— Fiou j'suis rincé !

Un murmure à peine tandis qu'il décroche enfin les yeux de ses bouquins pour s'étirer longuement. Deux heures de révisions intenses lui donnaient toujours envie de piquer un somme ensuite et c'est bien parce qu'aujourd'hui il ne peut pas se le permettre qu'il décide de faire un tour dans les rayonnages à la recherche de la distraction parfaite. Peu importe le thème, ses doigts effleurent les tranches des livres l'un après l'autre -esquivent volontairement les romans à l'eau de rose pour finalement se reposer un peu plus tard au rayon des sciences.

Il n'est pas certain d'y croire lorsqu'il aperçoit ta silhouette en plein milieu -quoique ce ne soit pas la première fois il le sait bien, ça a seulement toujours quelque chose d'étonnant. Alors il ne peut pas s'empêcher, ni le sourire fané ni les sourcils qui se froncent doucement.

— Scarlet Maxwell, ça pour une surprise.

Si le ton n'est pas agressif, il est loin de sa chaleur habituelle et bien plus empreint de sarcasme qu'à l'ordinaire.

— T'as décidé de te reconvertir ?
Première nouvelle.

Il s'approche alors, le pas tranquille pour s'arrêter juste à côté de toi. Lève le regard vers l'ouvrage que tu semblais vouloir attraper avant qu'il ne t'interrompe. Te voir galérer ne lui fait pas plus plaisir que tes coups bas réguliers, alors il récupère le bouquin tranquillement pour en analyser brièvement la couverture.

— Tu lis ça toi ? sourire moqueur, oui il se fout clairement de toi. Tiens.

Tu lis bien ce que tu veux après tout.

Il semble brièvement étonné l'espace d'un instant. Qu'est-ce que tu racontes encore comme connerie Scarlet, t'as cru qu'il avait que ça à faire de te courir après ?

— Heureusement pour moi, mon univers ne tourne pas autour de toi.

Le sarcasme appelle le sarcasme, tu réponds, il répond. C'est habituel entre vous, lassant parce qu'il sait que tu ne peux pas t'empêcher d'avoir réponse à tout. C'est énervant, certainement pas plus cependant que lui qui saute à pieds joints pour te suivre là-dedans. Te demande si tu tentes la reconversion le ton déjà las et ta réponse lui arrache un soupir fatigué. Il ne répondra pas à ça, ce n'est pas la peine de toute façon.

Au lieu de ça récupère l'ouvrage désiré pour en observer la couverture puis te le tendre.

— Les images, hein. Dommage que y en ait pas dedans.

C'est un bouquin intéressant qu'il a déjà emprunté quelques fois lors de ses révisions, alors pour le connaître un peu, il se permet d'affirmer. Ce que tu ajoutes ensuite a le mérite de le faire tiquer. La grimace est instinctive lorsqu'il pose ses iris contrariés sur toi tandis qu'il croise les bras. Le mécanisme d'auto-défense ne sert absolument à rien dans cette situation mais il ne peut pas s'en empêcher.

— Je te rappelle que c'est toi qui préfères passer pour une débile, Maxie. Alors arrête de me prendre pour un con.

Le dos qui se pose contre le bois du meuble, il te toise de toute sa hauteur sans aucune arrogance. Si t'arrêtais de faire n'importe quoi, t'y serais aussi sur ce tableau d'affiche -mais ça il doute que ce soit quelque chose que tu veuilles vraiment.

— J'ai jamais prétendu être meilleur que toi.

Ça l'emmerde pas mal de l'admettre d'ailleurs.

— Va pas croire que je t'aime pas ou quoi, hein.

C'est pas ça, c'est vraiment pas ça. Mais Mason n'est pas le plus doué pour donner des explications, alors forcément, dit avec ce ton ennuyé ça ne sonne pas super vrai. Il est plus doué pour envoyer balader les autres que pour leur dire qu'il les apprécie sincèrement -et toi tu es sans doute en tête de liste. Parce que tu es Scarlet Maxwell et que tu fais n'importe quoi.

Ça l'énerve parce que tu sembles valoir bien mieux que tout ça. Alors, parce que tu fais un effort aujourd'hui il décide d'en faire un autre en retour. Cherche ses mots pour ne pas paraître plus brusque qu'il ne l'est déjà.

— C'est juste que j'comprends pas. À quoi riment toutes tes conneries alors que t'es sans aucun doute l'une des filles les plus censées de ce bahut.

Clairement. Il est pas con, après des années passées à observer un peu tout le monde ici, il sait que tu n'es pas qu'une idiote écervelée.

— Tes actes te font passer pour une débile, c'est même plus une question de convictions à ce stade Maxie. Tu t'en rends compte au moins ?

Une grimace qui vient tordre son visage.
Il avait pas vraiment prévu de te faire une leçon de morale, mais puisque vous y êtes.

— Tu te sabotes toute seule ! Et pourquoi au juste ?

La voix qui s'élève à peine plus malgré lui.
Ça lui fout la rage.

Tu veux rentrer chez toi. Bien sûr, bien sûr il comprend tout ça -lui aussi aimerait, de temps en temps. Ça lui prend parfois comme une envie de découvrir, redécouvrir un monde dans lequel il n'a pas assez grandit mais ça part bien vite. Car vouloir partir est un souhait qu'il ne peut pas réaliser dans l'absolu, il lui faudra patienter encore un peu alors... En attendant il tente de faire au mieux pour vivre tranquillement. Peut-être un peu naïvement il se dit que tout risque d'être plus compliqué pour toi, parce que toi Maxie tu es une tête brûlée. Caractérielle, tu causes des ennuis. Peu importe comment, peu importent bien les raisons. Est-ce que l'État qui vous déteste déjà tant prendrait le risque de te laisser sortir ?

Tu gâches tes chances.
Tout ton avenir.

Tu te sabotes Maxie, et encore encore encore tu continues. Encore encore encore tu expliques, encore encore encore il t'écoute. Attentif, clairement agacé mais l'oreille tendre. Les doigts qui se serrent plus fort sur son vêtement à mesure que tes paroles s'écoulent. Attend le dernier mot pour laisser échapper un long soupir de frustration.

— Bordel Maxie tu m'donnes envie de te frapper.

Les doigts qui viennent pincer l'arrête de son nez comme à chaque fois qu'il est agacé, ferme les yeux. Bien sûr qu'il ne te frappera pas.

— Te secouer au minimum. réouvre ses paupières pour te lancer un nouveau regard. Dis-moi que tu t'entends parler.

Les bras qui se lèvent alors, mime des guillemets invisibles -s'étirent devant toi presque théâtralement. Seulement il n'y a rien de théâtral à la colère qui boue en lui à cet instant précis.

— "Je n'ai pas besoin qu'on m'aime." Sérieusement ? Je vais t'en coller une.

Et si tu n'es pas la première qui lui sort ce genre d'ineptie, tu es bien la première à qui il répond comme ça. Ses doigts de nouveau pincent son nez. Soupir soupir, il ne sait déjà plus à combien il en est.

Prend le temps de souffler un instant avant de simplement laisser tomber ses bras le long de son corps.

— Bien sûr que t'as besoin qu'on t'aime comme t'as besoin d'aimer. T'as cru que t'étais un robot ou quoi.

Ce ne sont pas tes barricades en carton qui lui prouveront le contraire.

Quand les mots dépassent sa pensée, emportés par son agacement grandissant, il ne réfléchit pas aux conséquences qu'ils peuvent te porter. Il remarque ton mouvement de recule, ta défense, il entend tes menaces mais il ne percute pas réellement. Ça vient lorsque tu t'exprimes ensuite -dévoile des failles qu'il n'imaginait pas si grandes. Prend conscience alors avec un regret certain qu'il est allé trop loin. Tout ça ne lui ressemble pas -recroise alors les bras contre son torse en preuve de bonne foi. Une inspiration pour calmer ses nerfs autant qu'il le peut.

— Tu t'en rends peut-être pas compte mais tu survis pas là. T'es paralysée Maxie.

Figée dans un monde qui ne veut aucun de vous. C'est étrange pas vrai ? Comment lui fait-il pour bouger si toi tu n'en es pas capable -il ne sait pas comment l'expliquer alors il cherche ses mots. Les iris qui visent ailleurs, grimace qui tord ses lèvres doucement, la langue qui glisse sur le palais.

Revient finalement vers toi le regard, plus sérieux alors, bien moins empli de colère qu'avant.

— Peut-être que c'est parce que j'ai jamais rien vécu d'horrible, je sais pas. Mais c'est l'impression que j'ai quand j'te vois. Tu patauges, t'avances pas.

Un sourire qui s'étire du bout des lèvres.
Il aurait pu continuer encore un peu sur sa lancée si vous n'aviez pas été interrompus par un bibliothécaire visiblement mécontent. Première et ultime remarque. Esquisse gênée quand Mason s'excuse pour vous deux avant qu'il ne reparte travailler en silence.

Lui te lance un regard alors, l'amusement léger aux lèvres.

— Tu m'suis dehors ?

C'est qu'il aimerait bien terminer cette discussion.

— T'es pas fucked up, Max'.

Posé contre un muret au sol, les jambes étendues de tout leur long, il relève la tête vers toi. Son visage ne saurait être plus sérieux qu'en cet instant, quand il essaie de te faire comprendre que tu dis n'importe quoi.

— C'est normal d'avoir un coeur, de faire confiance, de s'attacher ok. Ton problème c'est que t'assume pas.

Tu restes figée dans cette vie et ton toi d'avant sans accepter que tu es aussi entrain de changer. Tu t'fous en l'air pour des choses dont il n'a aucune idée, tu parles de fuite, de vengeance, d'amour auquel tu n'as pas le droit. Tu lui fais penser à ces personnages torturés des séries télé. C'est dommage, vraiment.

— J'prétends pas te connaître par coeur hein, mais j'suis pas aveugle malgré mes lunettes. sourire narquois. Accepte-toi. Toi, tes potes, tes conneries et surtout, les trucs bien que tu peux faire. J'sais pas trop lesquels encore par contre, va y avoir un peu d'boulot à faire. Mais bon.

Un rire moqueur qui ne se veut pas si méchant pourtant.
Il t'aime bien, il te l'a déjà dit.
Un léger silence qui s'installe alors, avant qu'il ne poursuive, le ton redevenu plus sérieux soudain.

— Y a pas de faille Maxie. Tu peux pas partir d'ici, pas maintenant. T'es pas la seule à avoir essayé tu sais, et j'te l'ai dis, j'ai une bonne vue j'suis pas aveugle.

C'est pas parce que lui désire rester pour l'instant que c'est le cas de tout le monde, il en a conscience. C'est ce qui rend toujours tout si difficile sur cette île.

— J'suis désolé. Pour ça et pour t'avoir fait peur tout à l'heure. J'allais pas te frapper hein, les mots ont dépassés ma pensée mais j'ai bien vu que ça t'a brusquée alors excuse-moi.

Et à présent que le sujet revient, il se demande ce que tu as bien pu vivre pour avoir eu une telle réaction plus tôt. Fixe un bref instant le tissu qui cache ton œil, il te fera grâce de sa pitié. Ce n'est pas ce que tu recherches, pas vrai ?

— C'est pas bête, c'est normal.

Qui veut avoir mal franchement ? Qui rêve d'être abandonné pour rester seul lorsqu'il est au plus mal. Personne ne veut de ça, bien sûr. Cependant c'est un risque à prendre pour pouvoir se targuer d'être en vie, et si tu fais ce qu'il faut alors tout se passera bien -ou du moins, presque comme il faut. Alors il est satisfait de t'entendre dire que tu vas essayer. Faire des efforts c'est important, ça fait plaisir et lui arrache un sourire après le rire, avant l'excuse.

Il ne pouvait pas savoir bien sûr.
Mais ça ne veut pas dire qu'il aurait dû malgré tout.

— Tu es sure que ton pouvoir c’est pas de faire parler les gens Maze ?
— On m'aurait menti toute ma vie alors ? Mince, va falloir refaire tous les papiers la loose.

L'esquisse exagérément blasée en appuie des dires juste avant que son rire n'accompagne cette fois le tien. Et puis tu dévoiles finalement ces failles que tu veux tant cacher. Écarquille à peine les yeux Mason, surprit. Il se redresse un peu, t'écoute en silence, attentivement. Il ne s'y attendait pas. Pour lui qui n'a pas vécu tant de drames c'est clairement difficile d'imaginer, de comprendre même la douleur qui doit te tirailler à l'instant. Ce n'est pas grave, c'est pas son rôle de comprendre de toute façon.

Un sourire au coup d'épaule, il hausse simplement les siennes en réponse.

— Ma foi, c'est surtout que t'avais besoin d'en parler non ? Tu vois que t'es pas un robot ma vieille.

Ricane doucement avant d'enchaîner.

— J'suis désolé pour tes parents, et pour ton oeil. C'est quelque chose de pas facile à vivre, t'es super forte Maxie. Vraiment.

Il comprend un peu mieux maintenant, ça fait sens après tout. Alors, pour une fois, il semble chercher ses mots, Mason prend le temps de réfléchir un court instant avant de poursuivre.

— Tu aimes vivre ici ?

Ici sur cette île, dans cette école, avec ces gens.
Tu aimes ça comme tu aimes la vie à l'extérieur ?

— Hm...

C'est vrai que ce n'est pas le genre de chose que les gens aiment partager en général. Il n'en dira pas plus, ce n'est pas important de toute façon. Ce qui est important présentement, ce sont ces mots que tu lui dis. Que tu lui livres alors que, finalement, vous ne vous connaissez même pas. Il a ce visage tranquille tandis qu'il t'écoute parler de vengeance, de ce choix que tu n'as pas. Il n'est pas vraiment d'accord tu sais. Si lui possède le choix, tu l'as aussi. C'est simplement que tu ne le vois pas Maxie, t'es trop focus pour t'en apercevoir alors qu'il est si proche de toi.

Alors tu dis que tu aimes être ici, tu en énumères les raisons, les personnes, tous ces amis que tu voudrais sûrement ne pas quitter, pas vrai ? Mais tu dois te venger -et puisqu'il est dans cette liste, même nouveau, il étire un sourire. Se permet un rire même, quand tu lui retournes la question.

— Bien sûr que si. Je n'y pense pas tout le temps mais j'ai vraiment envie de partir découvrir le monde tu sais. Et j'aime ma vie ici, c'est plutôt calme quand toi et Arsene foutez pas le bordel. Ça fait du bien.

Tourne un peu la tête pour te lancer un regard amusé.

— C'est bien pour ça que j'ai l'intention de faire les deux.

Vivre à l'extérieur et vivre ici.
Ça paraît fou dit comme ça, mais ça fait des années qu'il y pense et qu'il avance, tranquille, dans la direction qu'il s'est choisit.

— Tu crois que ton seul choix est de fuir d'ici sans profiter de rien pour gâcher ta vie en les vengeant mais c'est pas vrai. Tu peux faire les deux.

Et cette fois il ne quitte pas ton visage des yeux, guette ta réaction, le regard doux presque tendre.

— Et si tu travaillais pour l'État, Maxie ?