Certains jours, tu regrettais sincèrement d'avoir rejoint le club des good guy. D'une part, parce que le nom était discutable, d'autre part parce que tu te demandais bien à quel point la vie de tes camarades étaient vides de sens pour aller s’intéresser à celle des autres. Enfin, bon, tu y voyais certains avantages aussi. La tranquillité d'une part, l'image de l'autre. Liam aurait sûrement adoré ce genre initiative, il aurait été du genre à s'investir plus que de raison. Toi, si tu n'as pas envie de dire que la cause n'est pas louable, tu penses qu'elle n'est pas aussi rose que ce qu'on ne le pense.
L'idée (débile s'il en était) avait été lancée par un de tes aînés. Uns de ces idéalistes qui sans pour autant remettre en cause le système de groupe, exécrait le communautarisme qu'il entraînait. Son grand combat : les rebelles et leur attitude fermés. Un sauveur du dimanche qui se croit dans le bon droit d'aller voir les gens pour leur dire qu'on peut les sauver avec un peu de bonne volonté. Son envie, c'était d'embarquer un petit groupe pour aller discuter avec une certaine élève qu'il avait repéré. Essayer de la convaincre de donner de son temps dans l'associatif, pourquoi pas de rejoindre le club. Et, si ses potes étaient là, le plan était d'étendre l'opération pour, tu cites "tendre la main". Aussi horripilante sois cette activité, tu avais dit oui par sms et le rendez-vous avait donc été pris : après les cours, au foyer. Apparemment, la jeune fille en détresse y serait.
Si tu devais être franc, t'aurais dû dire non. Le week end avait été horrible. La soirée, Ezra, Lucrecia, la gueule de bois monumentale qui s'en était suivi, le réveil douloureux, le ménage sur la plage, Lucrecia à l’hôpital, le retour de la semaine, Ezra que tu croises quand tu n'en as pas l'envie, Ezra qui fuit ton regard sans cacher sa haine, Ezra, Erza, Ezra.. Fait chier. Et c'était peut-être de là qu'était partie ton excès de zèle, ton volontariat. Te le sortir de la tête, lui, son stupide baiser, son regard de merde, cette façon qu'il a de te montrer qu'il te veut autant qu'il te rejette, cette façon que t'as de vouloir le punir autant que de vouloir autre chose aussi. T'aurais dû demander pardon a Lucrecia, l'embrasser, lui demander à être ensemble. T'aurais dû, la vérité c'est que tu n'en as pas eu la moindre envie. La vérité c'est que le soir de la fête, c'est bien de le voir partir lui qui t'avais achever, pas son départ à elle. Et vraiment, Noah, pour ça tu le détestes.
Alors à l'heure dite, au lieu-dit, t'étais présent. Décidé à faire ce job hypocrite qui ne mènerait probablement à rien, à balancer des mots doucereux qui n'auront aucun effet tout en rêvant de toi, ce que tu ferais, si t'avais la main mise sur ce fichu club de merde. Derrière la porte du foyer, t'entends déjà les voix de tes camarades en plein pourparler. Tu passes la porte, entames un salut et...
.... Mais quelle vie de merde.
Évidemment, l'autre connard n'avait pas jugé bon de vous dire que l'élève à sauver en question, c'était l'autre rousse de la soirée, aka Electre. Et évidemment, puisqu'un malheur n'arrive jamais seul, il fallait que lui soit là aussi.
— Ah Noah ! Tu tombes bien, je me disais que ce serait peut-être plus sympa si on discutait avec chacun d'entre eux ? Ouais et tu t'es aussi dit que ce serait bien de le dire devant les concernés comme-ci c'était de la marchandise ? — Ouais. — Ah cool ! Alors du coup, tu peux t'occuper du jeune homme brun... Ton nom c'est... ? — Ezra, son nom c'est Ezra.
Tu le regardes, t'as pas envie d'être là, pas envie de le voir, pas envie de lui parler, t'as encore le goût de ses lèvres sur ta bouche mais son regard semble l'avoir oublié.
— Ah, tu t'occupes de lui ? Tu me laisses pas le choix, connard. — Ouais, ouais.
Putain. Putain. Putain. T'as ton camarade qui le pousse vers toi, c'est tellement ridicule que dans le foyer se tien maintenant une ambiance de speed dating avec un good guy à chaque table et un rebut de la société pour l'accompagner.
— Je suppose que le droit chemin et l'associatif entouré d'hypocrite ça te dis pas ?
La fête sur la plage s'était terminée par une nuit amère. Les vocaux de Noah n'avaient rien changé - avaient peut-être empiré ton état d'esprit. Ce fiasco était la preuve concrète et solide que tout ces échanges n'avaient été qu'une suite de mauvaises idées - et qu'il fallait mieux à l'avenir rompre tout contact, cesser cette relation morte née et sans intérêt. Noah Pierce n'a de Liam Pierce que des réminiscences hantées, n'existe que pour te rappeler que son éternel portrait est à jamais greffé sur son visage.
Aux côtés d'Electre et Nathanael, tu flânes au foyer, visiblement d'humeur massacrante. Soumis à des migraines depuis dimanche, tu t'es consolé de cette gueule de bois en apprenant que Lucrecia avait terminé sa nuit à l'hôpital. La rancune tenace, tu as cependant rapidement chassé ces pensées de réjouissance par une culpabilité chronique. Mais étant un lâche jusqu'au bout, tu n'avais pas pour autant fait quoi que ce soit pour t'en racheter.
Alors que tu rechignes à ouvrir un livre, une fesse installée sur la table et la jambe tendue - tes yeux ne se posent pas tout de suite sur le petit groupe d'élèves bien sapés à l'entrée du foyer qui se dirige un peu trop sereinement vers vous. C'est un autre rebelle qui s'intercepte entre vous et eux, pensant surement qu'ils soient là pour remettre les idées en place dans la tête d'Electre. Une peine perdue s'ils veulent ton avis (non).
— « On décale. »
Tu te lèves et te décolles de la table sans leur adresser un seul regard quand une voix que tu reconnais instantanément t'interpelle sans le vouloir. Tu redresses furtivement les yeux, vérolés par la rage et l'impulsivité. Tu te braques et recules alors que tu cherches à les contourner, mais Noah se place devant toi et te barre la route.
— « T'es dans le chemin. »
Ça sort plus vite que tu ne le penses et d'un ton agressif. Finalement tu cèdes à lui accorder du temps, lucide malgré toi sur le fait que c'est pas une bonne idée. T'installes à une table avec lui.
— « Hypocrite, tu veux dire... comme toi ? »
Tu le toises de toute la colère que tu peux exprimer avant de ricaner nerveusement. Tu passes une main dans tes cheveux pour les ébouriffer vers l'arrière puis joins les mains en entremêlant tes doigts. Tu tapes du pied sur le sol, hyperactif et grimaces.
— « C'est clair que vu la manière dont tu en parles, ça fait grave envie. »
Tu étires un petit sourire arrogant, malgré le fait que tu ne sois pas totalement sûr d'assumer une attitude aussi vaniteuse. Ton manque d'assurance suinte de tout tes pores, mais c'est la hargne et la haine qui fait tenir le masque.
Il attaque, ne laisse même pas le temps à l'échauffement. Déballe déjà les armes lourdes, alors c'était officiel : c'était ton extermination qu'Ezra voulait. Quoi que... Tu es tenté de te questionner. Sa colère était-elle sincère ou était-elle juste un bouclier ? Tu ne sais pas, tu ne sais jamais avec lui. Pendant une seconde tu le sens désireux à l'intimité, pendant la suivante tu le sens prêt à te tuer. Décide-toi, t'as presque envie de lui hurler. Mais s'il y a une chose que t'as bien saisie, c'est qu'il était lâche, Ezra et qu'attendre une réponse censée et contraire reviendrait à attendre le retour de Liam. Ce serait futile, très con et douloureux.
Tu hausses les épaules, c'est ni le lieu, ni le moment pour s'engueuler de front. Et, faut dire ce qui est, aujourd’hui t'es trop épuisé pour le prendre pour un con.
— Non, ils sont loin d'être à mon niveau. Tant mieux d'ailleurs.
Rictus provocant aux lèvres, ouais, tu ne vas pas le contredire, Ezra, tu ne vas pas aller prétendre le contraire de ce qu'il dit. Tu vas aller dans son sens, et tant mieux puisque son sens est celui de la vérité. Peut-être qu'il se retrouvera plus frustré encore. Tu ne sais pas. Tu ne sais jamais avec lui. Mais qu'il se torture autant que tu te tortures, ça rendra plus doux ton ego.
Mais voilà qu'il invoque le tabou, jette l'interdit sur la table. Pas besoin qu'il prononce son nom pour que tu l'entendes. Détourne le regard, le rictus disparaît. La tête sur ton poing, ton regard dérive au sol et tu lâches, brutal.
— Lui est mort mais je te l'accorde, il aurait été bien plus intelligent. Il ne serait pas venu imposer une pseudo aide à ta pote, comme il n'aurait pas eu la connerie de venir avec quatre gros bras en pensant que ça rassurerait. Il aurait été plus subtil, lui savait que ce genre de chose ça ne se menait pas de front, l'aide ça se suggère et ça se construit comme une relation. Ces cons ont des intentions louables mais ils s'y prennent comme des manches. Liam aurait su comment s'y prendre. Dommage pour eux, la copie est loin de l'original.
Et tu braques ton regard dans le sien. Violent, sans transition. Tu ne t'attendais pas à ce qu'il aille le courage d'évoquer un jour Liam. Il te surprend. Décidément, tu ne sais jamais avec lui.
— A chaque rencontre tu deviens plus téméraire, dis moi. Tu l'évoques sans chialer, demain peut-être même que tu prononceras son nom. Whoua.
Est-ce que tu le surprends aussi ? Tu ne sais pas, Noah. Tu ne sais jamais avec lui.
AH ! Il le reconnait enfin. Il reconnait être une pourriture hypocrite. Tu commences à douter Ezra, tu sens la rage grouiller et te retourner l'estomac. Est-ce qu'il fait semblant depuis le début ? Est-ce qu'il se moquait de toi ? Est-ce que sa présence là est une façon de te narguer pour continuer de t'achever ? Il est douloureux et pitoyable que tu t'accroches encore, et que tu le projettes systématiquement sur son visage. Mais c'est le même PU-TAIN de visage. Fermes les yeux pour ne plus voir les flammes grimper dévorer détruire. Tes paupières tremblent un instant alors que ton front se trempe de sueurs. Tu les rouvres dans un sursaut nerveux, t'as l'air con. T'as surtout l'air à côté de la plaque et légèrement perturbé.
— « Tais-toi... Arrête... de parler de lui... comme ça... »
Tu sens les larmes de haine monter au coin des yeux, alors que tu serres les poings sur tes cuisses. Tapes finalement de la paume sur la table pour l'interrompre.
— « Arrête putain ! Il n'était pas comme ça. Tu essaies seulement de te convaincre que tu l'imites à la perfection mais c'est faux. Rien chez toi n'a de lui ! »
Qu'est-ce que tu en sais ? Tu ne le connaissais pas tant que ça. Il avait été compatissant deux fois avec toi pour que ça te suffise à l'ériger comme un saint. Et au final la troisième ne lui avait pas suffit pour retenir ton prénom, ou qui tu étais. Il avait brulé pour expier la souffrance engendrée par ce rejet. Putain Ezra mais qui tu espères tromper ?
Noah parle de témérité mais tu ne ressens qu'un profond vide, une décrépitude qui s'accentue quand il se trouve dans la même pièce que toi. Alors sous couvert de ce pseudo courage qu'il t'accorde tu questionnes.
— « Qu'est-ce que tu as ressenti quand on s'est embrassé ? ça t'a fait du bien que je me jette aussi facilement dans tes bras ? est-ce que ça t'a conforté dans ton jeu d'acteur ? »
Il tape du poing sur la table, défend Liam comme une connasse défend son idole. Ah, populaire jusqu'au bout, le frangin. À déchaîner les passions même six pieds sous terre. Quelle chance il a, Liam, d'avoir trouvé un bon toutou matrixé pour préserver l'image idéalisée. Si Liam n'avait pas été Liam, s'il n'avait pas été autant une partie de toi que le socle de ton équilibre, t'en aurais peut-être ri. Tu te serais moqué de sa naïveté. Tu l'aurais écrasé à coup de mépris. Mais là il t'énerve, à présumer de tout, à parler de lui comme-ci c'était lui, son jumeau. Le regard que tu lui lances vaut bien la haine de mille gens. Sous la table tu presses son pied de ta chaussure, l'honneur de Liam a toujours fait de toi un dangereux prédateur, une eau calme capable de tempête. Alors tu susurres, très calme, effrayant.
— J'étais là, du premier au dernier jour de sa vie. Je l'ai défendu et protégé, je l'ai suivi et l'aurais suivit au bout du monde, je me suis effacé et j'aurai sacrifié mes rêves et mes ambitions pour lui si j'en avais eu. Tu peux l'avoir aimé, tu peux souffrir de son absence, tu peux l'aimer toujours j'en ai rien à foutre mais reste à ta place Ezra, c'est clair ?
Tu appuies, écrases à présent sa chaussure. La violence n'a jamais été ton fort mais Liam. Liam. Il n'a pas le droit de cracher sur ce qu'il a été, Liam, sur ce que vous étiez ensembles. Quand tu relâches enfin la pression tu maintiens le regard quelques secondes avant de détourner le visage. Il est amoureux. Salement amoureux, Ezra. Normal qu'il te déteste, normal qu'il t'exècre. Tu as son apparence mais pas sa joie, son sourire mais pas son essence, sa voix mais pas sa chaleur. Et tu ne sais pas ce qui te révulse le plus, le fait qu'il te déteste ou que Liam aurait probablement détester le Noah que tu étais devenu ?
Tu sens monter la même gerbe colérique, cet acide dans la gorge qui pourrait faire venir les larmes. Et il ose poser la question ? Te ramener à ce soir-là, dans ses bras, ces secondes fugaces de sa bouche contre la tienne, de ce d’égout dans ta gorge, de cette excitation dans le ventre, de cette folie dans la tête de cet espoir con qui disait "c'est moi, c'est moi qu'il déteste et qu'il embrasse !". Alors tu lui retournes la question, impitoyable, dans tes yeux, entre la haine, perle aussi une pointe de tristesse, de détresse. Tu connais déjà la réponse à ta question.
— Et toi ? T'as adoré sur le coup avant de te rendre compte que c'était le mauvais jumeau à qui tu refaisais la dentition ? Tu m'as embrassé pour guérir tes regrets, tromper la tristesse ?
Tu ne lui laisses même pas quelques secondes. Dans le fond, ça te blesse plus que tu ne l'aurais pas imaginé. Tu devrais en avoir rien à foutre, mais ça te rend fou. Et tu sais que Lu à raison quand elle dit qu'il te fera tomber, ira t'achever. Mais ça te blesse, ça te frustre. T'as le cœur qui se serre et l'envie d'aller éclater des murs.
— C'est bien ce que je pensais.
T'y crois pas, qu'il t'achève comme ça. Qu'un seul de ses mots arrive à te réduire le cœur en cendre. Et le cœur ? Depuis quand ? Fait chier. Tu te lèves, vexé, blessé, frustré, si ce n'est pas toi qui pars, c'est sa tête que tu vas éclater. Alors tu te lèves, tu détournes ton regard de lui et sans un mot va pour franchir la porte du foyer, décidé à reprendre ton souffle derrière, à l’abri des regard.
Tu n'avais pas attendu cette réaction. Tu serres les dents quand tu sens son pied écraser ta chaussure. Grimaces silencieusement. Tu es sûrement allé trop loin, c'est même certain. Mais quand ça parle de lui, quand ça contredit la version idéalisée que tu t'es faite de Liam Pierce tu t'enflammes sans crier gare. Tu baisses les yeux quand il te dit de rester à ta place, non sans étouffer un grognement de colère dans le fond de ta gorge. Tu ne sais pas encore s'il a réussi à t'impressionner mais c'est la version la plus effrayante de lui même qu'il a pu te partager à ce jour. Tu comprends qu'il n'est vraiment pas aussi lisse qu'il le parait - mais es-tu vraiment en droit de le juger ? Toi donc chaque cellule est nécrosée.
— « Je suis désol- »
Pas le temps de réellement t'excuser qu'il te retourne la question. Tu le regardes en fronçant les sourcils. Tu réfléchis à son sens et à quel type de réponse tu pourrais donner. Un mensonge bien ficelé ? Une vérité basse et qui blesse ? Dans tous les cas tu n'es pas certain de vouloir le verbaliser à voix haute. Tu détournes lâchement le regard comme seul moyen de capituler. Tu as honte Ezra, d'avoir eu des attentes. Tu as honte d'avoir craqué. Tu as honte d'avoir en partie aimer ça alors que tu t'étais fait jurer de ne plus rien aimer d'autres.
Noah se lève. Tu t'autorises à le suivre des yeux alors qu'il s'enfuit de la table. Une fois hors de portée tu exploses et tapes si violemment le pupitre qu'il y a la trace de l'impact. Tu te lèves et jettes ta chaise au sol, déchainé par un excès de rage incontrôlé.
— « PUTAIN ! »
Ignores les remarques acerbes de vos camarades et tu cours à sa poursuite, manquant de t'étaler plusieurs fois sur l'immense tapis du foyer. Une fois passé la porte, tu le trouves tout de suite collé au mur à ta droite. Il n'est pas parti bien loin. Tu le plaques brusquement contre le mur duquel il est déjà adossé et articules difficilement.
— « Il n'y a rien que tu puisses faire pour guérir mes regrets. Rien. »
L'envie trop forte, aucune volonté. Un pied de plus ou de moins dans l'enfer ; qu'est-ce que ça change ?
Tu profites de votre proximité pour l'embrasser encore une fois. T'accroches désespérément aux plis de sa chemise pour ne pas glisser à genoux, priant intérieurement pour qu'il te repousse - alors que ton coeur lui, supplie de l'accepter.
Derrière la porte du foyer, tu entends le fracas d'une table qu'on tape. C'est probablement lui. La vérité qui fait son œuvre, sans doute. Ce n'est plus ton problème, Noah, ça ne devrait plus l'être. Sans doute qu'Electre ira le calmer, lancer une armada de rebelles outrés contre toi, mais t'en a plus grands choses à foutre. Ce n'est plus ton problème, Noah, ça ne devrait plus l'être. Tu t'adosses contre le premier mur venu, soupires, respires, avant de porter ta main à ton front. Fait chier. T'as encore l'acide dans la gorge, la boule dans le ventre et le poing qui pulse d'une énergie que tu ne lui reconnais que face au sac de frappe. Écarteler entre l'envie de pleurer, hurler, fracasser. Il n'a pas répondu, il n'a même pas essayé de mentir. Mais dans le fond à quoi tu t'attendais, Noah ? Aurais-tu seulement été satisfait s'il avait dit non ? Même pas. Parce que Liam, parce qu'il n'y a jamais rien eu de mieux que Liam dans ce monde et qu'Ezra avait beau être un gros con, il n'en était pas un assez gros pour se détourner du meilleur. Fait chier. Il te manque, Liam. Tu le détestes d'être parti, Liam.
C'est là que la porte claque, mollement tu balances ton regard vers elle, aperçoit à l'ombre de ta main une silhouette. Elle se tourne, se précipite vers toi. Plaqué contre le mur, avec une force désespérée, ta main tombe mollement contre ta hanche pour te laisser voir ces yeux... Ces putains de yeux. Il a les yeux d'un fou. T'es persuadé qu'il se torture, qu'il souffre. Mais il y a une vie, une force dans ses yeux. Son regard est un incendie. Tu te dis que t'es assez taré et dysfonctionnel pour vouloir que ce feu te consume tout entier. Tu te dis que t'es assez horripilant pour le trouver incroyablement beau. Tu te prépares à ce qu'il te frappe, espère qu'il cognera assez fort pour t'éclater le crâne une bonne fois pour toutes. Mais ce sont ses lèvres qui impriment ta bouche. Juste avant des paroles articuler avec difficulté. Tu manques de t’étouffer, le corps qui se tend, l'envie de lui coller ton poing dans la tronche parce que tout ça ne fait aucun sens. Il vient d'avouer qu'il le voulait lui. Alors c'est quoi ce bordel ? Pourquoi ? T'as la tête qui bourdonne, quand ta main viens choper son poignet et que tu le repousses doucement.
— Tu me gonfle.
Tu l’entraînes à ta suite comme tu tires la laisse d'un chien trop récalcitrant à avancer. Tu pousses la première porte venue que tu refermes et verrouilles dans la foulée. Quand tu le libères de ta prise te le repousse un peu plus loin encore.
— Ezra Strauss t'est le type le plus insupportable que je connaisse.
Dans ta tête, ça résonne que ce n'est plus tes affaires, que tu devrais arrêter, le laisser planter là, rentrer, fuir, faire ce que tu fais depuis le jour où t'as passé la porte les morgues. Ça bourdonne, ça enfle, comme une obsession, comme le dernier trait de raison avant le grand saut. Mais ça hurle quelque chose d'autre aussi, une colère sourde, la hargne, la rage.
Je vous emmerde tous.
Tu tires sur sa cravate, le ramènes vers toi, de tes doigts tu emprisonnes son visage. Ses yeux. Putain. Tu aimes ses yeux.
— J'en ai rien à foutre de tes regrets.
Presse tes lèvres, brutal, contre les siennes, ton bassin qui vient se coller au sien, le feu dans ton ventre. Colle. Colle. Colle, sa cravate toujours en otage, alors que l'autre main quitte le visage, se plaque avide sur sa hanche.
— Dis mon nom.
Un ordre, au bord de ses lèvres, t'a le feu dans les yeux, pourtant c'est un ordre que tu lui donnes. Dis mon nom.
Tu me gonfles. C'est la première chose qu'il dit alors que vos lèvres se détachent. Un filet de salive comme seul raccord désormais, qui s'échoue sur ton menton. Tu as l'air hagard, les yeux plissés et fatigués. La bouche s'entrouvre légèrement pour respirer. C'est à peine si tu oses, et tu sens que ton coeur est à deux trois battements d'exploser. Tu ne supporterais pas un deuxième rejet du même visage et alors que tu es cloué au sol tu rêves de retrouver le contrôle de tes pieds pour t'enfuir.
— « D'accord. »
Amer, mais alors que tu recouvres l'usage de tes jambes, ses doigts s'agrippent à ton poignet et te tires brusquement au travers du couloir. Tout ton corps s'échauffe, tu ne trouves pas les mots à part quelques râles et des grondements. Le voilà qu'il t'enferme dans un placard avec lui, tires sur ta cravate pour rapprocher vos visages. T'es trop sous le choc pour réaliser, et de ce fait pour te débattre. Sa main à ton menton, ses yeux. Putain. Tu aimes ses yeux.
— « Et moi j'en ai quelque chose à foutre... de toi... »
Dis. Mon. Nom.
Tes yeux s'écarquillent, et dans l'obscurité lancinante vos corps se fracassent l'un contre l'autre. Vos bouches aussi. La sienne est avide et dévastatrice. Tu es comme un chien, prêt à remuer la queue pour un peu d'attention. Lucrecia a raison bordel, on ferait mieux de te piquer.
— « Non... »
La respiration sifflante, ton coeur s'accélère. Tu sens sa main fondre sur ton bassin. T'agrippes davantage au pans du tissu de sa chemise. Murmures finalement d'une voix plus lascive.
— « Noah. »
Tes lèvres s'échouent sur la peau de son cou, alors que tu t'empresses de vouloir l'embrasser. Tu te gonfles de désir à la chaleur de son corps plaqué contre le tien. Tes doigts grimpent à ses cheveux pour, les autres à son poignet qui retient en otage ta cravate. Tires dessus pour lui faire comprendre de te lâcher - ah ! Mais que c'est bon de subir quand même. Tu as moins l'impression de faire une bêtise, plus d'y être forcé. Ça soulage, ça excite. Ça démange et ça c'est dommage.
Quelque chose à foutre de toi... Tu ne sais pas si c'est une réflexion avortée ou un véritable aveu. Mais tu aimes l'idée, l'un comme l'autre, qu'il se sente obligé de lutter ou qu'il rendre les armes sous le simple effet de tes doigts. Et quand tu commandes, tu attends, suspendu à ses lèvres, insoutenable parce que tu deviens fou, Noah. Tu veux l'entendre, tu veux entendre cette voix tantôt colère, tantôt chevrotante prononcer ton nom, le tien. Qu'il officialise, qu'il associe ton visage à sa véritable identité. Supplice, alors que tu tires un peu plus sur sa cravate quand il refuse. Souffle dans son cou pour l'encourager, impose une langue tentatrice sur sa peau qui remonte jusqu'à son lobe.
— Allez. Dis mon nom.
Il abdique enfin, la voix pleine d'envie. Putain, victoire que tu décroches, qui t'excites plus que tout. Tu te sens comme un roi, esquisse du triomphe sur tes lèvres, quand tu prends le temps de le regarder vraiment. Tu pourrais le mettre à genoux, tu le sens. Et tu aimes, aussi, ce nouvel éclat dans son regard, ses lèvres entrouvertes, la tiédeur de sa peau. Oui, c'est nouveau, c'est sans colère, mais tu aimes ça aussi. Rien à voir avec les regards bavant d'envie des hypocrites. Il y a quelque chose de brute et d'authentique dans son regard. Sous l'appel de ses mains, tu lâches sa cravate, en profites pour attraper son menton, passer un pouce impertinent sur sa bouche avant de murmurer.
— C'est bien.
Et tu le féliciteras, autant de fois que nécessaire s'il peut dire ton nom de nouveau. Nommer ton visage, nommer ton corps, avec ton vrai prénom, pas celui qui tambourinait dans sa tête jusque-là. Le tien. Juste le tien. N o a h.
Et quand il demande, alors que tu tournes légèrement sa tête pour partir à l'exploration des courbes de son menton, tu râles au creux de sa gorge.
— Est-ce que ça a une quelconque importance ? Je ne sais pas et je m'en fou...
Et même si tu sais qu'il y aura des limites à ne pas franchir aujourd'hui, quand bien même l'effet que te fait sa voix fébrile et son corps contre le tien est effrayante, tu veux qu'il prononce, encore, qu'il cesse les questions, qu'il se détende, tu veux voir ce Ezra là, plein d'envie. Tu veux voir ce Ezra là, le disséquer, l'explorer, tester chacune de ses limites quitte à le rendre fou, quitte à te rendre fou. Parce qu'il est beau comme ça et que, Noah, ce que tu veux c'est une victoire par KO. Tu veux voir son feu sous toutes ses formes savoir si c'est lui ou toi qui s'immolera avec le premier.
Main isolante qui descend, veut aller explorer l'interdit. Souffle rauque contre sa peau. Il y a mille envies, mille appétits voraces qui te traversent. Là dans ce placard.
— Si t'arrêtais de réfléchir, E z r a ?
Détaché chaque syllabe comme une torture. Veux te délecter de chaque lettre de son prénom. Même si toutes les limites ne seront pas franchies. Tu veux apprécier encore un peu la mélodie.
— Si tu faisais juste ce dont tu avais envie, E z r a ? même si tu n'as aucune idée de ce que ça implique. Hein? De quoi as-tu envie, dis... ? Dis mon nom encore et tu l'auras peut-être...
C'est bien. Putain pourquoi c'est aussi bon ? T'as presque l'impression qu'il te récompense pour ton bon comportement - ça t'apaise mais ça t'excite aussi. Les pupilles dilatées par l'envie, t'as le souffle en suspens et la gorge gonflée d'expirations lubriques qui s'enchainent à la suite alors que tu défailles. Prêt à te défiler ses doigts à ton menton t'empêchent de te sauver. Tu passes ta langue sur le pouce irrévérent qui trône sur ta lèvre du bas, l'engloutit jusqu'à le sentir racler ton palais. Tu ne le quittes pas des yeux. Toi aussi tu sais être hardi à la limite du tendancieux.
Tu suis le mouvement de ton visage, lâches ta prise et frissonnes derechef. Putain de merde, depuis quand la personnalité servile et nigaude s'est muée en tempérament narcissique et prédateur. Tu n'avais pas soupçonné une seconde que Noah puisse cacher une assurance aussi orgueilleuse, que ça en devient presque écrasant. Tu te soumets trop facilement Ezra, quand il murmure qu'il s'en fout. C'est trop facile, il a juste à suivre ses envies bêtement quand tu regrettes déjà amèrement d'avoir seulement écouté les tiennes.
— « Merde... »
Tu sens sa main à ton pantalon et te cambres vers l'arrière, sens l'intimité se gonfler de désir au moindre contact. Ce que tu veux hein... Ce que tu veux... Tu bats des cils, confus et désabusé. Lèves la tête vers le plafond pour te perdre quelques secondes dans les détails inutiles et inintéressants des poutres apparentes.
— « Arrête. »
C'est inaudible. Tu trembles de l'appétit d'eros, le regard lubrique et vacille. Tu te mords la lèvre et t'accroches à lui en geignant comme un chiot.
— « N o a h. »
Tu dois le faire cesser, parce que ses doigts baladeurs te font trop mal (à vouloir te faire du bien). Glisses à ses pieds, à genoux et papillonnes. Tu défaits sa ceinture et baisses son pantalon - récoltes humidité et moiteur exotique. Ton corps entier parcouru d'ondes électriques. Tu tousses et craches. T'es aussi essoufflé qu'insalubre Ezra. Sale de toi, sale de lui. A croire que c'était pas la meilleure chose à faire mais il t'a dit ce que t'as envie.
Provocant, tu n'aurais jamais imaginé ça de lui. Mais agréablement surpris, quand il vient braquer son regard dans le tien, prendre ton pouce en bouche et que tu te retrouves comme un con, frissonnant d'envie. Tu l'avais compris lâche, tu l'avais compris borderline, tu l'avais compris aussi brisé et perdu que toi. Mais là, là, tu le découvres beau, tu le découvres capable, fait naître l'envie dans ton corps, fait pétiller l'électricité. Putain. Putain. L'enfoiré, il cachait si bien son jeu. Ah. Il est... Il est...
Et ton prénom dans sa bouche. Non. C'est trop. Il te fascine, tu le détestes, expérience folle mais jamais, jamais, tu te serais pensé capable de tomber à genoux pour lui comme tu pourrais la faire, là, tout de suite. T'as des milliers d'insultes, de mots qui se bousculent dans ta tête. Par ce qu'il est.. Il est...
Alors quand il glisse jusqu'à ta ceinture, t'as le regard fiévreux, t'es gonflé d'envie, tes hanches, ton ventre, ta poitrine, vibrante d'un feu qu'il n'aurait jamais dû être en capacité d'allumer. Tu le regardes, sans comprendre, le souffle déjà court. Est-ce qu'il va ? Non... Oui... Putain. Putain. Putain. T'as le réflexe de d'adosser au mur, de plaquer ta main contre ta bouche pour ne pas trahir le flot terrible. Ah...T'ose pas regarder, renverses plutôt le crâne, c'est irréaliste, le premier réflexe est de tendre la main pour lui dire stop, le second est d'arrêter, parce que dans ta tête ça hurle, stop, stop stop stop, continue, continue, putain continue. Et en cet instant tu te sens comme ce gamin, se préparant à la pire de connerie, mais putain qu'est-ce qu'elle est bonne cette connerie.
Fait de cet acte un jeu, à celui qui trahira son plaisir le premier, finalement, tu passes une main sur le haut de son crâne mi-chemin entre la caresse et la tape faite au chien.
— Ezra...
Rire rauque dans ta gorge, déraille sous le plaisir. T'as le cœur qui tambourine, il a fini, et il n'y a que ta fierté pour te garder droit sur tes jambes. Quelques secondes dans le silence, tout ça n'avait aucun sens et pourtant, il est tellement beau, tellement... Il est cette connerie qu'on savoure et à laquelle on devient accro. Quand il crache que tu as eu ce que tu voulais, tu secoues la tête. Se met à son nouveau, viens essuyer le coin de sa lèvre.
— Non. Je t'ai demandé ce que tu toi, tu voulais.
T'as du mal à garder le fil de penser intact et tes idées claires. Alors c'est presque sans regret que tu glisses à son oreille.
— Mais si tu me demande, moi, ce dont j'ai envie... Alors.
Glisse une main sur son torse, qui descend, descend plus bas. Ah. Tu pourrais. T'as envie. Tu lui laisses un avant-goût, fait sauter son bouton.
— Je n'aime pas juste recevoir, tu sais ?
Mais il ne faut pas, hein ? Le laisse moi te laisse un goût particulier dans la gorge. Non. Non. Alors à contre cœur tu tues dans l'œuf les prémices de toutes les idées lubriques que te suggère sa présence de cet espace clos et intime. À la place, tu reviens à son visage, embrasses sa nuque, sa bouche, le goût salé sur ses lèvres peine à calmer l'envie.
— Tu m'intrigues. Quand je te case quelque part, tu prends un malin plaisir à démolir mes préjugés. Je ne sais pas quoi faire de toi... Ezra. Dis-moi, que dirais-tu de m'accompagner en ville un soir ?
T'agites ton téléphone face à lui. Comme pour le narguer, même si là, tout de suite, tu ne demandes qu'à l'honorer.
Les iris brillent dans l'obscurité d'une lueur éteinte. Tu les fermes à moitié, le regard pendu dans le vide alors que tu avales dans un bruit de déglutition les restes de sa grâce. Il n'y a rien à cet instant qui pourrait te consoler d'une culpabilisation croissante. Tu n'es pas rassasié et tu es allé beaucoup trop loin - pour quelqu'un qui était censé rester à distance. Tu as franchi les limites de l'indécence. Bravo à toi Ezra.
Tu l'observes s'abaisser, t'essuyer la lèvre du pouce. C'est humiliant mais tu ne dis rien. Ta colère et ta haine s'est évaporée au même titre que ton feu intérieur s'est refroidi. Oh bien sûr, ses doigts tentateurs qui glissent désormais sur ton torse ; qui descendent jusqu'au centre de la terre réveille ce brasier d'une concupiscence maligne. Electrisent tout ton corps de nouveau. Putain non seulement il sait comment te manipuler mais il a aussi les mots qui attisent. Tu ne bouges pas, pétrifié et encore saillant. La bosse dans ton pantalon trahit aussitôt ta volonté.
Il est en clair, tout ce que tu n'es pas. Pour ne pas t'en vouloir de le désirer plus que tout tu préfères lui rejeter la faute. Pourquoi est-ce que tu te remettrais en question alors que c'est lui qui te cherche, lui qui se jette dans ta gueule sans rien soupçonner ? Tu fermes tes yeux avec fermeté et transpires, serres les poings prêt à te laisser aller quand il parle de la balance entre recevoir et donner. C'est trop pour toi. Tu vas exploser si ça continue.
— « Mhm... »
Soulagé (mais surpris) quand il s'arrête. Frisonnes quand il fait choir ses lèvres sur ta peau encore suintante de phéromones. Ton souffle halitueux s'échappe dans l'obscurité et tu le laisses t'aveugler de la lumière du téléphone.
— « Quoi ? »
T'es dans la merde. T'es dans une merde NOIRE. L'accompagner un soir ça veut dire sortir ensemble ? Ça veut dire se draguer ? Bordel Ezra vu ce que tu viens de lui faire c'est un peu tard pour ça. T'as brulé toute les étapes et pas que ça. Merde. Merde. Merde !
— « Je ne sais pas si c'est une bonne idée Pierce... »
Et la revoilà, la distance gênante que tu installes de nouveau. Tu ne te sens plus capable de prononcer son prénom, c'était dans le feu de l'action. Tes yeux rageurs esquivent l'écran du portable pendant quelques secondes mais tu reviens toujours par les poser dessus. Oui évidemment que tu as envie de l'accompagner, tu as même envie de plus que ça. Tu veux qu'il le veuille aussi et c'est n'importe quoi. Lentement tu recules, le cul toujours vissé au sol, pour plaquer ton dos contre les étagères - plus situé vers le fond de la petite réserve. Tu le toises malgré toi d'un air capricieux.
Sa surprise te fait sourire. Oh, ce n'est pas sans regret que tu stop la danse. Si ce n'était que toi, si ça ne tenait que toi tu lui aurais rendu au centuple le moindre frisson de jouissance qu'il avait provoqué. Tu te serais saoulé de sa voix, tu l'aurais fait chanter des mélodies rauques et gémissantes, tu aurais repeint sa peau de suçon violacé, pour qu'il n'oublie pas, dans l'espoir que les voyants il veuille de nouveau t'appeler par ton prénom. Vous auriez cramé ce placard d'un feu sans pareil, t'aurais alors jamais vraiment accepté la fraîcheur de nouveau. Mais ça ne tient pas qu'à toi. Et s'il y a une chose que même la haine ne te fera pas faire, c'est d'allumer le feu de joie par la force. Non, tu veux qu'il donne de son plein grès, tu aimes l'idée qu'il veuille, tu aimes le fait qu'il désire, tu succombes à l'idée qu'il puisse avoir l'envie. Tu le trouves d'une beauté et d'un attrait sans pareille quand il veut, Ezra. Plus un simple bâtard, mais un enfoiré d’Apollon quand il se décide à vouloir, Ezra. Alors tu souris, quand t'agites le portable, carotte digne du connard que tu peut être (que tu es).
Je ne sais pas si c'est une bonne idée, qu'il dit. Le retour du Pierce. Tic sur la distance qu'il impose de nouveau, mais mieux vaut Pierce que connard ou enfoiré, tu supposes. Mieux vaut un Noah échappé quand il bande qu'un Liam. Tu t'en contenteras. Tu lui concèdes, même :
— Je te l'accorde, Strauss, c'est très certainement pas le plan le plus brillant de mon existence, mais bon.
Tu t'approches, t'assois pour lui faire face (t'as remis ce qu'il fallait dans ton pantalon entre temps), tes pieds qui touchent les siens. C'est vrai qu'elle est petite cette remise. Pose ton téléphone au centre de votre cercle improvisé, parce que t'aime l'idée de cette semi-obscurité, des ombres que ça projette sur lui, sur toi. Ça te rappelle les cabanes d'autrefois. Un autre temps. Une autre époque.
— Pour faire quoi ? Je sais pas. Ça fait quoi un rebelle dans la rue ? Fin, hormis cramer des poubelles, cracher par terre et taguer le symbole anarchiste en criant Ni Dieu Ni Maître ?
Irréaliste. Et c'est peut-être mieux comme ça que tu n'ai pas toute ta tête à ce moment-là, Noah. Sinon t'aurais pu percuter que tu tapes la discute à type qui vient de te sucer il y a à peine deux minutes, ce même type que tu viens d'inviter de sortir alors que 20 minutes avant tu lui écrasais le pied avec l'envie de lui encastrer le crâne et ses yeux de clebs insupportables dans la table. Ça ne fait aucun sens. Mais heureusement pour toi, t'es trop ailleurs pour le comprendre.
— Pour allez où ? Là aussi j'sais pas. Je te demanderai bien où est-ce que ça va un rebelle hormis dans des caves et des ruelles sombres mais... Je sais pas, j'aime bien la salle d’arcade, sinon y a un petit bar où tous les populaires ont leurs entrées. Le patron m'a à la bonne, je lui prépare des cocktails de temps en temps. Tu pourrais entrer en territoire ennemi, qui sait, Scarlett pourrait p't'être même te filer une médaille pour ça.
Tu détailles ses courbes, la forme de sa bouche que tu as embrassé sans vraiment la voir. La pomme d’Adam sur sa gorge. C'est un sale con, borderline, violent, bordélique, destructeur, injuste et lâche. Mais il est beau. Ça change un peu tout. Tu te persuades au fond de toi que c'est juste parce qu'il a une belle gueule et qu'il sait s'y prendre avec sa bouche que tu t'emmerdes à la convaincre.
— Puis si tu décides de m’assassiner entre temps, personne ira vous soupçonner. Avec un peu de chance on accusera peut-être Arsene et là du coup tu passeras du rang de recrues prometteuses à super héros. D'une pierre deux coups.
Il se rapproche, se rhabille comme si de rien n'était. Tu t'accommodes à la lumière du téléphone, les yeux toujours plissés et les lèvres pincées. Tu ne sais pas comment tu dois prendre les inepties qu'il balance à la seconde et si c'est une bonne idée de se vexer maintenant après tout ça (en as-tu seulement le droit ?) mais tu n'aimes pas du tout le ton sarcastique qu'il emploie pour rabaisser l'attitude des rebelles. Tu détestes les populaires, c'est un fait qui devient avéré.
— « Tu trouves ça drôle hein ? »
C'est plus fort que toi, t'arrive pas à fermer ta gueule - surtout quand il te laisse des occasions trop belles pour riposter. Ça te contrarie car si sa belle gueule tu en es déjà amoureux, son caractère impitoyable et pédant t'exècre au plus au point. Tu regrettes déjà amèrement avoir craqué.
— « Pourquoi est-ce que tu crois que je fais ça ? Haha... Je sais même pas pourquoi je me fatigue. Vous comprenez rien à rien. Vous êtes dans votre petit monde enrobé de sucre où tout va bien, où on vous mange dans la main sans vous remettre en question. »
Tu es agacé, bordel ce que t'es agacé.
— « Non je ne tag pas les murs, non je ne joue pas au rebelle idiot juste pour me donner un genre. »
Et merde, t'as les larmes aux yeux.
— « J'ai des parents qui m'aiment de l'autre côté de la mer. Ils se sont battus pour me garder à leurs cotés malgré ma condition. Je veux les retrouver. J'ai jamais demandé à être un déchet de la société comme ils aiment nous traiter. »
Tu croises les bras sur ton torse. Toi aussi tu peux être impitoyable. Tu sais pas d'ou provient ce courage mystérieux et inattendu mais tu comptes bien lui faire comprendre que t'es pas là pour juste suivre le statut quo. Et même si ça fait du bien... t'as automatiquement le poids de la culpabilité qui te retombe dessus. T'as l'impression que tu peux rien lui dire (à lui en particulier). Toi aussi tu lui as pris quelque chose. Quelque chose qui ne se retrouvera jamais.
— « Si c'est trop dur pour toi à comprendre et que tu préfères rester dans ton mépris de classe gerbant alors ... »
Alors quoi. Allez, dis-le Ezra.
— « Autrement. Si t'es capable de ravaler ta langue de pute le temps d'une soirée alors oui je veux bien sortir avec toi à ton bar. »
Tu ne retiens pas un rire étranglé. Sueur qui coule le long de ta joue.
Tu l'avoues, tu n'avais pas anticipé ça. Tu n'avais pas venu venir le déferlement rageur et vexé d'Ezra. Tu peines à comprendre, tu pensais l'humour assez clair et transparent. Tu ne comprends même pas pourquoi il y met autant d'énergie et de passion. Toi, tu n'étais jamais offusqué d'entendre que ta seule qualité c'était de savoir sucer les bonnes personnes et bien maîtriser photoshop. Alors t'es surpris, Noah, déstabilisé même un peu. Appel au calme les mains devant toi, pour une fois le regard est vraiment sincère quand tu louches sans trop comprendre comment on en était arrivé là. Puis tu te souviens que parmi toutes les réflexions que pouvait faire Arsene, y avait celle qui disait que les rebelles étaient des gros coincés.
— Oulah, calme calme monsieur le militant c'était une blague.
Tu retiens toutes les réflexions nazes qui te viennent, visiblement ça n'apaisera pas son humeur de dire qu'il était impossible qu'ils dessinent des signes anarchistes parce qu'ils ne savaient même pas dessiner. Puis, revenant a des pensées plus sérieuses, tu comprends que dans son discours, y a une forme de frustration, de révolte, d'injustice. L'île est pour lui une prison, un environnement hostile auquel il a été intégré de force. J'ai des parents qui m'aiment de l'autre côté de la mer a-t-il dit. Des parents auxquels on l'a arraché, des repères aussi. Toi, t'as survécu parce qu'il y avait Liam. Mais lui ? Et dans le fond, vous êtes tous un peu logés à la même adresse. Tous le même trauma, mais des façons différentes d'y réagir. Alors tu soupires, tu pourrais peut-être te demander pourquoi tu te casse le cul à vouloir te justifier, dialoguer. Tu te poses pas la question, c'est peut-être mieux comme ça. Tu passes une main sur ta nuque, cherches tes mots quelques secondes. J'ai des parents qui m'aiment de l'autre côté de la mer a-t-il dit. Oui, toi aussi.
— Ok, ok. C'était peut-être maladroit. Arf... Tu sais comment on est arrivés ici, Liam et moi ?
Tu ne sais pas si tu l'as beaucoup raconté, cette histoire. M'enfin, c'est peut-être à ça qu'elles servent, les histoires, à être raconté. Soupir encore, le cœur se serre un peu. Toujours pareille quand tu l'évoques lui, ce temps du passé où il existait. La même nostalgie, le même regret.
— On avait six ans, on s'était amusé à coller du papier toilette sur le plafond des chiottes de notre école. Évidemment on s'est fait prendre, évidemment les parents ont été convoqués. C'était pas loin des vacances, on savait qu'on allait écoper d'une punition. On ne voulait pas passer nos journées à copier des lignes à la maison quand on aurait pu jouer dehors, alors on a embrouillé la maîtresse pour qu'elle pense que ce n'était pas nous. Nos parents ont capté, un mois plus tard on était sur le bateau. On avait six ans et on nous a coupé de nos parents pour du papier à chiotte.
C'était injuste pour tout le monde. C'était une blessure qu'on partageait tous. Oh, pour certain ça a été aussi une libération mais pour la plupart juste de la cruauté. Alors tu comprends. Tu voudrais qu'il le comprenne aussi, que tu comprends.
— Être populaire ça veut pas dire qu'on adhère à l'île ou qu'on adhère à ce comment on nous traite. Tu serais surpris de nombre d'entre nous qui ont la rage contre le système. Certains y trouvent leur compte bien sûr, mais pour la plupart ça a juste fait de nous des orphelins revanchards. On lutte aussi, pas comme toi, pas comme vous, ok. Mais on lutte à notre façon quand même.
Tu soupires, secoues la tête, putain le changement d'ambiance est sans transition avec lui, t'es pas habitué à jongler de façon si brutale et t'es pas bien sûr que ça ai été une bonne idée de confier de l'intime comme ça. Tu secoues la tête, le sérieux, ça t’oppresse toujours un peu.
— Mais j'imagine qu'on n'a pas tous le même recul et que le sujet est quand même vachement sensible. Je voulais pas te vexer, désolé.
Désolé. Tu ne sais pas si ça te brûle la gorge ou si ça te fait peur d'arriver à lui dire "désolé". Il y a 20 minutes tu lui écrasais le pied. Il y a 10 minutes t'étais prêt à lui faire l'amour contre un mur et maintenant tu t'excuses. Putain. Il est... Déroutant.
— Bien je ravalerai mon humour et ma langue de pute, mais tu devrais apprendre le second degré, vraiment. Si t'en es capable, promis, tu vas passer une bonne soirée.
Tu te cases un peu mieux contre le mur.
— Je te savais pas si passionné, comme quoi tu sais t'imposer finalement. Intéressant.
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Dim 8 Aoû - 0:25
Certains jours, tu regrettais sincèrement d'avoir rejoint le club des good guy. D'une part, parce que le nom était discutable, d'autre part parce que tu te demandais bien à quel point la vie de tes camarades étaient vides de sens pour aller s’intéresser à celle des autres. Enfin, bon, tu y voyais certains avantages aussi. La tranquillité d'une part, l'image de l'autre. Liam aurait sûrement adoré ce genre initiative, il aurait été du genre à s'investir plus que de raison. Toi, si tu n'as pas envie de dire que la cause n'est pas louable, tu penses qu'elle n'est pas aussi rose que ce qu'on ne le pense.
La fête sur la plage s'était terminée par une nuit amère. Les vocaux de Noah n'avaient rien changé - avaient peut-être empiré ton état d'esprit. Ce fiasco était la preuve concrète et solide que tout ces échanges n'avaient été qu'une suite de mauvaises idées - et qu'il fallait mieux à l'avenir rompre tout contact, cesser cette relation morte née et sans intérêt. Noah Pierce n'a de Liam Pierce que des réminiscences hantées, n'existe que pour te rappeler que son éternel portrait est à jamais greffé sur son visage. 