Bienvenue dans ce numéro Arte sur le Lei-Wei sauvage.

Le Lei-Wei est un animal routinier, il a ses petites habitudes telle une personne âgée et est plus organisé qu’on ne pourrait le penser. Sa journée commence par le sport, une douche, une ellipse de trente ans pour s’habiller / se coiffer / se maquiller, un petit déjeuner, des cours, du sport, un temps accordé au hasard, une soupe et au lit. Il n’est pas si sauvage que ça finalement. Il peut, de prime abord, avoir l’air un peu farouche mais il veut seulement avoir l’air cool même si la minute où on lui accorde de l’attention, monsieur passe d’un mannequin instagram à un enfant de 4ans qui fera tout pour vous impressionner comme « tu veux voir combien de marshmallows je peux mettre dans ma bouche ? » ou pire encore « je m’épilerais le torse pour marquer nos initiales avec les poils, nouveau bff ». Mieux vaut l’approcher sans avoir d’idées préconçues, ce serait un coup à être déçu.

Il est donc, soyons francs, un peu débile mais loin d’être méchant. Bien que possédant quelques problèmes d’attention qu’il tente de discipliner par l’exercice, il est de nature calme et passe son temps à vibe. Le stress ? Connaît pas. Peut-être pour ça qu’il est très mauvais en compétition, il vient en touriste pour s’amuser, pour ce qui est de l’adrénaline on repassera. Ainsi, le Lei-Wei est un très bon partenaire pour Netflix & Chill et ça, au sens littéral car il ne comprendra pas le sous-entendu. Un peu un comble de passer sa vie à flirter quand on ne cherche pas à voir plus loin que le bout de son nez. On le dit, on le répète, il est beau mais il est bête.

Son style n’a donc encore une fois, aucun véritable rapport avec sa personnalité. Il aimerait beaucoup trop faire croire que c’est un bad boi en mobylette ( alors qu’il soit plus en bicyclette ) mais il est tout sauf un rebelle : il respecte les règles et il dira que c’est un principe de sportif pour se justifier. Ceci dit, bien qu’il soit rarement à l’initiative de quelques mauvaises idées, c’est un excellent suiveur. Et puis au lieu de déconseiller, il a tendance à hyper les autres dans leurs conneries plus qu’autre chose. Il y peut rien, il veut être gentil et un bon ami. C'est une bonne oreille, pas forcément attentive, il faut vérifier qu'il soit bien là mais il est toujours prêt à écouter même si, fatigué, c'est plus lui qui a tendance à monopoliser la parole.

Ayant passé quinze bonnes années à l’extérieur, il est toujours prêt à partager son vécu surtout avec les plus jeunes qui n’ont pas eu cette chance. Puis même s’il se sent chez lui ici, il reste fier de venir de sa jolie île et n’est pas avare de compliments sur sa cuisine. Oh la nourriture, il aime ça. Surtout la street food, sachez que sa tête est officiellement vide dès lors qu’il sent quelque chose de bon et rien ne refera reconnecter les neurones à part une bouchée. Il faut savoir partager, surtout quand vous êtes regardé avec insistance par un gremlins affamé.

Autre chose assez importante, il est très, trop ? Tactile. Ayant l’habitude de considérer tout le monde comme faisant partie intégrante de sa famille et ayant un pouvoir qui se base sur le contact, il ne faut pas avoir peur s’il vous saisi le bras pour embrasser une plaie, qu’il fasse un signe de la victoire après et qu’il retourne à ses occupations. Y’a pas toutes les connexions dans son cerveau, il agit et il réfléchira après. D’ailleurs, il aime beaucoup donner les problèmes du présent à son lui du futur car il a pas le temps d’avoir des soucis, il vibe on a dit.

En vrai, il essaye de ressembler à celle qui l’a dénoncé car s’il est aussi bruyant et vivant qu’elle, elle n’aura pas le temps de lui manquer.

corps hyperactif × head empty × aime tout le monde × pédale trop vite, ne peut pas être rattrapé par les pensées négatives × aime trop avoir l'air d'un grand frère × ressemble plus à une mère quand il est entouré d'enfants × a l'air d'un enfant quand il est entouré de personnes de son âge qu'il veut impressionner × roi de la procrastination mais appelle ça vivre au jour le jour × c'est pas qu'il est patient, il oublie vite ce qu'il attendait × estomac sans fond × s'organise pour faire genre qu'il a une discipline, est en vrai à la ramasse dans ses devoirs × plus il est fatigué, plus il est bruyant

Lei-Wei n’est pas à plaindre.

Né à Taïwan, il voit le jour dans le sud de l’île, entre montagnes couvertes de forêt et plages. Son père travaille à la capitale, il n’a jamais su ce qu’il faisait exactement mais sûrement un boulot ennuyeux et sérieux, sa mère, elle, change de petit boulot tous les quatre matins. Ils vivent dans la maison familiale avec ses grands-parents maternels, la vie est paisible. Il est toujours fourré dehors avec les autres gosses du village, dès que tous ont su marcher, c’en était fini de la tranquillité. Les adultes râlent faussement contre eux, surtout les personnes âgées. Les aînés savent que ça ne va pas durer, alors ils profitent de ces petites boules d’énergie qui apportent tant de vie au village. Puis dès que les enfants sont un peu plus grands, ils déménagent un à un vers de plus grandes villes. Les parents visent de meilleures écoles, une meilleure qualité de vie. A chaque rentrée, ils sont de moins en moins nombreux dans la classe de Lei-Wei.

Les fesses calées sur sa chaise, le dos droit, les mains posées à plat sur ses cuisses, le petit Lei-Wei est noyé dans un brouhaha incessant alors qu’il ne veut qu’une chose : commencer à manger. Ses grands parents lui parlent taïwanais, sa mère mélange ce dialecte avec le japonais et son père répète tout en mandarin et il essaye de parler le plus fort car son fils, il l’assure, doit surtout parler mandarin. Demain, la petite famille quitte le confort de la campagne et surtout du sud du pays pour le nord et sa capitale, Taipei. Il a dix ans à ce moment, c’est le dernier de ses amis à quitter le village. Il se demande s’il mangera aussi bien à la ville.

Sa mère se pose plus ou moins, elle a trouvé un travail dans un café, elle a l’air de s’amuser, elle s’est faite beaucoup plus d’amis que lui. Mais elle a toujours été comme ça et ça le rassure, il y a des choses qui ne changent pas. Il n’aime pas le changement. L’appartement est petit, on lui dit que c’est partout pareil à Taipei. Même dehors il étouffe, c’est grand la ville mais on dirait une boite de sardines. On mange bien à la ville, il y a des stands partout tenus par des personnes qui lui rappellent les aînés qu’il a laissé derrière lui. Ça le rend triste, il ne sait pas trop s’il doit arrêter de s’en approcher pour ne pas y penser. Il fait l’inverse et rayonne quand ces derniers le reconnaissent et disent son nom.

Pour les amis, c’est plus compliqué, ils vont et viennent jusqu’à ce qu’il se fasse adopter par sa voisine. Elle a un an de plus et se fait appeler Cherry. « Toi aussi tu trouveras un prénom anglais un jour, tu verras, ça change la vie ! » Qu’elle lui avait dit, il ne l’a jamais fait. Ils sont dans la même classe car elle a redoublé. Il va chez elle, elle vient chez lui. Sa mère l’adore, elle aurait peut-être préféré une fille. Il la trouve cool, elle est jolie, bruyante et très forte, elle devient vite son modèle. Avec elle il retrouve un groupe d’amis, un vrai. Ils vont au club de sport ensembles, ils sortent le week-end et prennent le train là où le vent les mènent et finalement, les forêts et les plages ne sont pas si loin. Il a retrouvé une place, tout s’arrange.

Après il y aurait pu avoir une ombre au tableau : Lei-Wei n’est pas le plus intelligent mais Cherry aussi et tant qu’ils sont deux, il se sent invincible. Et même s’il pense décevoir son père en étant plus doué pour le sport que pour les maths, il n’arrive pas à se sentir coupable. Ils habitent ensembles mais il ne le voit pas plus qu’avant alors il a appris à ne rien attendre de lui. C’est peut-être pour ça qu’à 14ans, il accepte de suivre Cherry dans sa crise vestimentaire. Elle adopte un style alternatif pour poster des photos sur internet, il la suit. Elle dit que c’est tendance les outfits de couples, ils sont plus frère et sœur qu’autre chose mais il voit là une occasion de bien marquer sa différence avec son père. Sa mère, elle, est conquise. C’est peut-être elle qui s’amuse le plus dans cette histoire, à peindre les ongles de son fils en noir. Il avait raison, elle aurait préféré une fille.

Il vient de fêter ses quinze ans quand tout bascule. Il est dans la salle de bain avec Cherry, lui pour se coiffer, elle car elle a vu qu’il lui restait quelques poils sur les jambes. Elle lui emprunte son rasoir, lui rappelant au passage qu’il est imberbe et n’en n’a pas besoin. Il lui tire la langue et choisit de l’ignorer, chose à laquelle il a toujours vite échoué. Voulant faire vite, elle s’est coupée et saignote dans le lavabo blanc qui n’a rien demandé.

« Faut que t’embrasses le bobo pour qu'il guérisse ! Vite avant que je sois déformée !
- T’as quoi, quatre ans ? »

Elle rigole mais continue de lui mettre sa jambe à la figure et il exagère ses grimaces pour exprimer son dégoût sachant pertinemment que rien ne l’arrêtera. Alors il soupire et presse ses lèvres contre la plaie, rapidement. Quand il lève les yeux vers elle pour lui demander si elle est satisfaite, elle n’a plus l’air amusée. Elle a l’air horrifié et il veut lui rappeler que c’était son idée mais la remarque se perd sur le bout de sa langue. Il n’y a pas de sang sur les lèvres, encore moins sur la jambe. Pas de traces de plaie non plus. Le seul vestige de l’accident sont les gouttes qui sont tombées dans le lavabo et la lame du rasoir qui perle encore.

Elle ne lui adressera pas la parole quand elle s’empressera de sortir de la salle de bain, pour tout dire, elle ne lui adressera plus jamais la parole. Le lendemain, LU Lei-Wei est envoyé à Sajna. Sa mère, si douce, si naïve, lui dira au revoir comme s’il partait simplement en voyage scolaire. Au moins une qui restera inchangée. Alors non, Lei-Wei n’est pas à plaindre, il a profité du monde extérieur plus que d’autres et ici aussi, il vit sa petite vie sans soucis. Il ne comprendra sûrement jamais la science mais à quoi bon quand elle ne peut pas tout expliquer.

Mais bon, il est vrai que quand lui se sent bien auprès des siens avec les Somnusiens, il a toujours une pensée pour ceux qu’il a laissé et aime à penser que Cherry vient toujours voir sa mère et qu’aucune des deux ne souffrirait d’un quelconque vide qu’il aurait pu laisser.