Nouvelle nuit d’insomnie pour celle dont le cerveau l’empêche d’apprécier le silence qu’offre la nuit. Il est toujours en ébullition, lui signalant ce qu’elle aurait pu mieux faire dans la journée, et surtout, la mettant face à toutes ses bêtises du passé. Qu’est ce qu’il peut-être agaçant à se souvenir de tout ça dans des les moindres détails, et comme toujours, son pouvoir s’en mêle, lui proposant toutes les alternatives que son intelligence avait à offrir aux problèmes du passé. Ne comprend-il pas que c’est trop tard ? Et comme ce pouvoir vient avec tous ses inconvénients, voilà que la brune recommence à avoir des migraines.
C’en est assez.
Charlie bondit hors de son lit et enfile son jogging et ses claquettes avant de quitter le dortoir le plus discrètement possible. Les cheveux décoiffés, de toute façon il n’y a personne à cette heure-ci, elle arpente les couloirs sans but précis, fait même un tour dehors tout en prenant soin de ne pas se faire attraper par les surveillants. Alors que son errance continue dans les couloirs, elle finit par apercevoir quelqu’un au loin. Tout d’abord méfiante, ayant déjà dépassé le couvre-feu depuis longtemps, Charlie constate bien vite qu’il s’agit d’un étudiant. Soupire de soulagement, elle le détaille rapidement pour connaître son identité. Elle met un peu de temps à le reconnaître, normal, il est tout nouveau, sauf qu’on parle beaucoup de lui, tellement qu’elle a fini par en être intriguée. Son pouvoir effraie les autres, mais Charlie n’a pas peur, elle ne veut juste pas qu’il connaisse ses peurs, et encore moins qu’il les répande. C’est sûre d’elle que la lycéenne s’approche vers lui, lui donnant une tape sur l’épaule pour qu’il se retourne. « T’es le nouveau, c’est bien ça ? » Elle attend sa confirmation avant de continuer, rangeant ses mains dans les poches de son jogging trop grand. « Faut qu’on discute de ton pouvoir, pour tout te dire il me pose problème. » Lache-t-elle sèchement. Bien que son intention ne soit pas de paraître froide, la fatigue fait qu’elle le devient, elle ressemblerait presque à ceux qui s’amusent à parler dans le dos de l’étudiant. Pourtant ce n’est pas son but, Charlie est juste maladroite avec les mots, et à vrai dire, ça ne lui importe peu tant qu’elle lui fait comprendre ce qui la contrarie. Égoïste, elle ne cesse de l’être.
Les peurs. Les terreurs. Les phobies. Tu es phobokinésiste.
Evan marche dans les couloirs, tente d’oublier, d’enrayer le présent. Comment sa vie a-t-elle fait pour basculer si brusquement ? Il n’y a pas si longtemps, il était un jeune homme plein d’avenir. Il avait tout, pratiquement tout à ses pieds, non qu’il soit du genre à s’en vanter. Puis la soirée. A vrai dire c’est à peine s’il s’en souvient, de cette soirée, mais il en a entendu parler. Son père recroquevillé, il ne sait même pas ce qu’il est devenu. Le dégoût dans les yeux de sa mère, quand le gouvernement est venu le chercher. Tu es phobokinésiste.
Pousse un soupir, se glisse une main dans les cheveux pour tirer sur la racine. Depuis que cet étrange pouvoir, ce qu’on lui dit être un somnus, s’est éveillé, Evan ne sait même plus qui il est. Dès qu’il croise quelqu’un, ses peurs lui enserrent la tête et le hantent. Elles restent, s’accrochent à lui pour faire de ses nuits un véritable cauchemar. Comment faire pour ne pas craquer ? Evan décide de sortir. De marcher. De courir. Et face aux autres, tout simplement, il garde le sourire. Il reste lui-même, ou cette personne qu’il croit encore être, et rien ne change.
Vêtu de son jogging et d’un marcel de sport, Evan bifurque dans les couloirs. Il est allé courir, dans l’espoir que la fatigue le fasse dormir plus sereinement. Parfois ça fonctionne, mais il a encore bien des choses à apprendre. D’un geste distrait, il plonge ses doigts dans sa poche pour en sortir une langue de chat. La prend en bouche, la mâchonne. C’est là qu’il se fait tapoter sur l’épaule. Presque immédiatement, ses pensées se parent de visions qui ne sont pas les siennes. Des chiens. Des chiens, partout, de toutes les tailles.
Au moins, ça a le mérite de le changer. Alors Evan se retourne, baisse les yeux sur l’inconnue. Il n’a pas souvenir de l’avoir déjà croisée.
- Evan, confirme-t-il dans un hochement de tête.
S’attend à son prénom en guise de réponse, mais déjà la jeune fille lui apprend qu’il est un problème. Bien, au moins ça a le mérite d’être clair. Il hausse un sourcil, lâche même un petit rire. A voir les peurs de la jeune fille, il a du mal à imaginer comment son pouvoir pourrait être un souci.
- Tu m’en vois… désolé ?
Il rit encore. Léger. Cette rencontre lui change déjà les idées, et de ça il ne peut être que preneur. Alors il l’observe, cette petite femme qui semble avoir le caractère bien trempé. Il l’a entendu, le ton sec dans sa voix. Et il l’a vue, la lueur dans ses yeux. Evan, ça l’amuse.
- Sérieusement, comment tu peux avoir peur d’un teckel ? demande-t-il en avalant deux autres bonbons dans la foulée.
Croise les bras, se recule d’un pas pour ne pas risquer de la toucher. Parce qu’il connaît les dangers. Lire les peurs des autres, c’est un problème. Embêtant, certes, mais qu’il peut gérer seul. En revanche, toucher les autres et risquer de les y enfermer si le pouvoir s’active, c’en est un autre.
- Alors dis-moi, continue-t-il avec un sourire. Qu’est-ce que j’peux faire pour toi ?
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