Tu te retiens d'ajouter "comme chaque année", mais t'épargnes Arsene de ta mélancolie. T'épargnes toujours Arsene de ta mélancolie. La porte claquée derrière lui, tu te tournes dans ton lit. Tu n'iras pas en cours aujourd'hui, Noah, et personne n'y trouvera rien à redire. Parce que personne n'osera te dire quoi que ce soit aujourd'hui. Personne n'ose reprocher à un type de sécher le jour de l'anniversaire de la mort de son frère. Au moins un truc où les rats font preuve de décence. Et aujourd'hui tu préfères ne pas les voir, c'est souvent ce jour-là que tu réalises que tu comprends Arsene : recevoir de la pitié c'est comme se faire dégueuler dessus. Et personne n'aime se faire dégueuler dessus.
T'as l'heure qui tourne, les cours du matin ont du commencer ce qui veut dire que les couloirs seront vides et le campus aussi. Tu te tires de ton lit, fixe tes pieds. Une partie de toi n'a pas envie d'y aller. Ce serait tellement plus simple d'aller se recoucher, de dormir jusqu'à que minuit soit passé pour prétendre que cette journée n'a jamais existé, qu'on peut reprendre le cours de la catastrophe qu'est ta vie comme-ci de rien n'était. Mais tu revois son visage brouillé de larmes quand petit il pleurait parce qu'il ne voulait pas dormir seul, parce qu'il avait peur du noir. Il est mort. Il n'a probablement plus peur de rien. Mais tu ne peux pas le laisser dans le noir, Liam. Alors tu te lèves (te traînes), cadavre ambulant, comme chaque année. Tu passes à la douche, enfiles, les cheveux encore trempés ta chemise et un jean. T'enfiles tes chaussures, tu ne passes pas de veste, il fait encore chaud et, pour être franc, t'en a pas grand-chose à foutre d'attraper froid ou non (ce serait presque une délivrance de monter à quarante de fièvre).
Il y a une tradition que tu accomplis toujours quand tu vas lui rendre visite. T'apportes toujours avec toi une canette de cette boisson énergisante dégueu à laquelle il était accro. Il pouvait s'en enfiler des dizaines dans la journée, tu l'engueulais toujours. Tu donnerais tout pour pouvoir l'engueuler de nouveau. Quand tu passes les portes du foyer, c'est pour aller en chercher une, pouvoir déposer l'offrande, comme-ci il en avait quelque chose à foutre. Tu t'attends à être seul, tout le monde est en cours, pourtant quand t'ouvres ta porte, tu le vois, lui. La courbure de sa nuque, l'envie irrépressible de glisser tes doigts dans ses cheveux (est-ce qu'ils ont poussé ? Tu jurerais qu'ils ont poussé). Il a l'air de porter le poids du monde sur ses épaules, comme d'habitude. Évidemment, fallait que tu tombes sur lui aujourd'hui. Évidemment, pusique c'est aujourd'hui.
— J'crois tu t'es trompé de salle abrutie, les cours c'est par là.
Tu désignes la porte du doigt, passe ta main dans ta poche et lui sourit. Tu maudis (béni) le fait qu'il soit là. Sans un mot tu te diriges vers le distributeur, commande cette boisson que tu ne commandes jamais, bercé par le bip et le bruit de la machine. Tu viens te poser contre sa table, pose la canette pour abandonner tes yeux sur son corps, tente de comprendre à sa dégaine si sa présence est le fruit d'un abandon d'aller en cours ou si l'école buissonnière était préméditée depuis longtemps. Tu tapes sur la première option, Ezra est un maître dans le fait d'avancer pour mieux reculer. Tu pourrais lui prendre le poignet, le traîner jusqu'à ce fameux placard et vous enfermer pour le reste de la journée. Tu pourrais l'embrasser jusqu'à t'en meurtrir les lèvres, t'es sûr que si tu lui proposais, il accepterait. Tes doigts glissent contre son bras, ton corps s'échoue contre ses genoux. Tu sais qu'il a horreur des démonstrations en public. Mais il n'y a pas de public aujourd'hui. Dommage pour lui.
— Tu me rendrai un service ?
C'est toujours comme ça que commence une mauvaise idée.
Ce jour est particulier. Ce jour est un pied de plus dans l'enfer éternel que tu as rejoins il y a quatre ans. Ce jour est celui où tu as tenté de mettre fin à tous les prochains il y a deux ans. Le temps passe vite et cruellement lentement depuis qu'il n'est plus là. Il n'y a pas une seconde qui passe sans que tu ne t'effondres sous le poids des regrets et pas une minute qui s'écoule sans que tu ne l'aies pas en tête. Tu essaies parfois de l'oublier mais c'est impossible. C'est impossible à cause de lui : tu le détestes - Noah Pierce et son mimétisme écoeurant. Sa compassion dégueulasse, ses mains crasses, son regard salace. La rigueur de ses mots, la raideur de ses os, quand filent tes doigts sur ses cotes.
Evidemment, déjà qu'en temps normaux tu n'es pas le plus assidu en cours, la crise d'angoisse du matin t'a fait prendre la fuite. Réfugié au foyer, tu somnoles la tête dans tes bras croisés. Relèves le menton quand tu entends du bruit - prêt à te chauffer avec le premier qui vient te casser les couilles. T'es pas d'humeur. Les yeux un peu brumeux, tu fixes de loin la silhouette fantomatique de Liam Pierce allant se servir dans la machine. Tes lèvres bougent toutes seules, et c'est d'un ton horrifié que tu murmures.
— « Liam... »
Mais non. Il est parti. Volatilisé en fumée, enterré sous des tonnes de gravier.
— « Ah. Noah. »
C'est presque déçu mais c'est surtout négligé. Tu te forces à sourire pour te rattraper mais qui essaies-tu de tromper ? Réagis en retard à sa remarque. Les cours c'est par là. Tu fronces les sourcils et le toises avec acrimonie.
— « C'est quand ça t'arrange. T'es censé y être aussi je te rappelle. »
Tu supportes pas qu'on te fasse la morale. Surtout pas aujourd'hui (en vrai jamais). Tu te sens assez misérable comme ça. Là où c'est malsain c'est qu'avec lui tu dois te complaire dans le rôle de la victime quand tu suintes de l'attitude du coupable. Tu frissonnes au contact de ses doigts et encaisses un grognement sourd quand il s'installe sur tes cuisses. Putain mais qu'est-ce qu'il fiche ?
— « Hm... »
Oui oui oui tout ce que tu veux.
— « Ça dépend. »
L'attraction est trop forte, tu cales ton front contre son torse. Déposes un baiser chaste et timide sur le tissu frais de sa chemise propre. Tu inspires profondément cette odeur qui t'obsède. Fermes les yeux alors que tu enroules tes bras autour de lui pour le retenir contre toi. Merde.
Est-ce qu'il le voit encore ? Est-ce qu'il y pense encore ? Si t'as pas besoin de lui poser la question c'est que son murmure répond pour lui. T'encaisses en silence, profites d'être dos à lui pour laisser ton regard vague de tristesse retrouver un peu de son éclat. T'avais fini par croire (espérer ?) qu'il ne voyait plus que toi, rien que toi. Puisque c'est ton nom qu'il murmurait quand tu le caressais, puisque c'est ta chaleur qui faisait éclater la sienne. Pourtant c'est son nom qu'il murmure et ça te tue. Tu ne sais pas pourquoi ça te blesse autant, tu n'as pas envie (t'es terrifié) de savoir pourquoi. Alors quand tu te cales contre lui c'est autant par caprice que par vengeance (besoin). Tes doigts qui passent sur sa nuque, qui se perdent dans ses cheveux (enfin, y a pas plus douce sensation que celle-là). Ses bras qui se serrent autour de toi, tu fermes les yeux, obsédé, envie de lui demander s'il te voit maintenant que tu es de nouveau dans ses bras. Tu ne lui demanderas rien. Vous enfantez le concept même de lâcheté.
— Me lâche pas de la journée, s'il te plaît.
Peut-être bien la première fois que tu lui balances quelque chose comme ça. Quelque chose de différent que l'appel à venir en courant pour recevoir tes caresses et tes fessées. Quelque chose de différent que lui demander de se laisser torturer. Quelque chose de différent que lui imposer de se rebeller
— Je dois aller le voir, je ne veux pas y aller seul... Accompagne-moi.
Tu masses sa nuque, comme pour rendre la demande plus agréable. Tu ne veux pas, t'as pas la force, tu le réalises. Pas la force de te retrouver de nouveau seul comme un con devant son souvenir, pas la force d'attendre son rire, mais de n'avoir que le silence, pas la force d'espérer sa chaleur mais de n'avoir que le froid. Et tu veux qu'il le voie, tu veux lui imposer cette vision, qu'il sente le froid, embrasse le silence et comprenne qu'il ne reviendra pas, jamais, qu'il n'y a plus que toi, rien que toi, qu'il te regarde vraiment. C'est devenu une obsession
— Je ferai tout ce que tu veux après...S'il te plaît.
Tu supplies, est-ce qu'il aime te voir fragile ? Est-ce que ça va le faire bander de te voir dans la position du quémandeur désespéré ? Tu viens chercher ses lèvres, insistes. Il n'a rien à foutre de la journée de toute façon, qu'il vienne, qu'il ne soit qu'à toi, rien qu'à toi. T'as brisé Lucrecia pour lui, tu veux le briser pour toi. Qu'il voit, qu'il constate. Que tu puisses lui dire : "tu vois ? Il est mort, il n'en avait rien à foutre de toi". Que tu déposes cette foutue canette, que vous vous fassiez mal l'un et l'autre pour vous soigner à deux, que vous vous frigorifiez pour mieux vous réchauffer. Tu l'embrasses, murmure contre ses lèvres.
— Reste avec moi, Ezra.
Ce prénom qu'il n'a jamais prononcé, Liam. Ce prénom qu'il ne prononcera jamais. Mais ce prénom que tu prononces toi, seulement toi.
Fragile tu le deviens encore plus quand il passe ses doigts dans tes cheveux, quand un rapprochement s'impose car vos cuisses se frôlent, vos bouches se mêlent et la corde s'enroule (autour de ton cou). Tu te laisses bercer par ses soupires insolents, ses supplications entrainantes. C'est la première fois que tu le vois aussi faible - tu ne sais pas si tu as la force de prendre le dessus. Mais dans ta lâcheté imminente tu en profites pour te cacher derrière ses demandes pour fuir encore une fois tes responsabilités.
— « Euuuh.... »
Aller le voir. Aller voir sa tombe. Tu n'as jamais eu les couilles de le faire en quatre ans. Il doit te trouver bizarre, à détourner le regard, à fuir comme un coupable qui a trop honte. Tu déglutis et poses tes mains sur ses épaules pour le repousser un petit peu. Tu ne dois pas paraitre plus suspect que tu ne l'es déjà aux yeux du monde Ezra. A ne rien vouloir porter sur ton dos, des ailes ont poussé. Dommage que ton coeur soit trop lourd pour que tu puisses t'envoler.
Il surenchérit face à ton hésitation. Il fera tout ce que tu voudras il parait. C'est pas à lui de ramper devant toi comme il le fait présentement... et pourtant à la vue d'une simple brèche tu t'y enfonces sans demander ton reste.
— « Tout ce que je voudrais, alors. »
Tu cèdes.
— « Ok ok, on y va. »
Ses lèvres viennent assaillir les tiennes, murmures Ezra Ezra Ezra... et ce jour-là ça ressemble encore plus à sa voix. (Liam) Alors tu n'écoutes pas.
— « Noah... » (Liam)
Fermes les yeux.
— « Ne m'abandonne pas. »
C'est dit un peu comme un aveu honteux, ce genre de phrase qui passent mieux dans les films ou dans les livres car comme ça c'est un peu ridicule. Tu le repousses totalement (ironique) et souffles du nez. Tu veux crever putain.
Tu accompagnes ta supplique en te faisant docile, petit chien heureux en quête de la moindre démonstration de tendresse et d'amour. Tu pourrais faire le clebs pour lui des heures durant si c'est ce qui lui plaît, tu pourrais combler le moindre de ses complexes (sauveur, imposteur) pour peu qu'il te regarde, qu'il oublie un instant son nom, qu'il te désire toi, là, juste là. Son regard se détourne, il n'a pas envie d'y aller. S'y est-il déjà rendu ? Tu l'imagines fuir, tu l'imagines incapable mais tu te trompes peut-être. Enfin, qu'importe. Ce qu'il compte, c'est qu'il voit, qu'il constate, qu'il voir la stèle, qu'il te voit toi, vivant. Qu'il grave dans sa mémoire qui est mort et qui ne l'est pas.
— Tout ce que tu voudras.
Caresse sa joue, le sourire le plus tendre que tu puisses faire. Tu lui donnes de l'emprise, du contrôle. Ton ego te dit que c'est pour mieux servir tes désirs, mais t'en ai même plus sûr. La vérité c'est peut-être que tu lui donnes parce que tu as envie de donner. T'es parti à la conquête de son cou en murmurant son prénom. Tu ne sais pas te tenir avec lui, comme-ci manquer une occasion de le marquer pourrait le faire disparaître, lui donner une occasion de fuir... Définitivement.
Il murmure ton prénom. Tu souris. Murmure le sien en retour. Et il confesse, Ezra.
Tu pourrais t'en moquer, c'est ce que tu fais toujours de ce genre phrase. Mais ça t'excite aujourd'hui, ça te gonfle d'un sentiment de légitimité. Et tu n'as pas envie, Noah, de l'abandonner Ezra. Mais tu n'as pas le temps de le lui dire, il te repousse et tu t'en amuses. Qu'importe s'il fuit, après Liam, tu iras lui le murmurer sous la frondaison des arbres, dans l'intimité de leurs ombres, juste pour le faire craquer. Puis t’ira faire tout ce qu'il commandera, parce que tu as promis, parce que tu sais encore tenir parole, Noah.
— Suis-moi.
Tu l'entraînes hors du foyer, hors des bâtiments. Tu as fait ce trajet peut-être bien plus d'une centaine de fois. Dans des états toujours très différent, plein de remords, plein de colère, plein de manque, plein de dégoût. Du coin de l’œil, tu l'observes. Il te fascine depuis le premier jour. Il semble se battre contre tout, c'est une bombe, une guerre permanente, qui semble essayer d'embrasser la vie pour la vomir une seconde plus tard. Tu revois ses sourcils qui se froncent, sa colère dans ses yeux, l'envie dans son regard, la moue de son visage. Il est beau en tout. T'as le cœur qui accélère. Ah. Ah. Putain. Tu détournes le regard, il va falloir que t'en parles à ton psy, il n'y a pas que lui qui ai besoin d'une liste de cachet.
Quand vous arrivez sur place tu ralentis. Évidemment il n'y a personne. Tu n'attends pas après lui et t'enfonce dans les allées. Quand t'arrive devant sa tombe, t'es soudain pris de regret. Est-ce que c'est une bonne idée de l'avoir amené ici ? Est-ce que ce n'est pas cruel ? Qu'est-ce que penserait Liam ? Je suis vraiment dégueulasse. Je me donne la gerbe. Tu poses la canette en silence. Pose un genou au sol.
— Salut p'tit frère.
T'as la gorge qui se serre. Qu'est-ce que t'as foutu. Qu'est-ce que t'as branlé ? T'oses à peine regarder dans sa direction. À quoi ressemble son regard maintenant ? Qu'est-ce qu'il ressent ?
— Je suis venu avec quelqu'un aujourd'hui. C'est quelqu'un que j'ai pas envie d'abandonner.
Suis-moi qu'il te dit. Tu ne fais que ça, de le suivre. Dans ses désirs, dans ses délires. C'est un supplice de plus que tu acceptes de supporter. La route vers le cimetière est longue. Tu restes un peu en retrait, ne lui offres que des sourires crispés à mesure que vous vous rapprochez de la destination. Tu sens ta poitrine se gonfler d'angoisse, ta gorge se nouer et tes mains moites serrent le poing. Tu n'es clairement pas à l'aise, Ezra. Clairement pas.
Tu tapotes nerveusement la poche de ton pantalon, dessines la silhouette de la boite de médocs pour te rassurer et te calmer. Voir cette tombe c'est un monde qui s'effondre. Il est réellement mort, et son trou c'est toi qui l'a creusé. Tu ne te pardonneras jamais, il ne te pardonneras jamais. Incapable de le saluer, tu jurerais que son fantôme est revenu te hanter - car tu le vois à côté de la pierre, les deux pieds dans l'herbe.
— « Non... »
Tu portes une main à ton front et fait deux pas en arrière. Les mots de Noah font l'effet d'un coup de poignard. Tu le sais sincère (et c'est ça le pire !) ; autant que s'expriment tes sentiments naissants à son égard.
— « Je... Je suis pas à l'aise. On va fixer la tombe d'un maccabbé longtemps ? C'est glauque. »
Maladroit car tu ne sais pas comment t'en sortir sans exploser. Il a le détonateur dans la main. Tu baisses la tête, fixes tes chaussures en serrant les dents.
— « On l'a vu, maintenant on se tire ! »
Tu t'avances vers lui et tires sur son bras, un peu brusquement. Peut-être un peu trop. Tu y mets de la force parce qu'au fond t'es assez faible pour pleurer.
— « NOAH ! S'IL TE PLAIT ON BOUGE ! »
Prêt à le cogner pour éviter de t'y frotter (encore).
Tu l'entends s'agiter. Ton regard obstinément tourné vers la pierre gravée, mais ton ouïe toute à l’affût du moindre bruit. Tu crois l'entendre reculer, est-ce qu'il va s'enfuir ? Tu culpabilises que ce soit aussi difficile pour lui. Tu te vexes que ce soit aussi difficile pour lui. Partager entre deux envies, celle de te lever, de le prendre dans tes bras, de lui demander pardon et de lui promettre que tu ne lui feras plus jamais subir ça. Partager entre deux envies, celle de le laisser se torturer, de le punir, qu'il s’imprègne de cette image glaçante, du silence terrible du lieu, de cette espérance que ce soit faux, que rien, ni personne, ne vienne contredire la vérité qu'on refuse d'accepter.
— Deux minutes.
Ça te brûle dans la gorge. Un mélange âcre de bile et de salive. Derrière toi il demande à partir. S'insurge qu'on reste planté là devant une tombe. C'est glauque. C'est le principe
Tu t'obstines à ne pas bouger. Te demande pourquoi. Tu t'insultes de ne pas le faire. Tu te supplies de ne pas le faire. T'es perdu, Noah. Repense, un peu glacé à ce que t'avais proposer Lily. Tu peux lui parler. Est-ce que ça veut dire qu'ils vous voient en ce moment ? Qu'il est là ? Qu'il entend ? Qu'est-ce qu'il en pense ? Quelle est son expression ? Est-ce qu'il est dégoûté ? Est-ce qu'il est déçu ? Est-ce qu'il vous voit tous les deux ? Toi ravagé. Ezra prêt à exploser ? Est-ce qu'il a ne serait-ce que reconnu ce type qui ne faisait que l'observer, qui crève tellement d'amour pour lui que même après avoir coucher avec c'est lui qu'il appel en secret ?
Réponds-moi, Liam. RÉPONDS-MOI.
T'as serré la mâchoire sous l'effet de la rage, c'est à ce moment-là qu'il t'a tiré par le bras. Surpris par sa force tu trébuches en arrière, tombe sur tes fesses. Ton regard qui se perd sur lui. Ah. Ah.. Il a l'air détruit. Pourquoi il a l'air détruit ? Pourquoi? Cette expression sur son visage... Elle te serre le cœur sans comprendre pourquoi.
.... Ah.
Tu te relèves, tes gestes précipités, maladroits, viens le prendre dans tes bras pour masquer la tombe, pour masquer tout ça. T'aurais pas dû. T'aurais jamais dû.
— On s'en va. On s'en va maintenant.
Tu te retrouves à l'entraîner, la sensation d'avoir une statue de porcelaine sur le poids de se briser. T'as passé ton bras sur son épaule pour l'attirer à toi, profiter que tu sois le plus grand pour qu'il ne voie pas, la tombe, la canette, la gravure sur la pierre Liam Pierce, Un frère et un ami aimant 2000-2017. Des grandes enjambées, comme-ci vous marchiez pressés par la pluie alors que le ciel n'a jamais été aussi clair et dégagé qu'aujourd'hui.
Tu sors du cimetière, l'éloignes encore de quelques pas. Dans ta tête sa bourdonne, t'as jeté un dernier regard à la tombe de ton frère quand t'es parti. Plein de pardon. Plein de jalousie. T'aimerais mettre ça sur le compte d'aujourd'hui. Non, Non, c'est pas seulement aujourd'hui.
Tu le lâches, dégluti. Ton regard incertain, tu ne sais pas ce que tu as fait. Tu ne sais plus pourquoi.
— Tu devrais pas prendre tes cachets ?
T'as presque envie qu'il te les donne pour que tu en prennes aussi. Pour que tu oublies. Faire comme-ci la tombe de Liam n'existe pas. Parce que c'est plus simple comme-ça. Continuer de l'embrasser, de le désirer et prétendre que tout ça n'a jamais existé.
Il ne veut pas partir ! Pourquoi il ne veut pas ? Pourquoi il te fait ça ? Tu le détestes, tu le hais. S'il t'amènes ici, c'est parce qu'il sait. C'est pour te torturer ! Pourquoi il te ferait ça ? Mais bien-sûr ! Pour te faire payer ton crime ! Il sait forcément ! Tu meurs à petit feu sous la paranoïa, explose dans un incendie titanesque sous la p a r a n o i a. Le tires de toutes tes forces, t'es à deux doigts de le frapper. Dans ta tête il t'agresse, alors tu fais que te défendre pas vrai ? AH Ezra ! La culpabilité est un vilain défaut, surtout quand on la cache trop. Elle ressort à des moments où on devrait savoir faire semblant.
Il te prend dans ses bras. C'est inattendu, ça te coupe dans ton délire psychotique. Tu ne bouges plus, ne lui rends même pas son étreinte. Les larmes retournent ramper au fond de tes orbites et tu t'étrangles en déglutissant. Le souffle tremblant. Tu n'attendais qu'une chose, que ce soit lui qui te sorte d'ici. Quand il t'entraine tu le suis sagement, étouffes et contiens une fois de plus le feu qui a menacé de sortir. Ça serait le comble d'en tuer un deuxième n'est-ce pas ?
— « Putain... »
Tu geins une fois que vous vous soyez arrêté.
— « Je veux plus jamais y retourner. Je... »
Tu tentes de masquer tes remords par des propos qui sortent beaucoup plus maladroitement que tu ne le penses vraiment.
— « Il s'en fout qu'on soit là non ? Il est mort. Ça me soulage pas de voir une tombe. Je souffre assez quand je te vois. »
Merde.
— « Non, c'est pas ce que je voulais dire... »
Tu relèves lentement tes yeux coupables vers son visage meurtri. T'as pas répondu pour les cachets. Par reflexe tu tâtes ta poche et tentes de changer de sujet pour qu'il oublie ce que tu viens de lui lâcher.
— « Je.. Je les ai déjà pris.. ce matin. »
L'autre c'est le soir, mais ça il le sait vu qu'il a surpris ton alarme au bar la dernière fois.
Tu ne veux plus jamais y retourner non plus. Aujourd'hui plus que toutes les autres fois. Tu veux laisser cette pierre à l'abandon, la rendre aux fleurs fanées, aux fientes de pigeons. Tu ne veux plus jamais la voir. Pas si ça lui déchire autant le visage. Et qu'est-ce que tu attendais de ce moment au juste ? Qu'il s'excuse ? Qu'il le dise ? Qu'il l'admette ? S'excuser pour quoi (qui) ? Pour dire quoi ? Pour admettre quoi ? Putain. Putain. Putain. Putain. T'as le goût du métal dans la bouche, à force de te mordre la joue t'as saigné.
Tu recules lui laisse de l'espace. Perdus, Noah, tes plans te semblait pourtant bien plus clairs et brillants au sortir du foyer. Maintenant tu te sens comme un con. L'impression de n'avoir rien accomplit. Pire ! D'avoir tout fait foirer. Tu ne sais plus contre qui t'es furieux, de qui tu veux des réponses. De lui ? De Liam ? Liam est mort et Ezra te donne la sensation qu'il ne va pas tarder à clamser aussi. T'aimerais dire quelque chose mais aucun mot ne te vient. Heureusement les siens sont là pour trancher à ta place.
Je souffre assez quand je te vois
Blessé. Même si t'as vu le coup venir et de loin. Ah. Au moins ça confirme. Tu voudrais le haïr, mais tu tournes ta haine contre la seule véritable victime de vos vies : Liam. L'avait-il déjà remarqué ? L'avait-il déjà envisagé ? Est-ce qu'il connaissait au moins son nom ? Pour lui il n'était rien. T'as envie de lui dire (de lui cracher), que son existence n'avait jamais eu d'importance que pour un Pierce. Qu'il en avait probablement rien à foutre, en effet, Liam, qu'on soit venu le voir. Qu'il en aurait eu, même de son vivant, rien à foutre. Parce qu'il est con Ezra de souffrir pour un type qui ne le remarque pas. Parce que Liam avait horreur de la connerie, quand toi tu l'adules. Ah. Voilà la haine qui revient. Finalement, c'est aussi malléable que de la patafix.
Non, c'est pas ce que je voulais dire...
— Si, c'est tout à fait ce que tu voulais dire.
T'enfonces tes mains dans tes poches et détournes le regard. Ça t'énerve. T'as l'envie soudaine de retourner au cimetière, de fracasser la pierre, de revenir lui fracasser le crâne avec. Autant pour le punir de te blesser que le punir de te faire détester le seul être humain que tu t'étais engagé à aimer. Ça te dépasse, ça te frustre, ça fait naître un complexe d'infériorité que jamais tu n'avais eu. Au fond de tes poches tu sers les poings, craches, l'air de rien.
— Crois moi t'es pas le seul à souffrir du fait que j'ai SA gueule.
Et contrairement à lui t'as pas de cachetons pour tout contenir. Mais lâche, t'as pas la force d'insister, de voir dans son regard que t'as raison, que c'est lui qu'il voit, qu'il espère, parce que t'as beau t'appeler Noah c'est le visage de Liam que t'as plaqué à même le crâne. Alors tu persistes à détourner le regard.
— Tu devrais t'asseoir et respirer un peu. J'vais te chercher à boire.
Si, c'est tout à fait ce que tu voulais dire. Et merde. Tu fronces les sourcils et serres les poings. T'arrives pas à capter son regard parce qu'il s'obstine à fuir le tien. Tu shootes de colère dans les fleurs. Tu supportes pas de voir quelque chose d'aussi beau et serein devant toi. L'envie de tout détruire revient au galop et la haine remonte en reflux - prête à être gerbée sur le premier venu. Noah souffre et c'est ta faute. Tout est de ta faute, merde ! Il en remet une couche et se compare. Evidemment que t'es pas le seul à en pâtir. Vos situations sont si différentes et pourtant se ressemblent cruellement : vous devez vivre avec ça.
— « Noah s'il te plait ! Ne ... Ne te détourne pas comme ça. »
Il te demande de t'assoir et si tu t'exécutes bêtement au début, avant de te relever d'un seul coup en gueulant.
— « NON ! J'ai pas besoin d'eau putain ! »
Tu le rattrapes pour t'accrocher à son bras. Tu l'entoures des tiens et l'empêche d'avancer, presse son dos contre ton torse alors que tu niches ton visage dans le creux de sa nuque. Tu veux pas lui laisser une seule seconde de trop pouvant lui permettre de douter de toi. Tu le serres un peu plus dans l'impulsion, tu serres à lui faire mal.
Et pourtant, tu te détournes. Non, t'as pas envie d'entendre l'évidence, pas envie de savoir ce que tu sais déjà malgré toi. Pourtant tu l'aimes, Liam. C'est peut-être le seul être au monde que tu n'ai jamais aimé. Tu te demandes, Noah, si de son vivant, tu ne l'a ne serait-ce qu'un jour détesté. Tu te détournes, va pour partir. T'as besoin d'air, besoin de quelques secondes, t'es plus sûr de rien.
Ah.
T'avais parié sur le fait qu'il resterait à sa place. Même, t'avais tout misé sur l'idée qu'il profiterait de cette occasion pour se débarrasser de toi. Après tout il souffre, Ezra. Il est intelligent, Ezra. Évidemment qu'il allait saisir sa chance si tu lui présentais l'opportunité de te fuir sur un plateau d'argent. Alors tu es surpris, Noah, sincèrement surpris. Tu te sens abruti, quand tu sens son corps se presser contre le tien, t'as l'impression qu'il est terrifiée à l'idée que tu partes. Merde. C'était pas prévu. Ça ne faisait aucun sens.
— Alors tu veux quoi ?
T'es encore plus con d'avoir pas saisi l'opportunité de fuir toi aussi. Tu n'es pas certain de ce que tu veux entendre, ni de ce que tu es prêt à encaisser. Tu n'es pas certain de pouvoir te regarder dans un miroir après ça, pas certain de pouvoir faire face à Liam de nouveau. Tu devrais retourner dans ton trou. Mais tu te retournes. C'est du suicide, très certainement. Mais t'as besoin d'y croire. T'as désespérément besoin d'y croire.
— Qu'est-ce que tu veux, Ezra ?
Tu te mets face à lui, glisse une main contre sa joue. Tu n'as pas envie de le supplier, alors tu ne supplies pas. Tu le regardes, neutre. Pourtant dans le fond t'attends qu'une chose. Parce que t'as besoin d'y croire. Juste une fois. Juste avec lui. Qu'on peut te voir tel que tu es et que ce soit ok. Alors tu répètes. Malgré le dégoût. Malgré tout le reste. T'as détesté Liam pour ça. Tu détestes Ezra pour ça.
Il ne s'enfuit pas, il ne se débat pas. Il s'accroche à toi autant que tu t'accroches à lui et quand il te pose la question tu comprends que même si tu te poses la même ça sera à toi d'y répondre et à voix haute. Alors ton souffle tremble et tes membres aussi. La colère s'évanouit pour laisser place à une sorte de désespoir. Tu te mords la lèvre, frissonnes au contact de sa main sur ta joue... Oui, Noah s'est retourné et maintenant il te fait face. Tu ne peux échapper à son regard, tu ne peux te défiler face à l'intensité de ce moment particulier. Non, tu vas devoir assumer.
— « Je veux... »
Ça a du mal à sortir, parce que c'est pas légitime de réclamer. Mais il te veut aussi non ? Il te veut sinon il ne passerait pas son temps à venir te chercher !
— « Je veux... être avec toi. Je veux qu'on soit ensemble. »
C'est dit de manière maladroite, alors que tes joues se teintent d'un rose gêné, tu détournes tes yeux honteux. Oses une dernière fois établir un contact amoureux, alors que tes lèvres viennent chercher les siennes dans un baiser timide.
Tu l'as connu si lâche, Ezra. À rejeter les évidences, à se fracasser avec passion contre la vérité. Tu le pousses, tu ne le devrais peut-être pas après l'avoir emmené là-bas. Tu ne veux pas de sa pitié, tu ne veux pas d'un sentiment absurde d'obligation, de devoir. Tu veux qu'il te choisisse toi. Tu veux être son premier choix. Tu ne veux pas que ça dépende de Liam. Tu ne veux pas que ce soit à défaut de qui ou quoi que ce soit. Depuis quand était-il primordial qu'il te choisisse toi ?
Tu appuies sur sa joue, ne lâche pas son regard. Tu veux qu'il te ressuscite ou qu'il t'achève, qu'il fasse ce qu'il souhaite mais qu'il fasse quelque chose. Ou peut-être que tu veux une unième fuite, peut-être que celle-ci sera la dernière pour entamer ta volonté (ce serait tellement plus sain, tellement plus beau). Tu le vois hésité, tu ne sais pas si tu le détestes ou si tu te détestes pour sentir monter en toi une appréhension que tu n'as jamais voulu avoir. Chaque mot semble s'arracher de sa gorge au prix de sa sueur. T'ignorais, beau parleur que tu es, que parler pouvait être une véritable performance physique.
Je veux... être avec toi. Je veux qu'on soit ensemble.
Tu restes figé, abruti. Une partie de toi attend ces mots comme on attend une bénédiction. Une autre en a une peur folle. Pour la première fois depuis longtemps tu n'as pas de carte à jouer, pas d'esquive à exécuter. Tu te laisses approcher, embrassé, abruti, ses lèvres sont chaudes et tendres et dans ton ventre tout se tord, délicieusement.
Geste brusque quand tu viens passer ton bras dans son dos plaquer ton bassin contre le siens, appuyer sur sa bouche, comme pour la graver sur ta peau. T'as la fierté du conquérant, la honte de la ressentir, tes boyaux ne savent pas s'ils se tordent sous la joie ou la culpabilité. En avais-tu seulement le droit ? Après tout ça ?
Mais je le veux.
Désespérément.
Mais il me plaît.
Encore plus désespérément que le désespoir lui-même. Désespoir qu'on pourrait remplacer par le verbe interdit.
Quand tu détaches ta bouche de la sienne, tu te sens brûlant.
— Ça veux dire que je pourrais faire ça même en public ?
Glisse tes lèvres contre sa joue, esquisse un rire sans savoir si c'est pour exprimer l'euphorie ou masquer la culpabilité. Peut-être un peu des deux. Parce qu'avec, tout n'est que gris.
Dieu que tu aimes le gris.
Tu laisses ton front s'échouer contre son épaule et souffle.
— Ok. Sortons ensembles, Ezra. Sois avec moi, rien qu'avec moi.
C'était pourtant lui qui t'avait demandé de ne pas l'abandonner.
C'est pourtant toi qui supplies qu'il n'aille pas te lâcher.
Il se fige, peut-être qu'il n'avait pas prévu de se lier jusqu'au bout avec toi. Peut-être que tout ça n'était qu'une vaste blague. Tu l'embrasses pour ne pas lui laisser le temps de tout gâcher. Tu espères qu'il sentira le désespoir dans le jeu de ta langue, dans l'humidité de tes pommettes, dans l'humilité de tes gémissements lubriques. Tu te détaches, un peu confus, et fuis une dernière fois avant de te décider à l'affronter.
Il va dire non. Il va dire non. Il va dire non.
Tu le détestes. Tu te détestes. Tu le détestes.
Sa main se glisse au creux de tes reins pour venir plaquer vos deux corps. C'est une supplique qui s'ajoute à la longue liste de tes péchés. Il peut le sentir, que ton désir lui est dévoué - il réagit déjà et c'est un peu la honte. Tu ne veux pas qu'il se méprenne sur tes intentions. Ça veux dire que je pourrais faire ça même en public ? De quoi ? Faire quoi ? Se tripoter ? Ou juste s'embrasser, se tenir la main, s'aimer.
— « O-oui. Je suppose. »
Mais il n'a pas encore répondu. Tu restes en alerte Ezra, te questionnant sur les possibles autres conditions qu'il pourrait émettre. T'as les jambes qui flagellent et t'es à deux doigts de t'effondrer. Enfin sonne le glas de la Libération, quand il te pose sa tête sur ton épaule tu lâches tout et tombes à genoux. L'entoures de tes bras pour le serrer contre toi.
— « D'accord. »
Souffle de satisfaction. L'autre devient plus irritant, tu manqueras de t'étrangler pour lui mentir autant.
— « Je ne serais qu'avec toi. »
C'est douloureux à prononcer, ça. Mais Ezra tu n'es pas assez lucide sur tes sentiments pour comprendre pourquoi.
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Ven 3 Sep - 10:06
— Tu viens pas en cours ?
Ce jour est particulier. Ce jour est un pied de plus dans l'enfer éternel que tu as rejoins il y a quatre ans. Ce jour est celui où tu as tenté de mettre fin à tous les prochains il y a deux ans. Le temps passe vite et cruellement lentement depuis qu'il n'est plus là. Il n'y a pas une seconde qui passe sans que tu ne t'effondres sous le poids des regrets et pas une minute qui s'écoule sans que tu ne l'aies pas en tête. Tu essaies parfois de l'oublier mais c'est impossible.