T'aurais cru que tu pourrais passer un été tranquille mais non. Tu sors tous les soirs Cecil, soit seul (tu n'es que rarement seul avec Karna) soit avec des amis. C'est la première nuit depuis longtemps que tu passes dans ton lit. T'as répondu aux messages de personne, t'es torse nu sur la couette, et contre le mur - les jambes pendant dans le vide. Tu lèves la tête quand Darren rentre. C'est à peine si vous vous croisez en ce moment.
Hausses un sourcil quand il dit que tu tombes bien, et tu te permets alors de lui couper la parole.

— « Parle moins fort, je lis. »

Tu es intrigué et claques le livre pour le fermer quand il parle de mon caillou. Ne serait-il pas présentement en train de se foutre de la gueule de ta terre natale ?

— « Hm. Je vois que tu t'es renseigné. Je t'obsède finalement c'est ça le truc ? »

Il grimpe sur le lit et tu te crispes. Tes yeux s'écarquillent lentement. T'as tellement envie de le frapper - et en même temps Darren et sa belle gueule merde alors ça t'attire aussi. Tu sais jamais sur quel pied danser quand il est là, alors tu te forces à rester de marbre pour ne pas lui donner de faux espoirs. Qu'il est bête. Insignifiant.

— « Bien essayé mais non. Je ne viendrai pas à ton match de clochards lépreux. Je préfère encore me tailler les veines ou me crever les yeux plutôt que.. »

Rictus.

— « Te suivre vers la colonie de rats. »

Sa soeur ? C'est la deuxième fois qu'il la mentionne et pourtant tu as eu beau éplucher les listes de l'école - il n'y a personne d'autre du nom de Craig. Tu ne comprends pas de qui il s'agit et malgré toi c'est un détail qui t'intrigue. Tu prétends n'en avoir rien à faire et lèves les yeux au ciel pour l'ignorer quand il se rapproche de toi. Tu ne peux le nier mais la tension qui plane dans l'air quand vos deux corps se font face existe bel et bien. Le fait-il exprès ? Est-ce lui tout entier qui se trimballe avec un sac de phéromones ou toi qui n'est pas insensible à son charme ?

Il se montre autoritaire. Se permet de te donner des ordres. Tu le défies du regard en arquant un sourcil, à peine méprisant, tout de suite dédaigneux. Passes ta langue discrètement sur ta lèvre.

— « Non, c'est non. Tu es sourd en plus d'être bête ? »

Tu ne faiblis pas, même quand il parle de t'emmener de force. Même quand il glisse son genou entre tes cuisses. Ça te fait tiquer au niveau du visage, tu commences enfin à trahir ton agacement et ton malaise vis à vis de la proximité qu'il t'impose. Tu souffles.

— « Dégage. »

Cinq minutes écoulées. Baiser dans le cou et tu te retiens de lui hurler dessus - restes interdit jusqu'à ce qu'il vole ton téléphone, qui trônait alors sur les draps à côté de toi. Pour quelqu'un comme toi Cecil, le portable est un outil précieux mais aussi compromettant. Tu te lèves d'un coup, aux aboies et hausses le ton, n'arrives pas à masquer la réaction que ça te provoque.

— « Rend le moi ! Darren rend le moi putain ! »

Il commence à se casser en riant et ça te fait peter un câble. Tu enfiles une chemise au hasard dans ton armoire, attaches péniblement tes bretelles à ton pantalon avant de mettre les premières chaussures qui passent pour lui courir après.

— « Craig ! Reviens ici ! »

Il te casse les pieds, c'est indécent d'être à ce point aussi énervant. Alors dans les couloirs tu le rattrapes péniblement - clairement courir c'est pas ton truc et t'es rapidement épuisé.

T'as du mal à suivre, t'as pas son corps et sa condition physique toi. T'as pas son endurance. Alors tu fais des pauses parfois entre deux sprints, plié en deux et les mains sur les genoux - bercé par ses provocations à deux ronds. Le pire c'est que ça  marche, t'es vraiment alerté par le fait que tes secrets soient decouverts.

— « Non. T'as pas intérêt à faire ça. Ma vie privée ne te regarde pas. »

Tu sais pas pourquoi t'es piqué comme une mouche mais soit. Il te parle encore de sa sœur et tu serres les dents. Enlèves sa main sur ton épaule quand il la pose puis grognes en voyant qu'il a réussi à te traîner jusqu'à son bar. C'est pas vrai ... on va t'y voir et tu sauras pas comment gérer les rumeurs. Tu inspires un grand coup et ne réponds pas quand il te demande ce que tu caches.

— « Contente toi de me le rendre. »

Furieux, tu pénètres le bâtiment et sa suite et t'engouffres dans le tunnel secret. Ça sent la transpiration et le sang. T'es écœuré par cette odeur et agites ta main d'un geste précieux devant ton nez. L'adrénaline monte lentement, à mesure que tu entends les chairs se cogner au loin. Tu demandes.

— « C'est très fréquenté ? »

Tu n'en reviens pas. N'y crois pas des yeux - alors c'était vrai son barratin ?
La curiosité grouille au fond de tes entrailles. Avec ton pouvoir combien de temps tu tiendrais ?

Le paradis ? Ça ? T'es pas détendu toi Cecil, t'as connu de meilleurs paradis, des endroits plus chics et moins puants. Mais à mesure que tu approches et le suis dans cette allée sombre qui mène à la salle du ring tu comprends un peu mieux Darren. Lui et ses copains babouins te font toujours aussi pitié mais tu en viens désormais à envier cette liberté qu'ils se sont réappropriés entre ces murs.
C'est ce que tu cherchais désespérément ces dernières années - depuis ton arrivée sur cette île - un vent frais de sueurs, de stupre et de crocs.

Ses mains sur tes hanches te font frissonner mais te dégoûtent également. Tu te demandes pourquoi il se permet d'être aussi familier avec toi, aussi tactile. Mais tu veux ton téléphone alors tu te laisses faire comme un chat sauvage apprivoisé. T'installes au premier rang pour l'avoir bien dans ton champ de vision.

— « J'espère que tu vas te faire rétamer la gueule comme tu le mérites. »

T'aimes pas les crâneurs et ceux qui se croient au dessus de leur capacité. Ces mêmes gueux qui remettent en question ta légitimité à être prince, à avoir été choisi par le divin pour gouverner. Ils se pensent au même niveau que toi alors que vous n'avez rien en commun.

Le combat commence et tu croises les bras sur la rampe, affiches une mine ennuyée. En réalité tu laisses échapper un sifflement admiratif quand Darren le met au tapis. Tout le monde dans la salle l'applaudit (sauf toi). Tes yeux perçants le détaillent avec fascination et obsession. Darren s'avance et te tend ton téléphone, tu lui arraches des mains et rétorques en le rangeant dans ta poche.

— « Non. Je rentre. »

Tu crèves de rester mais ne lui accordera pas cette victoire et cette attention. Alors que tu tournes les talons tu aperçois un mec rentrer dans l'arène. C'est quoi cette chose immense ? Tu t'obliges à rester pour observer. Darren se débrouille bien mais est en difficulté. Tu trépignes, serres les poings. Esquive que t'as envie de lui crier, direct du droit, uppercut. T'y connais pas grand chose.

Quand le colosse lui met un coup dans le bras et le fait tomber au sol tu enjambes la barrière de sécurité. Tant pis pour ta réputation ça te démange.

— « Imbecile ! Qui va te recoudre après ?! »

Tu te jettes sur le tatami et le repousses. Remontes tes manches et fais signe a l'autre que tu seras son adversaire. Il te rigole au nez et te dit de dégager. Tu refuses et lèves le menton pour le prendre de haut.

— « C'est obèse et ça me traite de minable. Frappe moi et on en repar- »

Crac. Un coup dans le nez qui te fait chuter sur le tatami. Tu bouffes le sol alors que ton sang le tache grossièrement. Tu pousses Darren, excedé et releves contre toute attente. Remet ton nez en place dans un craquement mélodieux. Cette fois il vise ton bras, qui se casse aussi - tu n'as aucune technique de défense et tes placements sont grossiers. Tu te tiens le membre endolori et te laisse glisser à genoux. Ça te fait même pas mal, sauf quand l'os commence lentement à se ressouder.

— « C'est pas fini. »

A quoi tu joues hein ? Même toi t'en as aucune idée Cecil. T'es juste prêt à tout pour être sous les projecteurs de nouveau il semblerait, pour casser cette image de Prince vertueux et coincé qui te colle à la peau. Tu les sens tout ces regards posés sur toi, en rythme avec leurs rires moqueurs et gras. Ils se moquent de toi, encouragent cette grosse brute (pute) à t'humilier. Ça les conforterait dans leur fierté de te voir tomber. Ça leur fera croire à tord que même les rois et les princes peuvent échouer, qu'on peut se sentir supérieurs à eux, qu'on peut leur marcher dessus comme ils s'assoient injustement sur leurs trônes.

Darren s'inquiète pour toi et à juste titre car même si le nez est parfaitement remis en place et que les os se sont ressoudés, le sang sèche difficilement et s'écoule encore de tes narines, tâche d'encre pourpre ta peau blafarde. BOUGE qu'il hurle et tu gardes tes deux genoux plantés dans le tatami. Tu refuses de t'écarter, même quand il s'interpose pour le frapper.

— « Je vais bien ! Arrête de faire le malin, il va te démolir ! »

C'est à celui qui cédera en premier. Tu fronces les sourcils et affiches une mine surprise quand il parle de ta beauté. Tu ne comprends pas dans le contexte quel est le rapport. Tu ne rougis pas, tu n'es pas spécialement touché car tu ne saisis pas le sens qu'il veut donner à ses mots. Tu te contentes d'avoir l'air outré. En général ça passe avec tout, surtout avec Darren qui semble chercher par tous les moyens de t'insulter.

Tu finis par te relever doucement, le bras droit touché et pendant le long de ton corps. Ton pouvoir s'active à ressouder l'os principal, fracturé. En général et vu ta maitrise ça ne me met pas plus d'une minute. Tu observes Darren se battre, malgré l'arbitre qui semble vouloir faire cesser le combat. Tu essaies d'analyser le coups, les positionnements. Tu n'es pas très bon combattant (certes) mais bon analyste, ce qui te permet d'être un adversaire redoutable.

Rentre chez toi lavette ! Ici c'est pas pour les duchesses !
Tu serres les dents.
Va pas te casser un ongle la miss !
Tu serres le poing.

Sans réfléchir tu t'élances, appuies sur ton pied gauche et fait un croche patte à Darren avant qu'il ne se prenne un coup. Marche sur lui pour te surélever et vises de ton genou entre les cuisses du colosse. C'est que ses doigts ont le temps d'agripper ton épaule avant qu'il ne se torde de douleur. Descendent à ton bras le plus avancé pour le tordre violemment. Les muscles se froissent et en voulant le faire lâcher tu retournes tes cinq doigts à l'envers. Ça, ça fait mal.

Tu glisses de Darren et te tords la cheville.
Décidément les combats de chien c'est pas fait pour les chats raffinés. Pourtant on dit qu'ils retombent sur leurs pattes, toi tu t'arranges pour tout te casser. L'arbitre fait signe aux deux hommes de main d'arrêter de force le combat - car ni toi ni Darren n'êtes réellement en état.

— « Je veux... continuer... à me battre. »

C'est la première fois que tu te sens aussi proche de lui. De ce qu'il peut ressentir. De ce que tu avais imaginé haïr. Tu t'assois en tailleur et dans un soupire tu fais craquer ta nuque.
L'arbitre s'avance vers toi.

Comment tu te sens ? Il va falloir que tu ailles à l'hôpital. Tu comprendras que personne ici ne peut t'y emmener sans s'attirer les soupçons. La commodité c'est de dire qu'on est tombé dans les escaliers.

Tu redresses, comme neuf. Ta chevalière est une bénédiction.
Au centre de la faible lumière, tu relèves légèrement la tête.

— « Pour vous c'est toujours Votre Altesse. Et pourquoi irais-je à l'hôpital si je n'ai aucune blessure ? »

Plus passionnant qu'un Prince ? Qu'est-ce que c'est censé signifier ? Tu places ça sous le joug d'une jalousie mal placée.
Il met du temps à comprendre, à saisir l'essence même de ton pouvoir. Tu étires un petit sourire fier et arrogant. C'est bien la seule chose qu'il te reste dans ce monde injuste où ton honneur et ton devoir se sont écrémés parmi la plèbe. Les autres te calculent enfin, rient mais avec toi et pas de toi cette fois. Tu gonfles le torse, louches sur son artefact.

— « Ton pouvoir te ressemble, je trouve. C'est celui d'un rat profiteur qui n'a rien pour lui. Tu ne vis qu'au travers des autres n'est-ce pas ? »

Insensible à ton venin, il se saisit de ton visage pour le nettoyer à l'aide d'une serviette. Dans ses mouvements tu vois Karna. Lui aussi il a ce genre de gestes envers toi. Celui d'un serviteur qui prend plus soin de toi que toi-même tu ne le fais. Tu te laisses faire comme si c'était normal, relèves la tête quand il passe le tissu humide, détache le sang séché de ta peau redevenue blême.

— « Je veux apprendre. »

Que tu avoues, alors que ton regard supplante le sien.

— « Peut-être que je pourrais même te battre à l'usure. »

Tu devines ses intentions rien qu'en détaillant ses pupilles dilatées. Tournes la tête pour le castrer et fais mine d'ignorer sa proposition - jusqu'à la décliner.

— « Non merci, non. Je vais aller terminer mon livre. »

Hm. Maintenant que l'idée est lancée.

— « Bon, d'accord. Mais juste un alors. Essaierais-tu de me faire boire pour abuser de moi Craig ? »

Non on ne peut pas tous être toi. Ça se saurait si tout le monde pouvait avoir ta stature et ta grandeur d'âme. Si tout le monde pouvait avoir tes privilèges de naissance... ça te fait te questionner et te rappeler un détail cruel : sur cette île tu es eux. Tu n'as plus l'essence de ce qui est toi. On t'a obligé à redevenir cet humain à l'échelle humaine. Ça fait mal de ne plus se sentir aussi different.

— « A qui le dit-tu franchement. »

Darren t'entraîne au bar et tu manques d'entrain pour résister assez longtemps afin de te dégager. Tu t'installes à une table (là où il te guide) et le sens s'infiltrer dans ton dos, à te murmurer inepties et insanités. Tu déglutis et le toises d'un air supérieur.

— « Moi ? Te supplier ? Tu rêves, Ren. Tu rêves les yeux ouverts. »

Le barman arrive et vous interrompt. Tu lui glisses un regard outré, un brin condescendant. Il peut mal le prendre s'il le souhaite - il n'empêche qu'il garde secret et encourage des combats dangereux et illégaux dans le sous-sol de son établissement.
Tout naturellement quand on te demande ce que tu bois tu articules d'un ton hautain.

— « Un monaco. »

Regard intense vers Darren et ses aises habituelles. Tu n'écoutes pas ce que lui veut boire, surement un truc trop fort et pas assez sucré. Pour se pavaner d'être un homme (un vrai) aux papilles résistantes.
Quand vous êtes enfin tous les deux, tu te permets d'ajouter d'une voix sévère. Sous le coup de la réprimande.

— « Et arrête de m'appeler bébé, veux-tu ? C'est déplacé. »

Tu tousses.

— « Inadapté. Je ne suis pas ton bébé, je SUIS un PRINCE. »

Tu souffles par le nez cette fois. Putain c'est que tu perds patience à l'éduquer.

— « Je me doute que ceux de ton espèce ont du mal à donner du respect à ceux à qui ils le doivent mais je ne suis pas ta marionnette. »

Tu pestes, gesticules sur ton siège.
Il l'est - il est ta marionnette. C'est toi qui le manipules et pas lui qui te contrôle.
Toi qui le tient en laisse et pas lui qui te caresse la tête quand ça lui prend. Tu l'exècres, tu l'exerces !

— « Et ce n'est pas parce que tu peux copier mon pouvoir que ça te rend aussi... exceptionnel. »

Tu lèves les yeux, l'affrontes.

— « Que moi. »

Toi toujours toi.