Main dans les poches, regard féroce. Marche dans les couloirs sans idée, dénuée de la moindre destination. Ignore alors la logique des différents étages, qu’elle n’a aucune raison de grimper un étage supplémentaire. Du moins, sauf si elle désirait faire face à Sacha. Fort heureusement, sa rencontre fut tout autre.

Montre les dents, canines de sorties. La lèvre supérieure légèrement tremblante. Grogne un coup, s’apprête à mordre avec une ferveur implacable. Quiconque posait sa main sur Ana devait en subir les connaissances. Chanceuse alors, demoiselle, car aucun coup de jus n’est échangé dans ce contact. Plus encore, la blonde qui semblait avoir tout prévu, tout calculé. Car cette barre chocolatée t’allège de toute morsure.

Ana surexcitée, comme si elle venait à craindre que tu puisses lui mentir. Lui retirer se que tu lui tendais, elle qui finalement avait l’habitude de se battre pour récupérer sa convoitise. Un bien précieux, adoré, que jamais elle n’aurait pu soupçonner. Alors brutale, rapide. Attrape la barre qui lui était tendu, déchire de ses dents le paquet pour pouvoir l’engloutir. L’œil mauvais qui reste posé sur son interlocutrice, de crainte qu’elle puisse tenter de récupérer la barre chocolatée.

« Écarlate de quoi. »

Qu’elle questionne alors, sans grand intérêt. Entre deux bouchées maladroites.

« J’aime pas les boussoles mais j’aime pas ici non plus. »

Parce qu’il était là. Parce qu’elle n’y comprenait rien. Elle était simplement dans un monde qui n’était pas le sien, puisse-t-elle encore avoir un lieu qui lui correspondait.

Et face au papier dorénavant vide, elle tend la main vers la blonde. Souhaite un second chocolat.

Les yeux grands qui s’ouvrent lorsqu’une seconde barre lui est tendue. Elle avait eu l’espoir et le culot, parce qu’Ana ne savait pas jauger ni la bienséance et ni les limites. Regard étoilé alors, mais une réaction semblable à la première. Elle dérobe la barre pour être certaine que la main de la blonde ne s’y referme pas. Mais pourtant un peu plus lente cette fois-ci (de pas grand-chose) lorsqu’elle ramène la sucrerie à sa bouche pour la dévorer.

« Elle était bizarre ou toi aussi t’es un accident ? »

Qu’elle se dit qu’il était étrange d’appeler sa fille écarlate. L’idée peut-être, qu’Ana se tentait à un humour décalé, mais ses mots étaient sincères. Elle se disait qu’après tout, si on avait été prit de court par la naissance d’un enfant, que rien a pu être possible pour stopper : on lui donnerait le premier mot qui nous passerait par la tête. Bien que ce n’était pas son cas, elle l’enfant désirée au nom d’Anastassia.

« Ton groupe ? »

Quelques miettes de chocolat aux creux de ses lèvres, elle vient tendre la main une troisième fois. S’imagine qu’il n’y a aucune limite venant de l’écarlate Scarlet.

« Comme le conseil ? Sauf que vous, vous aimez pas ici ?»

Qu’elle grogne alors, bien plus férocement que lorsque ses cheveux avaient été ébouriffés. Sacha faisait partie d’un groupe, lui aussi, et elle n’appréciait pas ça.

Un mélange des deux ? L’idée ne lui avait même pas traversé l’esprit. Comme s’il était possible pour une mère d’être incertaine quant à sa progéniture. Pour Ana, il n’y avait pas de juste-milieu. L’un était Sacha, l’enfant tant souhaité et adoré et l’autre était Ana, l’enfant résultat d’un accident qui n’avait jamais été désiré.

« Inspirée mais c’est tout. »

Si son nom plaisait à certaines personnes, car il avait une bonne sonorité, Anastassia qui pourrait bien être le nom de nombreuses princesses de ce monde. Ana en était bien loin. Car l’inspiration de sa mère avait été semblable à un souffle unique et incertain : on lui avait offert une belle appellation, mais pourtant, on éprouvait aucun désir de la garder en vie. Accident et pourtant bizarre, finalement. Qu’elle aurait pu en cracher son chocolat si la perte d’une unique miette lui était seulement possible.

« Surtout le conseil. Oui. »

Qu’elle acquiesce férocement. Emmerder le monde n’était pas dans son passe-temps -du moins, qu’elle s’imagine naïvement. Comme si vouloir se battre avec le monde n’était pas un signe d’emmerdement, mais bien de pure normalité. Mais une chose était certaine, depuis sa rencontre avec Sacha, président du Conseil, Ana s’était promis de lui pourrir la vie, encore et encore. Pour lui faire regretter bien des choses. Lui qui prendrait à la place de leur parent, mais aussi pour tout ce qu’il lui avait fait. Ou plutôt, pour l’ignorance qu’elle avait reçue durant toutes ses années. Revancharde, malade. C’était une haine magistrale qu’elle portait dans son petit cœur d’adolescente.

Et alors qu’encore une fois, Ana arrache cette barre de chocolat qui lui était tendu. Commence à la déballer, mais s’arrête net lorsque le mot « famille » arrive à son traducteur. Grince des dents d’une violence avant de porter son regard sauvage sur la blonde.

En un seul et unique mot, son intérêt avait basculé. Plus encore, elle pouvait en venir à cataloguer cette Scarlet comme une ennemie. La famille ? C’était quelque chose qui ne devait pas exister, quelque chose à écraser avant qu’il ne vous détruise.

« Une famille ? »

Le dégoût se remarque sur son visage, alors qu’elle lui rend la barre de chocolat. L’envie de la dévorer était présente, mais les termes utilisés ne lui plaisaient aucunement.

« Non. »

Un coup d'œil sur la barre. Le bras pourtant tendu, pourtant confiant. Mais l'envie de ne pas la rendre qui se fait ressentir. Et pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître pour ceux connaissant son addiction aux sucreries, le dégoût pour la famille l'emportait.

« Les familles c’est pas bien, je veux pas. »

Ses doigts sont serrés, les poings fermés tandis que ses ongles se frottent férocement contre ses paumes. Si la famille ne lui avait rien apporté de bon ailleurs, et ici encore lorsqu’Ana en avait retrouvé un bout. Elle était persuadée que rejoindre une autre famille n’était aucunement un bon plan. Un piège, une idée dévastatrice. Alors plus qu’un refus, c’était un acte de protection inconscient.

« … »

Alors, elle reste silencieuse malgré la nouvelle proposition de Scarlet, qui était bien plus alléchante. Un revirement de situation bien trop simple, bien trop rapide. Mais, Sacha était du conseil. Elle aimait les sucreries. Aucune règle, seulement des activités sympas. Sympa ? Elle lève un sourcil. Le regard inquisiteur. Bifurque face à la barre qu’Ana lui avait rendu, cette barre qui lui était de nouveau tendu.

Et elle grimace encore, serre un peu plus ses muscles. Relâche et resserre. Hésite. Cherche à comprendre, à assimiler. Animal piégé qu’elle était finalement, cette Ana face à la nouveauté.

« Amie. »

Qu’elle répète, semblable à famille. Elle n’était jamais vraiment allée à l’école jusqu’à maintenant. Elle n’avait jamais mis les pieds dans un parc pour enfant autrefois et n’avait jamais vraiment eu la possibilité de jouer avec les enfants du voisinage, comme Sacha avait pu le faire avant son départ pour Sajna. Alors, Amie était un mot surfait. Elle en connaissait le sens, mais ne l’avait jusque là jamais expérimenté. Jamais échangé.

Mais alors, elle se dit naïvement qu’elle n’a cas accepté. Si elle en gagnait des sucreries gratuites grâce à un tel échange, peut-être que cela valait le coup. Rien ne l’engageait réellement, l’amitié était sans doute aussi surfaite que la famille. Ainsi, elle avait acquiescé sauvagement durant une fraction de seconde avant d’arracher de nouveau la barre qui lui avait appartenue durant une fraction de seconde auparavant.  

Ce qui lui ferait plaisir ?

Elle avait haussé les épaules avec un désintérêt tout aussi inexistant que ses idées. Mais ce qui lui ferait plaisir à l’instant T, la seule chose qui lui traversait l’esprit, sans même y avoir réfléchit. Qu’elle ouvre grand ses bras, dépasse sa tête de peu, elle qui est de si petite taille.

« Tout ça. »

Qu’elle mime, bouge un peu ses bras pour exprimer que la taille avait de son importance.

« Tout ça de gâteaux. »  

Ah. Il y avait peut-être aussi le fait de rendre la vie de son frère insupportable. Un véritable calvaire, qu’il rentre en désespoir, lui qui avait détruit sa vie tout autant que leur géniteur. Mais ça, c’était une autre histoire.