Au fur et à mesure que les semaines passent, le bonheur s'installe. Il n'est pas seulement de passage, il est permanent. C'est un sentiment difficile à digérer, car il est lourd et reste sur l'estomac - mais tu t'efforces d'y faire face sans te laisser ronger par la culpabilité. Aucune question sur tes médicaments, aucune prise de tête hormis parfois des petits piques. Tu nages dans la relation parfaite, et c'est peu de le dire. A peine un mois avec Noah Pierce a suffit à te redonner de l'espoir, le goût de vivre, l'envie d'en être ivre. Il est le premier à être témoin de tes sourires, parce qu'ils recommencent à exister quand il est à tes côtés.
Comme annoncé par sms, tu te mets en route pour le rejoindre dans sa chambre. Vous profitez l'un de l'autre surtout le week-end (tout le temps en vrai) - quand vous pouvez être seuls. Le frère de Sylvestre n'est jamais présent dans le dortoir la journée et c'est l'idéal pour vous caler dans le lit de Noah à mater des séries sur l'ordinateur. Habillé de manière décontractée, tu remontes les manches de ton polo et toques à sa porte avant d'entrer. Tu t'empourpres en le voyant allongé sur le lit, repensant à ce que vous aviez fait la veille et encore en début de semaine. Tu déglutis un peu et avances vers le lit, penches le haut du corps pour l'embrasser.
— « Salut ... ! »
Tu étires un sourire malingre et soulèves la couette pour te glisser dans le lit à côté de lui. Tu croises son regard avant de souffler en ricanant.
— « Quoi ? Pourquoi tu me dévisages ? Pas maintenant haha. »
Tu glisses ta main sur sa cuisse par accident et te confonds en rires nerveux.
— « Ok on se concentre sur la série, Pierce. Je veux savoir qui est le meurtrier. »
Tu clignes des yeux, regard dans le vide. Comment t'as réussi à te dissocier pendant autant de temps ? Au point d'oublier ce détail important - capitale même !
Qui est le meurtrier Ezra... Qui est le meurtrier... C'est toi, c'est toi le meurtrier. Tu l'as tué. De sang-froid. Abandonné son corps dans les flammes, tu l'as tué. T u é. C'est toi Ezra...
Coup de chaud alors que dans un mouvement de recul et de dégout, tu tombes brusquement du lit. Ces petites voix dans ta tête, elles n'étaient pas revenu depuis cet été. Tu le regardes, ahuri et hébété et t'accroches lentement au sommier pour t'aider à te relever.
Tu t'étais souvent moqué en silence du concept même de l'amour. Trop mièvre. Trop mensonger. Une idiotie réservée aux idiots. Mais Noah, toi qui est si grand, si intelligent, tu te pensais à l'abri de ce genre d'aventure. T'avais trop à donner à Liam pour donner à quelqu'un d'autre et ça t’allait très bien. T'avais trop à haïr pour aimer ensuite, et ça t'allait très bien aussi. Alors tu ne sais pas si tu dois rire ou pleurer face à ce dernier mois. T'as pas l'audace de te mentir, de te dire que t'avais attendu au tournant le moment où toi ou lui (ce serait forcément lui, non ?) gâcherait tout. Tu attendais le moment où l'un et l'autre réaliseraient que c'était gênant, que c'était pas ça, que ça ne pouvait pas être ça. Pourtant les jours ont suivi, les semaines aussi. Tu t'étais retrouvé une après-midi son corps chaud contre le tien, son souffle paisible contre ta peau et t'avais compris que tu n'étais pas si intelligent que ça. Tu t'étais décalé doucement pour observer son visage endormi, tu t'étais dit que c'était une belle distraction de ne l'avoir que pour toi, de n'avoir son intimité que pour toi. T'as eu peur en réalisant qu'il n'y avait pas plus gros mensonge. Tu t'es apaisé en admettant face à son sommeil que ce n'était pas un simple accord arrangeant comme toutes les autres fois. Ce garçon-là est spécial. Ce garçon-là, tu l'aimes. T'es amoureux, Noah. Mais t'étais toujours ce gars grand et intelligent, hein ?
C'était devenu une habitude de réserver tes week-end à ses visites. Tu t'étais pris d'une passion pour ta chambre, pour "être tranquille". Encore un peu de mal à jongler entre la vie d'avant et la vie à deux. Tu réagis encore mal quand on te balance des piques, mais t'as au moins l'honnêteté de reconnaître que c'est la vérité qui blesse. Alors que le portable a vibré t'as souri. Tu t'es amusé face à ses efforts pour adopter les codes, tu lui a dit que tout était prêt. T'as souri.
Quand il toque tu ne prends pas la peine de te lever. Il sait qu'il peut entrer. Tu l’accueilles allongé, une pose nonchalante, un bras derrière la tête, le dévisage de la tête au pied en souriant. Putain tu aimes voir ses joues rosir à ta vue, t'aimes voir que tu lui plais, même comme ça, avec ton t-shirt un peu trop grand et ton jogging un peu trop moulant. Tu ne le quittes pas des yeux quand il approche, une partie de toi voudrait que jamais il n'arrête de te regarder.
— Salut toi.
Tu te décales, tu pourrais attaquer tout de suite, parce que sa proximité te rend ivre, que tu désespères chaque jour un peu plus de te rendre compte que ça ne te passe pas, que t'es esclave face à sa peau, face à sa bouche, face à tout. Tu lui lances un regard, tu pourrais attaquer, mais tu chéris peut-être encore plus ces moments où ils ne se passent rien, où tout est "normal". C'est surréaliste, tu ne connais pas ça. Juste se combler de sa présence, juste lui prendre la main, se caler contre lui, s'aimer simplement. Mais t'es toujours ce gars grand et intelligent, hein ?
Une moue théâtrale sur ton visage et tu laisses tomber ta tête contre son torse.
— Mmmh... Ok. Ok. J'ai compris.
Tu t'autorises tout de même à te coller contre lui, à poser tes lèvres contre sa nuque.
— Des câlins chastes, des bisous chastes.
À l'ombre de son cou t'étires un sourire avant de tourner la tête vers l'écran. C'était devenu un rituel de mater des séries à suspense. Tu t'étais pris d'affection pour ces moments où vous théorisiez ensembles sur l'identité du coupable, sur le mobile du mystérieux assassin. Sur le pari tacite jusqu'à la révélation. Sur les réactions, quatre heures plus tard, parce que les scénarios ne faisaient pas de sens et, qu'entre-vous, Peter aurait fait un bien meilleur tueur que Brandon. Tu vas pour appuyer sur le bouton du lecteur, quand Ezra recul, tombe, panique. Tu te redresses, surpris, ton ordi s’est échoué plus loin sur le lit mais tu t'en fiches. L'espace d'une seconde tu te dis que c'est ses cachets, peut-être. Tu pousses la couette, attends un peu pour passer une main sur son bras.
— Tu t'es pas fait mal ?
T'as pas encore réussi à vraiment lui parler honnêtement de son trouble. T'as pas encore réussi à vraiment lui dire que t'étais un gars creep qui tente de mentir à son psy, pour pas dire que tout est horrible, parce que t'es assez fort pour t'en sortir sans lui. Tu t'extrais de ton lit, viens lui tendre un verre d'eau.
— Bah alors, c'est le mot concentré qui te fait freeze, mon cœur ?
Sourire insolant, toujours efficace pour désamorcer quand ça va mal. Parce que t'es toujours ce gars grand et intelligent, hein, Noah ?
Tu restes stoïque, le regard vide à fixer un coin de la pièce. Tu mets quelques secondes Ezra, à te reprendre et à réaliser le grotesque de la situation. Ça te rend fou d'être aussi angoissé, tout ce que tu veux c'est profiter et être heureux (mais en as-tu seulement le droit, toi qui a privé un autre garçon du droit à ce privilège ?). Ta punition n'a fait que commencer et tu la trouves bien cruelle de s'être logée dans le regard compatissant de Noah Pierce. Il t'aide pour te relever et tu attrapes sa main. Tes doigts glissent car ils sont moites à cause de la sueur, tu t'essuies sur ton polo et te redresses tout seul. A genoux sur la moquette et face au lit, tu jettes un coup d'oeil sur l'ordinateur un peu plus loin. T'as pas envie de regarder cette série finalement, tu veux l'embrasser - l'embrasser pour l'endormir et t'oublier. Quand vos corps se confondent, tu en perds la notion du temps : le passé n'existe plus et même si l'avenir est à vomir, le présent est brulant.
— « N-non non. C'est bon, tout va bien. »
Tu te forces à rire à sa blague, mais l'expression dépitée qui t'anime juste ensuite trahit ton effort hypocrite. Tu te replaces dans le lit et après quelques secondes de silence tu te jettes sur lui pour l'embrasser, envoies valdinguer l'ordinateur dont le clapet se referme en chutant dans le panier de linge sale juste au pied du lit. Tu grimpes sur Noah, remontant ton genou entre ses cuisses. Tes baisers sont langoureux mais un peu bruyants. L'échange de salive, les geignements de plaisir provoqués par les frottements de vos jeans. Tu finis par te redresser, les bras tendus sur son torse pour imposer une distance que tu sais fébrile quand Noah se décide à dépasser les limites.
— « Je... Je peux pas. Noah, je dois te parler de quelque chose. »
Ta voix tremble et tu te décales sur le coté, les doigts s'accrochant difficilement aux plis de son hoodie que tu refuses de lâcher. Putain Ezra ferme-la tu sais que c'est une mauvaise idée. Tu l'as dit à personne, pas même à Sylvestre. Tout va bien dans le meilleur des mondes alors pourquoi est-ce que tu t'obstines à vouloir le gâcher, à vouloir te châtier ?
— « Mais avant je veux que tu me promettes que ça changera rien entre nous. »
La bonne blague.
— « S'il te plait. Mes sentiments pour toi sont sincères, je te le jure. Je ne veux pas que ça détruise ce qu'on a depuis deux mois. »
Tu vas tourner de l'oeil si tu continues. Mais après une profonde inspiration, tu l'implores du regard.
Quelque chose ne va pas. Tu fais mine d'ignorer son regard, d'ignorer le stress qui monte aussi. Est-ce qu'il c'est passé quelque chose ? Est-ce qu'on lui a dit quelque chose ? Est-ce que c'est vos allégeances qui posent problème ? Pourtant hier tout allait bien. Quand il est rentré t'as eu la sensation que tout allait bien. Non, c'est de la merde, juste un complexe d'infériorité qui n'a pas lieu d'être. Tu t'estimes si peu que tu vois une potentielle fin à tout. C'est la mauvaise attitude, te dirait ton psy. Te secoue légèrement la tête. C'est de la merde.
Tu te recales dans ton lit, Ezra te rejoins. Si t'oses lui lancer un coup d’œil tu t'obstines à ne pas mettre les pieds dans le plat. Vous êtes ici pour passer un bon moment à deux. Un moment en "amoureux" (ça sonne si surréaliste même encore aujourd'hui). Tu penses toujours au pire, te dirait Liam. Ouais. Oui. C'est vrai. Mais le pire est derrière nous, n'est-ce pas ? Tu vas pour reprendre ton ordi, décidé a replonger dans les théories, à replonger dans ce cocon de normalité auquel tu attaches une importance que ta fierté n'assume qu'à moitié. Mais t'as à peine le temps d'esquisser un mouvement qu'il se jette sur toi, Ezra.
— Wow.
Tu vois ton ordi valdinguer, Ezra se mettre à califourchon sur toi. L'espace d'une seconde tu le regardes, totalement abruti, subjugué, finalement la normalité peut bien aller se faire foutre s'il veut prendre les devants. Tu laisses un sourire stupide, gourmand, étirer tes lèvres. Rapidement tes mains viennent glisser contre son dos. Accueille ses baisers (putain il est affamé), accueille tous le reste, grondement sourd et rauque dans ta gorge quand t'agrippe ses fesses. Tu crèves déjà d'envie, mais il faut qu'il se redresse et t'ouvre les yeux sans comprendre, la sensation qu'on t'a sorti d'un rêve beaucoup trop agréable pour que tu puisses accepter qu'il s'arrête. T'aurais pu protester, tu vas pour pour protester, mais il lance la phrase interdite qui viendrait ébranler n'importe quel géant. Un dérivé du trop célèbre "faut qu'on parle". Tu te redis, Noah.
— ... O... Ok.
Tu te redresses sur ton coude, un peu incertain. T'aimes pas ça, tu te sens trembler quand il te demande de promettre, qu'il te dit que ses sentiments sont sincères, comme-ci ça constituait une excuse, une justification en soit. Immédiatement, t'envisages le pire (si tu savais). Il t'a trompé, c'est ça ? Peut-être pas jusqu'à la coucherie, mais il au moins embrassé quelqu'un d'autre. Ce serait bien son genre de se sentir mortellement coupable pour un baiser. Avec qui ? Sylvestre ? Nath ? T'as la gorge sèche, Noah. Tu t'es jamais retrouvé dans le rôle du cocu. Est-ce que tu peux accepter ? Est-ce que tu peux pardonner ? Tu sais pas très bien toi-même. Quelque chose te dit que t'es peut-être pas le mieux placer pour parler de bonne conduite et de fidélité vue la bancalité de ta personne. Mais avec lui, pour lui, pour vous, t'as sacrifié. Tu te sens incertain, Noah. Et il a l'air si chamboulé, Ezra. Et tu l'aimes, Ezra. Naïvement, comme un con, tu déposes ton cœur à ses pieds sans la moindre concession. Naïvement tu poses ta main sur son bras, appel au calme.
— Hé, respire un peu, ok ? Bon je te cacherai pas que tu me stress là, tout de suite. Mais.. Fin.. Comment dire ça..
Tu passes une main incertaine sur ta nuque, l'air de réfléchir, comme-ci fallait que tu pèses chacun de tes mots.
— Je t'aime et je tiens à ce qu'on a. Je ne sais pas ce que tu veux me dire mais si t'as la sensation d'avoir fauté quelque part on peut en parler, on peut en discuter, trouver des solutions, fin comme des gens normaux. C'est pas mal d'être normal, avec toi du moins.
T'es pas bien doué pour les grands discours. Liam lui aurait trouvé les bons mots. Encore lui. Putain, depuis le cimetière t'avais arrêté les comparatifs. Un peu maladroitement tu viens embrasser son front.
— Bref tout ça pour dire que je te promets que ça changera rien, du moins j'ai pas dans l'envie que ça change quoi que ce soit.
T'essayes de te composer un sourire rassurant. Une coucherie, un baiser. C'est très certainement un baiser. Tu peux pardonner un baiser. Tu peux passer outre oublier, faire comme-ci de rien n'était. Tu peux. Tu vas. Et rien ne changera.
Hé respire un peu qu'il te dit et t'essaies putain, t'essaies ! Et malgré tout tu te sens débordé par une vague d'angoisse. T'as la vue trouble et la gorge nouée. Tu ne sens plus le bout de tes doigts alors que tes ongles s'accrochent au tissu. Si tu parles pas maintenant tu parleras jamais. Et s'il l'apprend autrement tu n'auras aucun moyen de contrôler l'information, de l'enrober, de t'expliquer, de te justifier. Le seul problème dans cette galère c'est que ce n'est pas explicable et ni justifiable. Qu'est-ce que tu vas faire Ezra ? Qu'est-ce que tu vas faire face à ce regard qui te pardonne déjà pour des broutilles ? Te pardonnera t-il pour le pire des crimes ?
— « Hm... Yes. Mais c'est pas facile. J'ai redouté ce moment depuis le début, je te jure. J'en peux plus... de porter ce poids sur mes épaules. Je suis épuisé. »
Il t'a dit qu'il t'aime. A cette déclaration soudaine t'as envie d'abandonner. T'as envie d'être lâche et de fuir tes aveux. Tant pis pour ta conscience, tu vivras jamais heureux mais tu seras amoureux. Ton souffle s'accélère et cette fois c'est le ventre qui hurle à l'agonie. Tu es pris de spasmes et de sueurs froides. Tu glisses tes doigts pour venir trouver sa main, y entremêles les tiens - rassuré de sentir sa peau encore si chaude.
— « Bon. »
Tu baisses les yeux, souffles un bon coup. Sens les larmes monter progressivement. C'est trop dur, c'est beaucoup trop dur. Tu ne l'as jamais dit à voix haute.
— « Il y a quatre ans... J'étais fou de ton frère. Je vouais une admiration sans limites à Liam. Tu le sais, tu m'as percé à jour. »
Détruit. Boulversé.
— « Et je... je lui avais donné rendez vous dans cette remise pour lui avouer mes sentiments. »
Putain tu vas exploser, comme la dernière fois. Revivre cette scène te file la nausée et tu étouffes un haut-le-coeur. Tu n'oses pas l'affronter de peur de le voir se décomposer.
— « Il est venu et... Il y a eu cet accident. »
Merde, merde, merde. Les larmes dégringolent le long de tes joues.
— « Le départ de feu... L'accident... Liam... C'est ma faute. »
Tu te sens mourir. Tu fixes le matelas, ou s'échouent les grosses gouttes qui perlent inlassablement de tes yeux rougis.
— « C'est ma faute s'il est mort ! C'est moi qui ait tué Liam ! »
Et redresses légèrement le visage pour jauger les conséquences de la plus grosse erreur de ta vie. La première ; car la deuxième tu étais en train de la vivre.
Le déni est grand, le déni est beau. Tu pourrais graver cette phrase sur ta tombe, ce n'est peut-être que maintenant que tu te rends compte que cette chose merveilleuse à régie ta vie tout du long. Tu te persistes à sourire, à rester optimiste. Ezra si dramatique, mais ce n'est probablement pour rien. Il s'inquiète, il t'aime, il a peur, il en fait une fin du monde mais ce n'est probablement rien d’inquiétant, rien que tu ne puisses encaisser, comprendre, pardonner. Le sait-il à quel point tu es épuisé de haïr ? À quel point ce sentiment brûlant t'as tué et consumé depuis quatre ans ? À quel point t'aurais pu te noyer le soir de la fête, à quel point c'est un miracle que les jours passent sans que tu ne trouves la folie salvatrice de te jeter du haut du toit ? C'est peut-être la première fois que tu touches le bonheur du doigt, c'est presque une question de fierté de ne pas le laisser filer. Alors tu persistes à sourire, plein de bonne volonté. Ezra toujours tragique, pour de bricoles, pour tout est n'importe quoi. Ce n'est probablement rien. Après tout il connaît le prix de ta confiance, Ezra.
— Parles-moi, j'écouterai. J'aime pas te voir comme ça.
Le déni est grand, le déni est beau. Efface la première information importante qu'il t'offre. Il n'a jamais parlé de début, il te parle juste de quelque chose qui le pèse. Rien que tu ne puisses surmonter. Parce que tu n'aimes pas le voir comme ça, tu n'aimes plus, t'as réalisé depuis un mois que plus que la culpabilité c'était son sourire qui te faisait vibrer. Et a mesure qu'il se décompose, tu plaques obstinément ton sourire rassurant sur tes lèvres. Statue de cire qui ne souhaite que la joie, qui pour la première fois depuis quatre ans se dit qu'elle peut tourner la page. Il se fige, ton sourire, comme si tu ne connaissais que cette expression-là. Et a mesure qu'il tremble, Ezra, tu te répètes : rien que je ne puisse pas pardonner, rien que je ne puisse pas comprendre. Sourire. Sourire encore. Parce que tu peux tout entendre. Tes doigts mêlés aux siens. Caresse du pouce sa paume. Sourire. Sourire encore. Il sur-réagit comme toujours, Ezra. Et toi, tu sais que ce n'est pour rien. Il imagine toujours le pire, le meilleur le fait souffrir. Mais toi tu sais, Noah, que ce n'est probablement rien.
Il y a quatre ans...
Sa première confession coule sur toi, sans prise. Le déni fait son office et ton esprit ne connecte pas encore les indices. Dans quatre ans tu entends une référence à une vie qui ne te concerne pas, qui n'a aucun lien avec vous, avec ce que vous viviez. Dans Liam tu entends une référence nostalgique. Tu l'as percé à jour. Oui. Oui. Ce doit être ça. Malgré tout tu restes son jumeau. Il a dû vouloir tester ses sentiments. Il t'a trompé avec Nath ou Sylvestre. Voir si c'était Noah qu'il avait la sensation de trahir ou Liam. Et il s'est rendu compte, hein ? Que son deuil avait été fait. Que c'était toi. Qu'il s'en voulait. C'est ça. Forcément ça. Ton sourire s'accentue. C'est pas si terrible, tu peux comprendre ça. Tu vas encaisser tout ce qu'il dit et tu lui diras que c'est pardonné, que s'il promet de ne plus recommencer ce sera totalement oublié. Pourtant, tes doigts se figent.
Et je... je lui avais donné rendez-vous dans cette remise pour lui avouer mes sentiments.
Ça ne concorde pas avec ton histoire. Ton sourire tremble un peu. Où est la partie où il hésite ? Où il se perd ? Où il faute ? Où il réalise ? Tes muscles se tendent. Ton corps réagit à chacun de ses mots pourtant ton esprit persiste. Tu sens tes joues se faire meurtrières sous le poids de ton sourire. Le mot remise résonne étrangement à tes oreilles. Derrière le voile épais du déni tu entends la voix du légiste : On a retrouvé son corps dans la remise...
C'est peut-être à ce moment-là que ta volonté à ne pas entendre s'effrite. Ce sont tes yeux qui se voilent de larmes les premiers. Bien avant que le ventre ne se tord, bien avant que ta conscience ne comprenne. T'as la force de pleurer en silence sans comprendre, le sourire vacillant mais obstinément présent, comme-ci le perdre revenait à ouvrir une boite de Pandore dont aucun de vous ne sortirait indemne. C'est tes doigts qui brûlent, perdent la sensation de sa peau ensuite. Ton corps qui s'anesthésie, comme pour couper court a cette réalité dans laquelle Ezra te touche.
— Elle est pas drôle ta blague.
Tu lâches. Quand il lève les yeux vers toi. Coupable. Si coupable que ton sourire vacille avant de se faire éclatant (suppliant). Ton visage déformé entre tout tes muscles qui hurlent à la souffrance et tes yeux qui supplient qu'il désamorce avant que tu ne réalises, ton sourire horriblement plaqué, qui n'a jamais été aussi grand. Jamais aussi triste.
— T'as un humour vraiment désastreux haha...
Dans ta gorge ça brûle, t'attend qu'il te sourît, t'attend qu'il s'excuse. Non. Non. Pas comme ça. Pour cette confession douteuse, pour t'avoir menti. Tu le supplies du regard. Pourtant tu ne vois que la culpabilité, son visage ravagé par la souffrance, son corps tremblant. Et ça ébranle tes fondements. Ton sourire qui s'affaisse. Pourtant tu luttes pour qu'il reste.
— Tu déc-
Et soudain la gerbe. Le corps qui réalise le premier. Tu sens déferler la nausée. Plaque une main sur ta bouche, repousse Ezra avec toute la violence dont tu es capable pour tomber à terre contre le sol, saisir à deux mains la poubelle d'Arsene et vomir dedans. Quand le liquide brûlant traverse ta gorge, s’évanouit ton déni, misérable, tu dégueules tes illusions, dégueules ton dégoût, dégueules tes espoirs. Et ta tête, si lourde, meurtrie des centaines de voix du passé, des centaines d'indices qu'il y avait sous ton nez.
Il est mort brûlé. Ezra maîtrise le feu. Qu'est-ce que tu sais de mon frère, hein ? Tu ne le connaissais pas ! Il lui a donné rendez-vous dans la remise. Il l'aimait. Je suis pas libre ce soir, frangin, je dois voir quelqu'un. Il allait voir Ezra. Je souffre déjà assez quand je te vois.
i l a t u é l i a m
Dégueule encore, le corps tremblant, secoué de spasme, alors que tu pleures, alors que tu te retrouves tremper de sueur.
Il ne te laisse pas parler, putain il ne te laisse pas parler ! C'est trop dur de continuer à articuler, tu butes sur les mots et les siens te butent. Etranglé par les sanglots de honte et de désespoir, tu secoues la tête de gauche à droite quand il t'assassine de son déni - t'accuses d'un humour douteux et dieu sait que tu aurais voulu plaisanter. Quand tu lâches la bombe, tu regrettes la manière dont tu l'as dit ; pris de remords cinglants, la défaite est sanglante. Tu refuses de le lâcher, enfonces tes ongles sales dans son pull alors que tu le sens déjà partir. Son esprit vacille avant que son corps ne lâche. C'est trop tard Ezra, tu ne peux pas te rattraper - tu ne peux pas le rattraper lui alors qu'il te repousse violemment.
C'est une vision d'horreur de le voir vomir dans la poubelle. Tu te redresses lentement sans arrêter de pleurer, glisses lentement au sol, le dos plaqué contre le sommier. Tu rabats tes jambes contre ton torse et te mets à geindre comme un chien - comme un animal sans défenses. Un démon coupable à qui même les enfers refusent l'entrée.
— « Noah... Noah est-ce que.. ça va ..? »
Question idiote. Tu fixes son dos vouté, ses épaules rentrées alors que ses doigts s'accrochent à la corbeille, que la transpiration coule de son front et s'échouent sur ses mains et sur le plastique. Sont-ce des larmes ou de la sueur ? Tu avances à genoux vers lui et après un instant d'hésitation tu l'enlaces timidement, caresses le bas de sa nuque, protégée par la capuche de son hoodie.
Tu déglutis et colles ta tête contre son dos, refuses de t'éloigner. Tes dents claquent et tu manques de t'étouffer à force de trembler. Mords ta langue dans un râle plaintif. Tu es misérable Ezra, mais surtout vulnérable. Il est le seul autre être humain à part la directrice à être au courant - Liam l'a emporté dans la tombe.
— « Noah.... »
Tu geins, supplique effrénée alors que tu le sens enfin bouger.
— « Si tu savais comment je me déteste. »
Mais tu m'as dit que tu m'aimes, et ça, ça ne se retire pas n'est-ce pas ?
T'as la sensation de te purger à l'acide, ton corps plus douloureux encore que dans tes pires moments de sabotage. Tu trembles, t’arrives pas à savoir si c'est de tristesse ou de rage. Tu pourrais dégueuler encore, vomir jusqu'à tes tripes, mais bien vite plus rien de sort, c'est juste toi et tes hauts le cœur, ton corps qui se cambre sans que jamais la grâce d'évacuer ne te soit accordé. En même temps, comment évacuer un cœur brisé ?
Tu te sens fiévreux, un peu fou. Dans ta tête passe tous ces indices, toutes ces coïncidences. Tout était là, sous tes yeux, depuis le début. Tout était là, étalé devant toi mais tu n'as rien vu (tu ne voulais rien voir). Et tu te sens incroyablement con, rien qu'un connard aveugle pas foutu d’additionner deux et deux. T’étouffes un gémissement plaintif, peut-être la première fois depuis la mort de Liam que la vérité te fait vraiment mal. Tu la sens dans tes veines, dans toutes les fibres de corps. Derrière tu l'entends, pleurer comme un clebs qu'on abandonne sur le bord d'une route. Sans trop savoir pourquoi ça t'énerve. De quel droit il pleure, Ezra ? De quel droit il gâche tout, Ezra ? Tu l'entends s'approcher et tu te cramponnes à ta poubelle. La nausée revient, mais ce qui sort n'est rien de plus qu'un crachat de bile informe et immonde. Tu te tends quand il te touche. Ta tête bourdonne. Tu te sens déchiré, meurtris, cette fois tu y es. Tu y es de nouveau. Devant cette porte. Les portes de la morgue. En face de toi la vérité. En face de toi une vision qui va te rendre malade, tout changer, tout ravager. L'envie de rester le déni et de retourner à sa vie, prétendre que rien de tout ça n'existe. Mais trop conscient pour reculer, pour ignorer. Tu vas la franchir cette putain de porte et cette fois encore ce ne sera pas par choix. T’étouffes un sanglot, misérable. Passe une main sur ton visage, tremblant. Tu ne peux pas. Tu ne peux pas encaisser ça.
— Fait chier...
Dans ton dos tu le sens s'accrocher. Son contact te révulse autant qu'il te rassure. Tu lui en veux. Tu lui en veux tellement. Il y a deux minutes encore tu l'embrassais. Y a moins de deux minutes tu lui avais dit pour la première fois que tu l'aimais. La rage monte, acide, quand tu te redresses un peu.
— C'était toi...
Un rire rauque, terrible, s'échappe d'entre tes lèvres. Clown triste quand tu viens regarder tes paumes. Mortellement blessé quand tu tournes la tête pour le regarder. Lui. Tu n'avais jamais eu expression aussi déchirée. Tes mains qui tremblantes viennent se poser de part et d'autre de sa gorge.
— Pourquoi t'as fait ça... ?
Tu vas pour serrer. T'as le regard d'un mort. Tu pourrais l'étrangler. Lui à qui tu as dit que tu l'aimais. Le seul à qui tu as dit que tu l'aimais. Mais soudain tu retires tes mains, le pousse sans énergie à la place.
— Non... Répond pas. Casse toi. Casse toi, je veux plus te voir.
Tu t'obstines à parler, à t'excuser, à lui demander si ça va... comment ça pourrait aller mieux ? Comment ça pourrait aller tout court ? Tes yeux s'affolent, cherchent à capter les siens alors que tu tournes autour de lui - toujours à genoux sur la moquette. L'odeur de la bile fraichement recrachée t'arrache un haut le coeur et tu tressailles quand il se redresse peu à peu. Tu n'aimes pas du tout l'expression que tu vois - un mélange entre colère et désespoir. Tu es trop lâche Ezra, et tu n'es pas certain d'avoir le courage de te lever et de prendre la fuite non plus.
— « Noah... Noah ! S'il te plait écoute-moi ! »
Pétrifié quand ses mains agrippent ta gorge et que tu ne tentes même pas de te débattre. Sa question te brise lentement. Pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi ? Il te demande pourquoi ?
— « Lâche moi putain ! »
Tu perds les pédales. Tu deviens fou Ezra, fou de lui, fou de cette situation qui ne fait qu'empirer de secondes en secondes. Le rêve est définitivement devenu cauchemar - et t'as élevé la voix, tu te l'ai enrayé dans un râle d'agonie. Il te lache et te repousse. T'es plus brisé t'es anéanti. Tu te jettes sur lui pour lui saisir les épaules et bascules à moitié face contre sol - son corps sans (con)vie(ction) sous le poids de tes afflictions.
— « Non non non... Je t'en supplie Noah, non non. Je reste je peux pas partir maintenant, alors que t'es... »
Tu chiales, le visage plaqué contre son torse, son col serré entre tes mains tremblantes.
— « Je suis désolé je suis une merde j'ai jamais eu la force de le dire... je le sais mais je t'aime, tu as dit que ça changerait rien entre nous ! »
Tu refuses de le lâcher, bien accroché.
— « Par pitié ne le dis à personne ou ma vie est fichue. »
Elle l'est déjà. Et tu as condamné la sienne (une deuxième fois).
Il t'agrippe, désespéré. C'est d'un manque de pudeur tel que t'en as de nouveau la gerbe. Tu ravales l’acide alors que tu bascules, tu le laisses se plaquer à toi, petite chose chétive et craintive qui pisse la peur par tous les pores. Te supplie de le laisser rester, pourtant chacun de ses pleurs de te donnes envie de le tuer. T'es déchiré. Il te dit qu'il t'aime et ça te brise, t'arrache à gémissement plein d'agonie. Tu te sens crevé. Tu te sens sur le point d'imploser. T'as promis que ça ne changerait rien. T'as promis mais tu ne peux pas. Il t'aime. T'as avoué l'aimer aussi. Mais c'est le visage noirci de Liam qui brouille ta vue. C'est les sourires d'Ezra, ses baisers insolents, la rage qu'il te porte, l'amour qu'il te donne. Et le visage de Liam. Toujours le visage de Liam. Gravé à jamais, ce jour-là. Son sourire d'excuse quand il te dit qu'il ne rentre pas avec toi, qu'il va voir quelqu'un avant mais qu'il ne faut pas que tu t'inquiètes car demain il te racontera tout. Son expression figée sur la table glacée en inox de la morgue.
Par pitié ne le dis à personne ou ma vie est fichue.
C'est la rage qui te fait te redresser. Puissant quand de ton poing tu le pousses pour bondir sur tes pieds et le plaquer contre le mur. Ton bras replié contre sa gorge pour le coincer. Tes yeux un brasier assassin. Tu craches ta fureur.
— T’ose me demander une faveur bâtard ?
T'appuies un peu plus, ses excuses ne valent rien face à sa demande. C'est ça. C'est totalement ça. Il s'est foutu de ta gueule. Tout ça. Vous. C'était rien qu'une vaste blague, un moyen pour lui d'apaiser sa conscience, t'as juste été l'instrument d'une salvation hypocrite. Il ne s'en cache même plus le chien ! Ses mensonges ne marchent plus alors il appelle ta clémence. Rat jusqu'au bout, Ezra. Et dire que t'as couché avec lui, que t'es tombé amoureux de lui. Appuie plus fort. Supporte pas que ce soit un tueur qui te brise le cœur. Crache encore.
— J'ai dit casse toi ! J'ai dit que je voulais plus te voir alors casse toi CASSE TOI !
Tu m'as menti. Tu m'as brisé. Tu m'as anéanti. Tu m'as détruit.
Tu desserres ta prise pour l'envoyer valdinguer vers la porte. Ton visage déformé par la rage et les larmes. Dans ton élan tu te saisi de ta lampe de chevet, tu la lève d'un bras rageur, prêt à la lancer s'il ne fait pas mine de détaler. Tu menaces à nouveau. Tu pourrais te tuer. Tu pourrais le tuer.
— SORS DE CETTE CHAMBRE.
Va-t'en. Chaque seconde à le contempler te lacère le ventre.
Tu doutes que ta dernière supplique - égoïste et autocentrée - avait été plus qu'indélicate. Tu étouffes un juron lorsque ton dos percute le mur de la chambre. Tu as déjà du mal à respirer entre chaque sanglot, le bras logé sous ta gorge n'arrange en rien l'irrégularité de tes souffles. Tu as l'air apeuré, désemparé par la situation qui ne fait que se dégrader. Tu fermes un peu les yeux et tournes légèrement la tête quand il te confronte. Batard qu'il t'appelle et ça te fait si mal. Si mal que même tes cachets n'arriveraient pas à combler le gouffre qui vient en quelques secondes de se creuser. T'as si mal que tu brulerais bien vivant à ton tour pour te châtier une dernière fois et pouvoir ensuite disparaitre.
— « No..ah... pitié... »
Il appuie et tu as du mal à tenir sur tes jambes. Elles tremblent et flagellent, avant de totalement te lâcher quand il te balance contre la porte. Tu la percutes de plein fouet et t'étales sur le sol. Ventre à terre. Tu ne veux PAS partir - tu veux parler. Que vous mettiez les choses au clair, qu'il se calme, qu'il te prenne dans ses bras et que vous vous pardonniez les erreurs du passé. Mais dans cet état, tu dois bien te confronter à la vérité : Tu as tout gâché et Noah ne tiendra pas sa promesse.
— « Tu ne le penses pas hein... »
Casse toi. Non. CASSE TOI. NON ! SORS DE CETTE CHAMBRE !
Tu te relèves douloureusement et essuies tes larmes d'un revers de manche, lui fais face une dernière fois.
— « Je t'en prie... Ne dis rien. A personne. »
Et tu ouvres la porte, à contrecoeur, pour t'enfuir.
Ça te révulse, fait battre tes tempes cette façon qu'il a de te supplier de garder son secret. À le voir si misérable, si paniqué à l'idée que sa vie ne flanche t'en viens à le haïr comme jamais tu ne l'as haï avant. Et ta vie à toi dans tout ça ? Tes putains d'espoirs ? Tes putains d'envies ? C'était quoi en comparaison de sa survie ? Rien. Strictement rien. Tu le vois à sa façon de se dire comme un chiot qu'on s'apprête à battre. Il n'a jamais été question que de lui. Il n'a jamais été question de toi, de vous. Tu l'exècres, tu l'avais imaginé lâche, tu l'avais imaginé misérable, mais jamais manipulateur, jamais menteur. Dans ta main la lampe semble d'un poids idéal pour lui fracasser le crâne. Il a deux minutes t'aurais vendu ta scolarité aux enchères pour passer ta main dans ses cheveux.
— Casse toi casse toi casse toi casse toi casse toi casse toi casse toi CASSE TOI.
Tu t'étrangles dans tes propres hurlements. T'as l'air d'un fou. T'as l'air sur le point de vomir les écumes de la rage sur le plancher. Et il redemande. Et tu crois que tu vas te jeter sur lui pour réduire son crâne en charpie. Au final tout ce qui compte c'est sa propre survie. T'as pas bien loin de jeter la lampe quand il se redresse et d'étale, enfin. T'entends ses pas précipités dans le couloir, pourtant t'es pas apaisé de le savoir parti. C'est peut-être pour toutes ces raisons qu'à peine avais-tu esquissé le retour au calme que tu t'es mis à fracasser dans ta lampe contre la porte.
— PUTAIN !
Le bruit sourd a dû faire trembler le couloir mais qu'importe. Hurlement rageur quand tu viens ravager ton bureau, balancer ta chaise à l'autre bout de la chambre. Tu vas avoir des problèmes c'est certain mais qu'est-ce que t'en a foutre ? Qu'on te colle. Qu'on te vire. Qu'on t'enferme. C'est en détruisant ta chambre que tu prends conscience de l'absence d'Ezra et que tu te laisses glisser au sol, misérable. Dos à ton sommier, rabat tes genoux contre ton torse.
— Putain...
Gamin en pleurs, pathétique, qui se balance d'arrière en avant dans les miettes du bonheur qu'IL a détruit.
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Dim 19 Sep - 13:55
Au fur et à mesure que les semaines passent, le bonheur s'installe. Il n'est pas seulement de passage, il est permanent. C'est un sentiment difficile à digérer, car il est lourd et reste sur l'estomac - mais tu t'efforces d'y faire face sans te laisser ronger par la culpabilité. Aucune question sur tes médicaments, aucune prise de tête hormis parfois des petits piques. Tu nages dans la relation parfaite, et c'est peu de le dire. A peine un mois avec Noah Pierce a suffit à te redonner de l'espoir, le goût de vivre, l'envie d'en être ivre. Il est le premier à être témoin de tes sourires, parce qu'ils recommencent à exister quand il est à tes côtés.
Tu t'étais souvent moqué en silence du concept même de l'amour. Trop mièvre. Trop mensonger. Une idiotie réservée aux idiots. Mais Noah, toi qui est si grand, si intelligent, tu te pensais à l'abri de ce genre d'aventure. T'avais trop à donner à Liam pour donner à quelqu'un d'autre et ça t’allait très bien. T'avais trop à haïr pour aimer ensuite, et ça t'allait très bien aussi. Alors tu ne sais pas si tu dois rire ou pleurer face à ce dernier mois. T'as pas l'audace de te mentir, de te dire que t'avais attendu au tournant le moment où toi ou lui (ce serait forcément lui, non ?) gâcherait tout. Tu attendais le moment où l'un et l'autre réaliseraient que c'était gênant, que c'était pas ça, que ça ne pouvait pas être ça. Pourtant les jours ont suivi, les semaines aussi. Tu t'étais retrouvé une après-midi son corps chaud contre le tien, son souffle paisible contre ta peau et t'avais compris que tu n'étais pas si intelligent que ça. Tu t'étais décalé doucement pour observer son visage endormi, tu t'étais dit que c'était une belle distraction de ne l'avoir que pour toi, de n'avoir son intimité que pour toi. T'as eu peur en réalisant qu'il n'y avait pas plus gros mensonge. Tu t'es apaisé en admettant face à son sommeil que ce n'était pas un simple accord arrangeant comme toutes les autres fois. Ce garçon-là est spécial. Ce garçon-là, tu l'aimes. T'es amoureux, Noah. Mais t'étais toujours ce gars grand et intelligent, hein ?