube. Son absence t'arrange et t'accommode. Tu peux prendre le temps de t'admirer dans le reflet, de te gorger de confiance et de crème pour le visage. Tu aimes bien paraitre, aussi lisses que le sont tes vices invisibles. A l'oeil nu tu n'es que ce que tu veux paraitre - un jeune prince en pleine éclosion quand ceux qui ont la tristesse de te connaitre ne parleront que d'une fleur fanée et putride.

On toque à la porte et ta première pensée s'envole pour Darren (ce gros chien) mais tu percutes sur le fait qu'il ne prendrait pas la peine de s'annoncer, entrerait seulement ; et cela que tu sois habillé ou nu, décent ou non, seul ou plus. Sans bouger de devant le miroir, ton oeil s'arque sur la porte. Tu décides finalement d'y aller. Tu l'ouvres et tombes sur ce drôle de personnage. S'est-il perdu ? A t-il besoin de quelque chose ? Tu analyses encore son visage, détailles ses traits avec méthode pour lister mentalement toutes les interactions que tu as pu avoir avec ce personnage.
Aucune. Si ce n'est un ressentiment léger et une méfiance envers son pouvoir.

Il te salut et tu ne réponds pas.
Attends qu'il délie sa langue pour des propos plus intéressants. Tu le toises sans sévérité et sans méchanceté, n'est cruel que dans l'indifférence que tu fais flotter dans ton regard.
Il te tend les fleurs et tu l'abaisses lentement. Ce qu'il va dire ensuite t'arrachera un frisson.

— « D'accord, merci. »

Tu acceptes les fleurs en souriant et lui claques la porte au nez.
Plaqué dos contre la porte, tu réagis seulement. Si pourtant ce genre de déclaration est courant, notamment de la part des filles (insipides), tu ne t'étais pas attendu à cette interaction avec lui.
Avant qu'il ne puisse avoir tourné les talons, tu décides d'ouvrir de nouveau. Le bouquet trône au sol derrière toi.

— « Attends. »

Inspires, expires. Tu débloques ta mâchoire pour étirer une risette mielleuse. Tends la main vers lui pour relever son menton, l'inspecter. Comme si cela changeait quoi que ce soit.
Le lâches.

— « Est-ce que ça veut dire que tu m'aimes, très fort ? »

C'est presque dit sur le ton du défi.

L'hésitation t'arrache un regard méfiant. Son euh... ne t'inspire pas confiance, ainsi tu te fermes dans un regard assez sévère. L'air de dire ; c'est pour ça que tu m'as dérangé ? Déçu de ce manque de dévouement passionnel, tu vas pour te résigner et réfléchir à une bonne manière de le dégager proprement de ta vue. Quand tout à coup la suite n'offre qu'une conclusion joyeuse à votre échange. Tu recouvres le sourire, amusé soudainement par sa naïveté innocente. Pourquoi ! Pourquoi, qu'il demande !

— « Vois-tu,.. »

La fin de sa phrase insinue que tu attends qu'il la termine par son prénom.

— « Drasko, oui. Vois-tu, comme tu t'en doutes surement, bien être né apporte privilèges et devoirs, honneur et charisme... mais avec cela une petite troupe de flagorneurs avides et intéressés. Puériles tant leur admiration sans faille pour le divin que je puisse représenter leur fait croire que je pourrais les sauver de leur petite vie insipide. »

Tu soupires, l'invites à entrer pour fermer derrière toi.
Tu ne fais pas attention au bouquet qui traine derrière toi. Tu le ramasseras quand ton attention ne sera plus focalisée sur la courbe gracile de ses traits encore juvéniles.

— « Tu transpires ? Tu es rouge. »

Et ça ne te plairait pas vraiment qu'il vienne salir ton intérieur en dégoulinant à tes pieds. Ne l'invitant en rien à s'assoir sur ton lit, tu voles la chaise de ton bureau pour éviter qu'il reste debout comme un idiot.

— « Je suis très touché, crois-moi. »

Tu abuses déjà. Jouis de cette ascendance sur les gens. Enfin on te regarde et enfin tu n'es pas dégoûté parce ce que toi, tu vois.

— « Mais je ne veux pas que l'on se joue de moi. Je déteste les menteurs. Encore plus que je ne hais ceux qui prétendent m'aimer. »

Tu t'assois sur ton lit pour lui faire face.

— « J'en viens donc aux faits : tu m'aimes, et ce très fort. Peux-tu me le prouver ? »

Au moins lui aussi est déjà assis.

Ce Drasko a une manière très brute et vive de s'exprimer. Il répond sans éloquence mais la fermeté de ses affirmations suffisent à te mettre en joue. A ébranler ta determination à le souiller. Et pourtant elle est grande. Face à toi ce n'est pas une personne, mais un pantin qui s'articule pour te divertir et te rassurer. Quand il clame j'mens pas d'une voix rauque et posée, tu hausses un sourcil et rétorques instantanément.

— « Ah oui ? »

Ah bon, oui, d'accord. Il semblerait qu'il a raison mais tu ne veux pas en démordre. Sans preuves tu ne veux pas le croire. Tu t'y refuses, et c'est ta seule manière à ce jour de te protéger. Cependant Cecil tu sais que pour arriver à tes fins tu dois être plus malin. Ardent négociateur à défaut d'apparaître tout de suite comme le tyran autoritaire. La fin justifie toujours les moyens (certes) mais la mécanique du coeur requiert des stratagèmes plus subtiles.

Drasko ne fait pas que contester, il te donne des leçons de morales désormais. C'est de plus en plus curieux. Tu feignes l'innocence, un peu brusqué par l'indélicatesse de son honnêteté tranchée. Tu mimes un regard qui se baisse et joues tristement avec une de tes boucles blondes.

— « Je vois... C'est ce que tu penses. »

Toi aussi tu peux avoir les mêmes yeux.
Ceux qui hurlent à ta résolution.

— « Je ne me fous de la gueule de personne. Jamais je ne me le permettrais. »

Non seulement tu le fais, mais c'est surtout bien pire que ça.
A la question qui suit sa prise de position tu manques de t'étouffer, t'étrangles sous la vulgarité. Tu t'exclames en tapant du poing sur la cuisse mais ne souffles aucun mot. Tu es perdu Cecil, angoissé par l'absolu dont il attend dans ta réponse.

— « Pardon ? »

Tu tousses, tentes de mettre en ordre tes idées. Rien à faire, tu es confus. Tu ne veux pas répondre, alors uses de stratagèmes (encore) pour avoir l'air le plus naturel possible quand tu dis :

— « Si par mon rang on attend de moi que j'épouse la femme parfaite, je n'ai en réalité pas de préférence. Qu'est-ce qu'une expérience sociale ? »

Tu es honnête, tu ne comprends pas ce terme. Cela ne veut rien dire à tes yeux, et tu es trop vicieux pour commettre un faux pas aussi bête.

— « Fais moi confiance. »

Fuis.

Tu ne ressens rien mais c'est comme d'habitude. Tu n'es pas sur de reconnaître les émotions humaines qu'il peut dégager face à toi. Tu interprètes tout mal tu en es certain. De sa bienveillance tu extraies du mépris, de sa grandeur servile tu devines de la provocation et de l'arrogance. Et pourtant son attitude et ses mots n'ont absolument rien en commun des signaux que tu lis. Sa position est franche et ses déclarations (certes hasardeuses) sont sincères.
Quand il te confesses une insécurité ton regard s'éclaire face à la douceur de sa sensibilité, de sa faiblesse évidente. Sans rentrer en empathie pour autant tu secoues la main levée comme pour chasser pour lui ces mauvaises idées.

— « Mon pauvre Drasko... Ces garçons ne sont que des lâches et des misérables. »

Tu rentres dans son jeu, essaies de toutes tes forces de lui témoigner un peu de chaleur malgré le cruel détachement qui peut émaner de ta voix glacée.
Tu n'es pas comme ça, toi, hein ? Hein ?
Non, tu ne l'es pas.
Tu es sans doute pire car toi tu t'attaches, à ta manière.

— « Non. En effet. Tu ne m'es pas indifférent. »

Il se lève après quelques secondes de silence et tu réprimes un mouvement de recul en le voyant te dominer. Tu restes droit sur le lit, fermant à demi les paupières pour ne pas le quitter des yeux non plus. Que compte-il faire ? Ça tourne dans ta tête comme une obsession lascive.

Ses bras t'entourent et son menton se pose sur ta tête. Tu frisonnes et te crispes entièrement. Tu détestes les contacts physiques et celui-ci - même s'il ne témoigne d'aucune véhémence - t'oppresse de par sa tiédeur. Ce n'est ni chaud ni froid, ça ne prend aucun parti et ça te tourmente. Drasko ne veut rien précipiter qu'il dit, et ça t'arrache un rire malingre, un peu nerveux.

— « Sage décision. »

Tu lui tapotes maladroitement la joue, en rythme puis te saisis de ses épaules pour le faire basculer à côté de toi sur le matelas. Hm. Comment jouer avec lui sans qu'il ne se doute de rien ? Comment profiter sans le faire fuir ? Comment être aimé pour l'éternité, sans la contrainte de devoir assumer quelconques responsabilités et exclusivités oppressives ?

— « Tu serais plus mignon si tu te coupais les cheveux. Là ce n'est pas propre. »

Tu effleure son genou de tes doigts fins, puis les décales sur la couette.

— « Je te crois. Vois-tu je n'ouvre que très peu mon coeur. Les gens admirent ou détestent le Prince mais personne ne s'intéresse à Cecil. »

Oh, pauvre petit chou.