De tortionnaire à explorateur

Tout avait commencé parce qu’il y avait un contrôle de math’ dans deux jours.

Ce n’était pas une surprise, tous les étudiants de la classe - ou du moins, tous ceux qui écoutaient actuellement en cours - étaient au courant de la chose depuis presque une semaine déjà. Et lors de l’annonce, Feng avait fait comme toujours; il l’avait inscrit dans son agenda avec l’un de ses stylos colorés, surlignant le tout deux fois avant d’ajouter plusieurs alarmes dans son téléphone portable afin de s’assurer de ne pas oublier de planifier quelques heures pour réviser durant les jours qui allaient mener au test en question.

Et avec chaque moment qui passait, il pouvait sentir la pression montante dans un coin de son esprit lui rappelant qu’il ferait mieux de s’assurer d’avoir suffisamment étudié afin d’éviter de se planter.

C’était sans doute pour cela que, près d’un quart d’heure après qu’il se soit brossé les dents, ait enfilé son pyjama, ait éteint la lumière et soit allé au lit, il était encore parfaitement éveillé. Dans sa tête, une armada de pensées intrusives lui soufflant à l’oreille qu’il n’était probablement pas prêt pour ledit contrôle malgré les nombreuses heures de révision qu’il s’était déjà tapées plus tôt dans la semaine.

Lentement, les minutes s’écoulaient une à une alors qu’il se retournait encore et encore dans son lit. Et finalement, il finit par se dire que, quitte à ne pas dormir, autant bien profiter du temps de sommeil perdu pour faire quelque chose de productif. Juste au cas où. Bien vite, c’est la tête sous sa couette que Feng se retrouva, s'usant les yeux à relire ses notes à la lueur de son téléphone portable afin de ne pas réveiller Drystan qui dormait dans son propre lit quelques mètres plus loin.

Quoique, plus il y pensait entre les nombres et les formules, et plus il se demandait si, peut-être, il devrait le réveiller afin que lui aussi puisse participer à cette session de révision nocturne impromptue. Après tout, Feng s’était juré à lui-même de faire tout ce qu’il pouvait afin de s’assurer que son ami allait réussir à passer toutes ses classes.

-Hey, tu dors? fit-il à mi-voix après avoir lâché son téléphone et repoussé sa couverture.

Aucune réponse ne lui parvint de la sombre silhouette informe étendue dans le lit à l’autre bout de la pièce.

-Drys? lui envoya-t-il après quelques secondes, sa voix résonnant un peu plus fortement dans la chambre autrement silencieuse.

Toujours rien.

Laissant échapper un soupir, Feng débattit mentalement durant un court instant avant de se décider à se lever, se passant une main dans les cheveux en une vaine tentative de les replacer. Puis, s’approchant silencieusement de la silhouette endormie de son colocataire, il secoua doucement celle-ci par l’épaule en un essai qui se termina en un autre échec total. Semblait-il qu’il allait devoir s’y prendre autrement s’il ne voulait pas encore y être aux petites heures du matin.

Comme on dit, aux grands maux, les grands moyens, et c’est les grands moyens qu’il choisit.

Une dizaine de minutes plus tard, et il avait enfin réussi à le traîner du mieux qu’il le pouvait de son matelas à sa chaise de bureau, à l’attacher avec le premier truc sur lequel il arriva à mettre la main, ainsi qu’à rassembler et organiser toutes ses notes et ses stylos. Il fallait dire qu’il n’y avait qu’un seul sportif dans cette pièce, et il ne s’agissait définitivement pas de Feng.

Reluctant de quelques pas afin d'admirer son travail, Feng se saisit de sa caméra, s’empressant de prendre une photo de la scène pour la postérité, le flash brillant de l’appareil perçant brièvement l'obscurité de la pièce. Il ne restait maintenant plus qu’une seule chose à faire.

À savoir, arriver à le réveiller.

Allumant la lampe sur le bureau en un léger mouvement de la main, il tourna la chaise afin que son occupant se retrouve face à la lumière.

-Le théorème de pythagore, dis-moi, lui fit-il à l’oreille, tu le résous comment?

La scène que fit son colocataire lorsqu’il se réveilla enfin lui fit presque regretter de ne pas avoir été en train de filmer le tout sur son téléphone. Un sentiment qui ne fit que grandir lorsque Drystan, en une maladroite tentative de fuite, finit par faire basculer sa chaise en un fracas qu’il espérait que leurs voisins de dortoir n’avaient pas entendu.

Roulant des yeux face aux complaintes de son ami, Feng le détailla rapidement de la tête aux pieds afin de s’assurer qu’il était toujours en une seule pièce - pas de commotion cérébrale détectée, malgré ce que l’autre pouvait bien être en train de dire -, le regardant s’époumoner sur le sol avec un amusement presque palpable. Tout sentiment de culpabilité qu’il aurait bien pu avoir après l’avoir réveillé sous une telle position avait disparu telle de la neige au soleil devant la réponse que Drystan lui avait donné concernant sa question de mathématiques. 3,14 pour le théorème de Pythagore?

C’était définitif, l’autre garçon allait définitivement devoir se tapper une longue session de révision s’il voulait arriver à obtenir la note de passage du test à venir.

-On est supposé te rendre plus intelligent, pas de te faire perdre encore plus de neurones, alors essaie de garder ta tête en un seul morceau, lui dit-il en penchant la tête vers la silhouette au sol, les mains sur les hanches. Et t’en fais pas, je te donne la permission de me hanter autant que tu veux, peut-être que si ton âme traîne à mes côtés elle va apprendre quelque chose via osmose.

Puis, se saisissant du dossier de la chaise, Feng souleva celle-ci afin de remettre son ami dans une position un peu plus confortable. Ou plutôt, il essaya de la soulever. Parce que si Drystan avait été particulièrement difficile à bouger un peu plus tôt - chose peu surprenante considérant qu’il faisait presque une demi-tête de plus que lui -, il l’était d’autant plus lorsqu’il avait une chaise à soulever en prime.

Envoyant un regard emplis de jugement en sa direction - mais qu’est-ce qu’il pouvait bien manger, vraiment, pour être si lourd -, Feng s’y repris à deux fois avant d’abandonner, vaincu. Se laissant tomber en tailleur sur le sol à la suite de son ami, il appuya un de ses coudes sur son genou, son menton reposant contre la paume de sa main.

-Il semblerait que nous ayons deux options. Soit on fait ça alors que t’es étendu sur le plancher comme une tortue renversée, ou alors je te détache si tu promets de rester assis et d'étudier jusqu’à ce que je dise que t’as fini. Et ne mens pas, ajouta-t-il avec un haussement de sourcil amusé, pointant un stylo particulièrement pointu dans sa direction en une tentative de menace pas des plus réussies. Je vais le savoir.

Puis, après avoir attendu quelques secondes afin de laisser le silence grandir entre eux deux en une fausse impression de suspense, il ajouta;

-Alors, qu’est-ce que ça va être? La carotte, ou le bâton?

Un observateur externe aurait sans doute trouvé qu’il en faisait un peu trop, mais Feng savait qu’il allait se sentir horrible durant des jours si son ami ne réussissait pas juste parce qu’il ne l’avait pas suffisamment aidé à se préparer.