Ne pas juger un livre sur sa couverture est un proverbe qui s'applique particulièrement bien à Lenita.

Souffrant à un stade terminal du syndrome de la resting bitch face, aux premiers abords, l'idée de lui adresser la parole ne viendrait pas à n'importe qui. Aux seconds abords, ça serait pire, entre ses isolements fréquents pour maintenir son tabagisme et ses déchaînements journaliers sur des sacs de frappe. Mais si, malgré cela, vous appreniez un peu à la connaître... Ça serait encore pire.

Pourtant, la rousse apprécie foncièrement les autres. Passer la plus claire partie de son temps devant son ordinateur est l'une de ses occupations principales, mais elle apprécie tout autant sortir en soirée. Dans ce cadre-là, vous pourriez avoir l'occasion de rencontrer une Lenita plus ouverte, sociable, voire même draguouilleuse et bavarde (principalement grâce à l'amour qu'elle porte pour la boisson). Cependant, dans un contexte plus banal, elle a plutôt tendance à tenir une certaine distance avec les gens et à garder beaucoup de choses pour elle. La découverte de son pouvoir ayant été une route pour le moins périlleuse, l'Italienne a plusieurs fois déjà blessé les personnes dont elle était le plus proche, et l'inquiétude que cela se reproduise lui a créée une certaine carapace : la casser est loin d'être impossible, si vous êtes assez patient.


Lenita n'est pas vraiment de nature sérieuse, si ce n'est qu'un minimum envers ses études. Sous cet air blasé se cache une personne pleine d'humour et de répartie qui peuvent surgir lorsqu'on s'y attend le moins et qu'elle utilise en partie pour montrer aux autres que non, malgré le regard qu'elle jette en permanence, elle n'est pas en train de concocter un plan pour vous tuer.

Entièrement ouverte d'esprit, elle diffère en tout point de l'éducation fournie par ses parents : elle n'a que très peu d'a priori sur les autres et de ce fait s'entend bien avec la plupart des cliques, principalement les sportifs et les geeks. Si l'on cherchait la petite bête, Lenita pourrait avoir quelques différents avec certains populaires, ou encore les rebelles, qu'elle considère comme "des gamins en crise d'ado qui jouent au punk" pour la plupart.

Jouer au punk, parlons-en. Pendant un long chapitre de sa vie, la rouquine n'avait pas peur d'utiliser son pouvoir pour frapper et insulter tous ceux qui lui causaient un minimum de tort. Par chance, cette époque est derrière elle, et elle utilise désormais ses facultés pour des raisons plus frivoles, telles qu'un coup de boost en boxe ou en pleine rédaction nocturne d'un devoir à rendre pour le lendemain. Mais toutes ses bonnes intentions ne l'empêchent pas pour autant d'avoir la possibilité de se transformer en bombe humaine si elle considérait que cela était justifiable : exploser quand sa propre morale lui ordonne, faire la justice à sa sauce, le "chaotique bon" en chair et en os.

TW :

- Tu sais pas ce que Rita m'a sorti l'autre jour ?

- Quoi ?

- La Giulia là, tu sais, à l'autre bout de la rue, c'est une... Tu sais ?

- ... Gouine ?

- Pire ! Une infectée !

Loris Rocchi reposa le regard sur son journal en secouant la tête avec dédain. Sa femme retourna à la cuisine tandis que la petite Lenita, 7 ans, leva les yeux vers son père. Elle en entendait souvent parler, des "infectés". C'était le charmant sobriquet qu'employaient ses parents à l'égard des personnes maîtrisant un pouvoir. En réalité, de son point de vue enfantin, elle trouvait ça plutôt cool, bien qu'elle savait pertinemment qu'il était préférable de garder cette opinion pour elle.

- Dis, papa...

- Mh ?

- C'est quoi, une "gouine" ?

_______


"JE SUIS PAS UNE GOUINE !"

Un fracas se fit entendre dans le self du collège. Une petite rouquine venait de bondir de sa chaise pour se jeter sur une fille de quatrième, deux ans son ainée. Le regard brûlant, elle se redressa aussitôt afin d'attraper la brune par le col et de la plaquer au mur. Elle avait beau être haute comme trois pommes, elle parvint tout de même à faire décoller les pieds du sol de l'autre demoiselle paniquée l'histoire de quelques secondes. Les brouhahas suivirent rapidement tandis qu'un attroupement de chérubins les entouraient.

"Rocchi ! Venez avec moi tout de suite !"


Ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait dans cette situation, et l'homme derrière le bureau ne manqua pas de lui rappeler.

"... Je l'ai entendu parler de moi, ça m'a énervée." Elle marqua une courte pause avant de détourner le regard en marmonnant : "... Désolée."

"Lenita, tu..." Il poussa un long soupir. "Tu as de très bonnes notes. Tu n'es pas quelqu'un de méchant. Pourquoi tu agis comme ça ?"

Elle haussa les épaules. Nouveau soupir.

- Écoute, c'est grave, ce que tu fais. Je vais devoir t'expulser quelques jours à nouveau, tu sais ? Si tu continues comme ça, ça sera définitif. Tes parents sont au courant, de ces... Crises de colère ?"

- Moui.

- Tu as quelqu'un pour t'aider ? Un psychologue ?

- Je suis pas folle. Les psys, c'est pour les fous. Ça m'énerve juste quand-

- Wow, non, ne dis pas ce genre de chose. Où est-ce que tu as entendu un truc pareil ?

La rousse se contenta de le fixer en silence. Pour elle, ce n'était qu'une banalité de plus communément déblatérée dans son foyer qu'elle se contentait de régurgiter quand le sujet venait sur la table.

- Bon, écoute, Lenita, je vais devoir appeler tes parents. On va avoir une discussion, tous les quatre. Si je te revois dans mon bureau à cause d'une bagarre, ça sera la dernière fois que tu mets les pieds dans ce collège. C'est clair ?

- ... Oui monsieur.


La suite de cet entretien marqua le début du suivi psychologique de la chérubine alors âgée de 12 ans. Par chance, un oncle pratiquant à quelques pas de la maison put la prendre en charge assez rapidement et la diagnostiqua avec un trouble explosif intermittent. "Quand je m'énerve, y'a un truc qui monte en moi, comme une boule, et je la fais grossir, et ça me donne envie de me battre, du coup je le fais", qu'elle disait.
En travers de sa thérapie et ses études, Lenita se mit à suivre des cours de boxe afin de tenter de canaliser cette fameuse... "Boule". Par chance, au-delà d'être douée, cela semblait fonctionner. La plupart du temps.

_______


"Hé ! Les gouines !"

"Putain, fais chier."

Un jeune homme s'avança vers les deux demoiselles. Apparemment, on ne pouvait jamais être tranquille dans ce coin paumé, même dans un parc à deux heures du matin.

- Nan mais vous dérangez pas pour moi, continuez vos trucs hein...

- Casse-toi Fabio. T'es lourd.

- Ça va, j'fais rien de mal. Vous croyez vraiment être discrètes ? J'suis pas le seul à être au courant de vos bails à la fac, Leni.

- On s'en fout.

La rousse jeta un coup d'œil à sa copine. Elle ne s'en foutait pas vraiment, pour sa part.

- Bah alors embrassez-vous, nan ?

- Fabio, sérieux, dégage.

- Pourquoi tu te véner comme ça ? Si tu le fais pas, moi j'suis chaud, hein.

Il esquissa un sourire à la jolie blonde, qui se contenta de détourner le regard avec un air de dégoût. Lenita serra les dents avant de se redresser pour faire face au garçon : il était dans sa classe à la fac, et portait une sacrée réputation de loubard sur les épaules. Très grand, très musclé, très con : un combo parfait pour être l'une des personnes les plus populaires du bahut.

- Mec, juste... Casse-toi, je rigole pas en fait.

- Waouh, quoi, tu vas me frapper ?

- Ça dépend, tu vas te casser ?

Le garçon lâcha un rire amer avant de reprendre un air sérieux et de faire un pas vers elle, n'étant qu'à quelques centimètres de son visage. L'autre jeune femme se redressa aussitôt, sans pour autant savoir quoi faire.

- Écoute, si j'ai bien compris, vous deux là, c'est censé être un secret. Je vais pas te frapper parce que t'es une fille, mais si tu veux pas que toute la promo soit au courant de votre petite histoire, j'te conseille de pas trop faire la maline.

À ces mots, la rousse ne put cacher un éclair de peur sur son visage. Elle avait déjà assez de problèmes à la maison, si sa relation éclatait au grand jour, elle savait pertinemment que sa situation familiale ne s'aggraverait qu'au-delà de tout ce qu'elle pouvait imaginer de pire. Alors qu'une boule au ventre se faisait ressentir, Lenita prit la décision de la faire grossir d'autant plus. Elle savait la contrôler.

Elle savait l'aggraver.

Sans un mot, presque mécaniquement, elle se mit à frapper. Un coup, deux coups. Une riposte, trois coups rendus. Une minute, cinq minutes.

Lorsque Lenita revint à elle, sa petite amie était déjà partie. Elle avait bien tenté de retenir la rouquine, sans succès, alors elle avait fui, de peur, pour appeler une ambulance. Du moins, c'est ce que Lenita s'était dit. La fille qu'elle aimait était si douce, si attentionnée, si gentille.

C'est pour ça qu'elle mit fin à leur relation après ce soir-là. Ce qu'elle avait vu, ça lui avait fait peur. Le garçon avait eu peur aussi. À son réveil à l'hôpital, il avait inventé une histoire d'agression dans la rue, et l'affaire resta sans suite. Personne ne savait, à part eux, et Lenita.


Suite à cette histoire, la rousse prit la décision autonome de rejoindre une clinique. Les séances de psychologie qu'elle avait suivies pendant quelques années n'étaient qu'un lointain souvenir à ce stade, mais aujourd'hui, à 19 ans, elle savait que sa situation n'était pas normale. Son trouble était une chose, ses cours de boxe aussi, mais ce feu qui l'avait alimenté durant l'altercation de cette soirée face à une armoire à glace telle que Fabio, l'avantage qu'elle avait eu sur lui, c'était inexplicable. Ce n'était pas normal. Elle n'était pas normale.

Le traitement auquel Lenita était suggéré semblait fonctionner, à son plus grand regret. Sa clinique était pourvue d'une salle de sport qui lui permettait de se défouler sur un sac de frappe, mais il lui était devenu impossible d'y mettre corps et âme comme elle l'avait toujours fait. La boule était toujours là, activable quand elle en avait besoin, néanmoins cette sensation qui lui était devenue si familière semblait désormais inconfortable. Certes, son comportement s'était amélioré, mais ses progrès avaient l'air d'être principalement dûs à la peine qu'elle ressentait depuis son arrivée : au fond, elle avait eu des excès, mais selon elle, la raison de les avoir avait toujours été valable. Elle savait qu'elle avait la capacité de s'enflammer, alors pourquoi refuser de l'utiliser ? Fondamentalement, pourquoi la boule était mal ?

Ses quelques questionnements furent vite suivis par bien d'autres. Sa rage n'était pas comportementale, non. Elle avait récemment décidé de ne plus l'utiliser pour de mauvaises raisons, certes, mais ce n'était rien d'autre que ça, une décision. Si elle pouvait, à l'inverse, l'utiliser pour de bonnes raisons, telles qu'un effort sportif ou un cas d'urgence, le traitement qu'elle suivait depuis quelques mois n'était peut-être qu'une piètre excuse pour justifier son comportement passé. Pour justifier la boule. Pour justifier...


- ... Oh.

La psychiatre leva les yeux du dossier posé à son bureau avec étonnement. Alors qu'elle était en train de rendre un compte-rendu sur l'avancée de sa patiente en prévision de sa sortie imminente, celle-ci venait de lui couper la parole, un air perdu peint sur le visage.

- Lenita ? Tu vas bien ?

Il fallut un long silence avant que la rousse ne prenne la parole.

- ... Vous pensez quoi des pouvoirs, vous ?

- Moi ? Et bien... Je n'en pense pas grand chose. Un proche à moi en a. Ça ne m'a jamais plus dérangé que ça, je suppose. Pourquoi ?

Lenita esquissa un sourire.

"Pour rien."

_______


"J'aime les filles. J'ai déjà embrassé des filles, et j'ai fait l'amour avec des filles. J'ai déjà fumé des joints et une fois j'ai tenté la coke. C'était grave nul. Et je pars à Sajna, genre là, maintenant, parce que j'ai un pouvoir, aussi. Voilà. J'crois que c'est tout."

"Qu'est ce que t-..."

Clic.

Raccrocher au nez de ses parents lui décrocha un sourire amusé. La jeune femme éteint son téléphone avant de se le faire arracher des mains et réprimandé pour l'avoir utilisé. Lenita tourna légèrement la tête, faisant mine de se gratter le nez pour camoufler son rictus.

"C'est juste un coup de fil. Excusez-moi."

L'homme se tenant en face d'elle fronça les sourcils sans rien rajouter avant de l'escorter dans une voiture aux vitres teintées. Bientôt, tout serait enfin derrière elle, pour de bon.
En effet, elle avait décidé de couper les ponts avec tout son entourage, laissant ces vingt dernières années en Italie derrière elle, dans l'espoir de trouver mieux. De tout recommencer.
Qui devait-elle remercier pour ce changement radical ? L'épiphanie qui allait lui changer la vie, à quoi était-elle due ?

... Deux trois homophobes, et une boule. Littéralement.