T'avais prévenu Sylvestre malgré toi après avoir pesé le pour et le contre pendant des jours. Rien a faire tu pouvais décemment pas lui cacher quelque chose d'aussi gros et d'aussi important. Tu n'étais pas rentré dans les détails de votre intimité au placard car tu avais trop honte pour te confier. Mais tout de même, elle savait de quoi il en retournerait pour ce soir. Tu ne voulais pas paraître ni coincé ni ouvert. Pas trop précieux mais pas degueulasse. Décontracté mais pas synonyme de désintérêt. Trop compliqué de choisir une tenue t'avais opté pour un polo à manches courtes bleu électrique et un pantalon blanc. Les cheveux rapidement coiffés vers l'arrière et le porte feuille dans la poche.
Tu préviens Sylvestre que t'es sur le chemin et la musique dans les oreilles tu descends en ville. Cherches la borne d'arcade sur le plan de ton téléphone (tu vas pas souvent dans le centre de l'île) et te perds dans les ruelles agitées. Le samedi soir c'est toujours très animé.
Une fois devant le dit lieu du rendez vous tu regardes ta montre et observes que t'as cinq minutes d'avances. Tu attends mains dans les poches, sans trop prêter attention à ce et ceux qui t'entourent. Un groupe de filles chuchotent non loin de toi et si tu t'imagines dans un premier temps que c'est pour toi tu te rends vite compte qu'elles ne t'ont pas spécialement remarqué. Elles n'ont d'yeux que pour le garçon qui descend la rue principale. Putain c'est lui.
Évidemment il vient vers toi et tu te sens bete car tu n'entends que les gloussements des pimbêches. Tu rends ta voix plus grave.
— « Pierce. »
La vérité tu ne sais pas quoi dire. Tu es presque intimidé alors que d'habitude tu oscilles entre rage et mépris. Est ce que c'est le contexte ? Est ce que ce sont les souvenirs de vous deux enfermés dans un placard et de ton obscénité ?
— « Hm. Tu es.. »
très beau.
— « Tu avais prévu quelque chose ou c'est de l'impro totale ? »
C'est mains dans les poches, le casque vissé sur les oreilles et sans rien dire à personne que tu es parti, Noah. Comme un voleur, en somme. Tu aurais pu partager, après tout, les gens ont plutôt l'habitude de se venter de leurs sorties. Mais se venter avec qui, de quoi ? C'était un peu amer que tu avais passé la porte de ta chambre, ton téléphone à la main. Bêtement t'avais commencé à envoyer un sms à Lucrecia, avant de te rendre compte qu'elle était probablement la dernière personne au monde, Lu, à vouloir lire que tu allais sortir, surtout avec lui.
T'étais peut-être en train de faire une belle connerie. Comme-ci la plage et le placard n'avaient pas été des indices suffisants. Devant ta glace, la même pensée était revenue en boucle. Tu devrais peut-être annuler, Noah. Tu devrais vraiment annuler, Noah. La vérité c'est qu'elle tournait encore quand t'as passé tes basket et qu'elle tourne encore maintenant que tu passes la porte tu campus. Ezra, tu vas sortir avec Ezra. Le mot rancard n'avait pas été posé mais est-ce qu'on peut vraiment appeler un rendez-vous pris avec le mec qui vous a sucé juste avant autrement ? Et s'il n'y avait eu que ça... Mais il y avait eu les baisers, sa peau, l'envie, tous le reste aussi. Et d'une certaine façon, l'idée de vous voir pour autre chose que vous taper dessus ou vous plaquer contre des murs t'effraie plus que tu ne l'avais imaginé. Est-ce que t'étais seulement prêt pour ce genre de plan ? Est-ce que t'en avais seulement le droit ? Ambivalence, tant dans tes intentions que tes sentiments.
Évidemment, c'était noir de monde. À mesure que le brouhaha de la vie t'entoure, tu baisses le son de la musique, finit même par retirer ton casque. C'est ça, l’anarchie, le bruit de la vie, grouillante, sans sens, explosive. Ça te rassure, Noah, d'être ce point dans la foule, d'être tellement saoulé de bruit que tu ne t’entends plus toi. Ambivalence et peur, oui, pourtant c'est bien toi qui as pris le temps de passer le pantalon le plus seyant de ton arsenal et le t-shirt le plus près du corps de ta garde-robe. C'est ce même toi qui as mis du parfum, pris le temps de passer collier et accessoires pour compléter le style. Dans le fond, tu te fous de ta propre gueule en plus de celle des autres. Hypocrite même envers toi-même, parce que faut bien être une merde jusqu'au bout visiblement.
Tu t'enfonces dans les rues, tu te sais à ton avantage, la ville, c'est ton environnement, ton terrain de jeu. Tu sens les regards, si autrefois tu t'en sentais oppressé, t'as pris l'habitude de faire semblant de ne pas les voir. Liam faisait pareil, ou peut-être n'avait-il vraiment conscience de rien. Le fait est que moins on leur prête d'attention, plus les gens bavent. Tu dois t'avouer un peu stresser quand tu arrives au niveau de la salle d’arcade, tu te demandes s'il ne va pas te poser un lapin, Ezra, espère presque que ce sera le cas pour te faciliter la tâche. Mais en balayant la foule du regard tu le vois. Il est là. Propre sur lui, évidemment, parce que quitte à te torturer, autant te montrer qu'il avait mis les moyens pour ce soir, lui aussi.
Il est beau. Fait chier.
À mesure que tu approches, t'observe sa tenue, détail la courbe que lui donne ce polo que tu trouves tout à fait sexy, le blanc du pantalon qui lui donne un air tout de suite plus étudié, moins hasardeux et haineux. Tu te dis qu'il aurait sa place chez les populaires s'il le voulait. Mais t'iras pas lui dire, tu sais que ce serait une insulte pour lui.
— Ezra.
Tu casses la distance tout de suite, passe ton regard de bas en haut pour qu'il voit que tu le détailles, que tu l'observes, sans trop savoir ce que tu veux que ça provoque chez lui.
— Tu es venu. Pour être franc, j'étais persuadé que tu me poserais un lapin.
Tu es... Il n'ose pas finir sa propre phrase. Passe une main dans ta nuque, lâche pour lui.
— Ça te va bien.
Tu guettes sur son visage, le moindre signe de trahison, la moindre rougeur, la moindre tension dans ses lèvres. T'as envie de voir que tes mots ont de l'importance, que ça le touche, qu'il en est content. Sans trop savoir ce que ça veut dire de toi, quand tu jubilais de le voir à la place du petit chien mais que tu craquais tout autant quand il prenait la place du grand méchant.
T'es totalement creep mon vieux.
Mais c'est une nouvelle qui ne te surprend qu'à moitié.
Tu balances ton regard vers là rue, désigne du doigt une petite ruelle sur votre droite.
— T'apprendra que tout ce que fais un populaire relève de l'improvisation la plupart du temps. Le bar est pas loin, je sais pas si tu veux directement y aller ou pas. On n'y sera au calme en tout cas, à cette heure-ci y a personne, je me suis dit que tu serais plus à l'aise si tu t'appropriais le lieu avant que ça se remplisse.
Demi-vérité, tu voulais le mettre à l'aise c'est vrai, mais quitte à te prendre une unième humiliation autant le faire avec le moins de charognards autour. Parce que la vérité c'est que tu ne sais pas à quoi t'attendre. La vérité c'est qu'entre l'embrasser ou le mordre, ton cœur balance.
Lui il a l'audace et le courage de t'appeler directement par ton prénom. Tu prends ça comme un affront, relèves le menton pour assoir une certaine confiance en toi (totalement inexistante en réalité). Quand il te confie qu'il avait peur d'un lapin tu hausses les épaules d'un air désabusé, semblant vouloir dire ouai, j'ai hésité c'est pour ça. Tu ne résistes cependant pas longtemps au compliment, ça flatte ton égo et chauffes tes joues qui prennent une légère teinte rosée. Tu détournes le regard en faisant la moue. Putain c'est qu'il te fait autant voir plus d'effet que Liam à présent.
— « Merci. »
La gorge nouée c'est tout ce que tu es capable de répondre. Tu suis des yeux le mouvement de son doigt et arques un sourcil quand il parle de s'approprier le lieu. De quoi ? Il t'a pris pour un môme ou ça se passe comment ? Tu ne réagis pas trop, étires un léger sourire gêné et fais signe d'être prêt à le suivre. Pas très bavard Ezra, c'est plus compliqué quand il s'agit de balancer autre chose que des insultes ou du sarcasme.
Tu prends donc sa suite quand il te conduit au bar, mains dans les poches de ton pantalon. Tu sens qu'il attire le regard et t'en est presque jaloux. Tu ne veux pas qu'on te regarde toi mais tu supportes difficilement l'idée qu'il puisse appartenir à d'autres - même dans leur imagination la plus biaisée. A mesure que tu marches à côté de lui tu repenses à votre dernier échange. A ta langue insolente, à ses doigts irrévérencieux. Ça te tend bordel.
— « Tes fangirls vont nous suivre encore longtemps ? »
Tu te mords la lèvre. Tu pues la jalousie c'est terrible. Mais soit, il rentre dans le bar et toi aussi. Tu es mineur encore, donc l'alcool ne sera pas possible à la consommation. Quand le barman vous installe tu lèves la main et réclames simplement une eau gazeuse. En face de lui tu poses un coude sur la table, l'air déjà ennuyé et évidemment dédaigneux. T'as plus les yeux du chiot mais celui du chien enragé.
Bon. T'avais connu des débuts de rancard plus... Actifs. Tu hésites à faire un trait d'humour, te demandes si ça n'irait pas crisper son visage davantage. Te demande, un peu fasciné, aussi, si à force de se crisper il n'avait pas une paralysie du visage. Un peu comme le grumpy cat. Tien, maintenant que t'y penses, il te fait penser à un grumpy cat. Tu retiens ton téléphone, Noah.
— Bon... Allons y ?
C'était donc le fameux poids des silences ? Tu ne l'avais jamais connu, tes anciennes et anciens partenaires soit trop entreprenant pour se taire, soit trop stressés pour la boucher. La vérité, c'est que juste avec le sourire, tu faisais la conversation. Et puis, tout le monde étaient si content, de se promener avec le solaire Noah, le frère jumeau de Liam, son portait cracher. Mais ça ne prendra pas avec lui, non ? Ni les grands sourires, ni les rires innocents. Tu dois l'avouer, la guerre n'a pas commencé que t'es déjà à court d'arme, Noah. Tu te demandes vraiment si tu n'aurais pas dû annuler. C'est sa réflexion qui te sort de tes pensées.
— Hm ? Quoi ?
Jette un coup d’œil derrière toi. Ah. Oui. Les regards. Pas simple quand on n'y est pas habitué, mais t'as repéré un petit groupe à bonne distance, le genre insupportable qui ne fonctionne qu'en bande et dont l'intelligence se résume à fixer et murmurer en gloussant tout en se croyant discrète. T'aurais pu hausser les épaules, comme tu le faisais à chaque fois. Mais la tension dans la mâchoire d'Erza te pousse à jouer ton premier coup de la soirée.
— T'es jaloux ?
T'esquisses un sourire alors que tu te rapproches de lui, il a les mains dans les poches, il a l'air aussi tendu qu'un geek dans une soirée. Adorable, tu penses alors que fais de ton mieux pour masquer le rictus moqueur sans pour autant te retenir de le titiller un peu.
— Tu veux que je te tienne la main, peut-être ?
Il irait peut-être te coller une droite pour ça mais l'idée te fait rire. Ah, même s'il n'en est que moins bavard, tu aimes le voir comme ça aussi. Sous pression, sous tension, à deux doigts d'exploser. Il fait tellement d'effort et à la fois pas du tout. Adorable, tu penses encore. Et tu ne sais pas quel genre de détraquer ça fait de toi, Noah.
Tu passes la porte du bar, salut le gérant d'un geste de la main. Tu l'emmènes à ta table, celle du roi, le siège du pouvoir, t'aimes dire, même si quand Arsene est là c'est bien évidemment lui qui préside. Tu t'affales sur la banquette, la plus confortable du lieu, comme-ci Arsene pourrait poser son derrière autre part qu'à l'endroit le plus confortable. Le patron arrive, prend vos commandes, tu hausses un sourcil. Une eau gazeuse, vraiment ? Ah, l'enfant colère est sage. Non. Non, on ne se détend pas avec des bulles dans un verre d'eau.
— Tu rajouteras un Bubble Freeze sans alcool et un Roi de cœur sans alcool aussi. Je veux lui faire goûter ! Un sourire entendu entre le patron et toi et tu reviens vers Ezra. C'est mes cocktails, les gens viennent pas mal pour ça. Le premier c'était un accident heureux, le second c'est celui que j'ai fait pour Arsene.
Tu t'installes un peu mieux, croise les jambes, renverse la tête contre le dossier de la banquette.
— Je sais pas si c'est une vraie question ou une menace vu ta tronche mais ouais. C'est peut-être même l'un des seuls lieux un peu reconnu que je fréquentai avant de devenir populaire. J'accompagnais Liam avant, il se sentait obligé de venir aux fêtes mais il a jamais vraiment aimé ça. Alors je venais, vers 21h je le faisais sortir discrètement et je prenais sa place. On a fait ça quelques fois, personne n'a jamais grillé, c'était marrant.
Tu ne sais pas pourquoi tu te sens obligé de lui parler de lui, à chaque fois. Liam, tu le gardes au fond de ton cœur, de ta gorge, à mi-chemin entre l'acide et la douceur. Mais avec lui, tu te sens toujours prêt à dériver, parler, évoquer son souvenir. Peut-être parce que c'est peut-être bien le seul qui peut comprendre aussi. Liam... Il l'avait aimé, non ? Tu crois que ça te rend jaloux, mais tu crois ça t’apaise aussi un peu de savoir qu'il y en avait au moins un qui l'aimait vraiment. Tu soupires, te redresses sur ton siège, un peu félin. Le sourire nostalgique quitte tes lèvres pour redevenir celui un peu provocant que tu ne peux t'empêcher d'avoir quand il est dans les parages.
— Dis, tu comptes imiter l'emoji colère encore longtemps ? Je commence à m’inquiéter pour toi, tu sais ?
T'es jaloux ? Ce genre de question a trop d'effet sur toi putain. T'es cramé en deux secondes alors que tu t'empourpres et fronces les sourcils. Quand t'es mal à l'aise tu cherches toujours à te justifier. Et c'est que tu fais en levant les mains et en répétant que non non non non t'es pas jaloux. Plutôt crever que de t'abaisser à leur ressembler. Et pourquoi tu le serais déjà ? Vu qu'il a repéré les groupies tu t'autorises à les regarder aussi et à les juger si fort. Ce qui est plutôt bête parce que t'étais pareil. Pas aussi bête mais aussi insistant - surtout quand tu passais parfois des heures à l'admirer de loin. Oui, Liam Pierce était vraiment un garçon à part.
Tu es tiré de tes pensées vagabondes quand il se la joue moqueur encore une fois. Te proposes de te tenir la main. Tu te vexes (mais pas assez pour faire (encore plus) la gueule) et détournes la tête en rageant. Intimidé par son charisme naturel, dressé par sa langue de pute comme t'aime l'appeler. Celle qu'il avait juré de ranger et qui pourtant te séduit plus que ce qu'il ne faudrait.
— « Arrête de te foutre de moi. »
Il commande des cocktails sans alcool sans te demander mais ça ne te déplait pas. Tu l'écoutes expliquer et hausses les sourcils. Te permets de le couper pour glisser d'une voix posée.
— « En fait je ne sais pas grand chose de toi, je m'en rends compte. »
Quand tu savais tout de son frère jumeau. ça t'attriste d'une certaine manière car m^me s'ils ont la même tête tu n'as jamais considéré qu'ils puissent être la même personne. Noah arborait une personnalité effacée et insipide quand Liam attirait les foules et rayonnait de sa bienveillance et de son leadership naturel. Pour le coup de l'échange tu te demandes si tu l'aurais grillé. Tu ne venais jamais aux fêtes et encore moins à celles dans les bars. Peut-être que tu aurais pu... qui sait.
— « ... Quoi ? »
Tu essaies de te détendre et soupires en seule réponse valable à sa question. Inspires pour prendre la parole puis jettes un coup d'oeil vers le barman. Il n'a pas beaucoup de clients alors il ne va pas mettre longtemps à vous servir (vous interrompre). Tu sens ton coeur battre à tout rompre et subtilement tu te rapproches de lui en toussant. Déboutonnes le col de ton polo et te forces à étirer une légère risette timide. Il n'aura pas plus.
— « Je ne pensais pas que dans ce contexte tu m'intimiderais autant. Je n'ai pas encore décidé de si j'avais envie de t'embrasser ou de te casser la gueule parce que t'es insupportable. »
Au moins c'est clair. Enfin non, pas trop du coup. Le barman arrive finalement comme tu l'avais prévu, plutôt rapidement et dépose les deux verres devant vous sur des petits dessous de verre à l'effigie du logo de l'établissement. Tu demandes du doigt lequel est pour toi et selon la réponse tu te saisis de la coupe désignée et la portes à tes lèvres.
— « C'est pas mal du tout... »
Tu fermes les yeux et ta main libre effleure par mégarde la sienne sur les canapés. Tu t'empresses de l'enlever, comme si elle avait été en contact avec un pestiféré.
— « En tout cas tu avais de l'air de l'aimer beaucoup, ton frère. »
Mais ta gueule Ezra, arrête de le ramener sur le tapis ! A ce stade c'est de la torture que tu veux t'infliger.
Tu te dis, que peut-être t'ira vraiment lui tenir la main. Juste pour le voir rougir. Juste pour le voir tirailler entre l'envie de te foutre une baigne et la caresse que c'est pour l’ego de narguer ouvertement la population du poulailler. Tu gardes l'idée dans un coin de te crâne, jubiles d'avance face aux arborescences de toutes ses expressions.
Dans ce bar, t'es passé par toutes les émotions. L'euphorie de la fête, la joie innocente et idiote, la colère aussi parfois. Mais tu ne te souviens pas avoir un jour été tendu. Tu te demandes, s'il n'ira pas s'enfuir bientôt et s'il s'enfuit, ce que ça dira de vous, ce que ça sera ensuite. Tu te dis que si sa colère et sa passion sont délicieuse, son ignorance, elle, doit être beaucoup plus amer. Alors quand il glisse qu'il ne sait pas grand-chose de toi tu te soulages. Considère cette simple phrase comme un premier pas encourageant vers autre chose qu'une franche et belle catastrophe. Tu pianotes sur le bois de la table, glisse comme pour lui rendre la pareille, parce que tu as envie (besoin) de percer le moindre de ses secrets.
— Ça tombe bien, je ne sais rien de toi non plus.
Invitation, quand tu étires le sourire enjôleur. Ezra à cette force particulière, cette résistance exquise. Il veut tomber mais il ne le fera jamais sans lutter. C'est une guerre constante, pas juste pour faire joli, pas comme avec tous les autres. C'est peut-être parce que c'est dans son essence même, la guerre. Ah. Quel taré tu es pour autant bander face au combat ?
Et c'est plus fort que toi, Noah, tu le titilles encore, le bouscule un peu. Sur ton portable t'as brandi l'image en grand de l'emoji colère, juste pour lui montrer la ressemblance. Tu penses qu'il va se vexer, te demander encore de ranger ta langue de pute, comme il aime à dire. Te demander d'arrêter de te foutre de lui. Mais voilà qu'il s'avance, Ezra, et que tu te retrouves bien con à te voir tromper dans tes propres pronostiques. Déboutonne un peu son polo et c'est un geste qui a écho assez significatif pour que tu ne t'en inquiètes pas. Et ce qu'il dit, brute, puissant, tous les contraires de toi et tes sifflements. Tu te retrouves comme un con, Noah. L'espace d'une seconde, sans rien avoir à dire, sans sourire sarcastique, sans visage d'imbécile heureux à offrir. Bêtement ton regard est descendu sur ses lèvres et t'as pensé, embrasse-moi, et c'est dangereux, Noah. T'as pas eu le temps d'ouvrir la bouche que le patron (ce héro qui s'ignore) rapporte l'eau gazeuse et vos deux cocktails. Le regard que tu lui lances est à cheval entre une profonde reconnaissance et un reproche muet quant à un mauvais timing. Tu lui glisses le Bubble Freeze, tu t'es raccroché à ton verre. Tu ne sais pas si tu aimes le fait qu'il se détende, au final, Ezra. L'impression qu'il pourrait renverser la vapeur, se faire plus tigre que chaton contrarié. Sa main contre la tienne un frisson pour lequel tu te maudis un peu. Et pourtant, gros con, Noah, tu le pousses à sortir les griffes.
— C'est vrai ? Attends t'en a sur la bouche.
Essuie du pouce la goutte bleutée à la commissure de ses lèvres. T'aurais pu t'attarder, préfère vous rendre fou en lui tendant l'autre cocktail.
— Goûte celui-là.
Dieu. Qu'est-ce que tu fais ? Quand il parle de Liam tu ne sais pas si tu le détestes ou si tu l'adores. Casser l'ambiance ? Comment il ose ? Casser l'ambiance, putain quel gars bien. Tu prends une gorgée de Bubble Freeze en regard le bois de la table. Tu te demandes, toi qui ne t'ai jamais autorisé à draguer qui que ce soit devant lui, à aborder ce sujet de peur de le perdre, de peur que la moindre personne entre vous vous éloignerai, tu te demandes, est-ce qu'il serait heureux de voir ce qu'il voit, cet imbécile de Liam ?
— Hm, on a toujours été ensembles. D'une certaine façon, on a jamais eu peur de rien, lui et moi, parce qu'on n'avait jamais le risque de se retrouver seuls. C'était mon petit frère, même si des fois je me dis qu'il était beaucoup plus mature et grand que je ne le serai jamais.
Tu te racles la gorge, ton regard dérive sur la main. Tu ne devrais pas rentrer dans le vif mais tu lâches, comme hors contrôle.
— Tu sais, je ne suis pas décidé non plus de si je veux t'embrasser ou t'exploser.
C'est que jusque-là, t'as plutôt bien aimer les deux au final.
Tu te demandes évidemment si ça ne vaut pas mieux qu'il ignore tout de toi - car serait-il toujours attiré s'il apprenait la terrible vérité qui s'est construite au fil des années ? Le TEI, le meurtre, la tentative de suicide, tout ces cachets qu'on te force à prendre. La culpabilité qui s'est muée en anxiété, la haine qui s'est amplifiée en rage sourde. Tu avais cessé de vouloir vivre, fatigué, jusqu'à cette petite impulsion qu'il a fait naitre. Noah avait rendu la pénibilité d'un simple souffle en brasier incapable d'arrêter de se consumer.
— « Et c'est tant mieux. Tu serais déçu. »
Que tu lâches comme une bombe. Tu te détestes de donner l'impression d'être mystérieux. Tu l'es pas pour le séduire et encore moins pour un quelconque style. Vous vous rapprochez significativement et tu déglutis, t'as l'air d'une pucelle en chaleur (et c'est peut-être le cas) quand il te dévisage. Fou de lui, lui fou de toi. Il y a une alchimie ça serait être un menteur avéré que de le nier. Aberrant.
Le barman dépose les cocktails. Tu dégustes lentement celui qu'il te tient. Son pouce sur ta lèvre pour t'essuyer, ça t'agace et ça te chauffe. T'as le feu au fond des yeux et au bout des doigts. La lueur des flammes qui grandissent sous les ongles attirent ton attention et tu caches tes mains sous la table, les poings serrés sur tes cuisses.
Inspires lentement pour te calmer, tu étires un faux sourire un peu (beaucoup) gêné et fais semblant de rien quand il te propose de gouter le sien. Tu grimaces en goutant, comme si tu n'aimais pas, avant de déclarer malgré tout.
— « Pas mal non plus. Celui là est plus fort au niveau des saveurs. »
Et voilà vous en revenez à parler de Liam. Tu te demandes si au fond de toi tu fais pas exprès de le remettre constamment sur le tapis par simple culpabilité. Comme si tu n'avais pas le droit de t'en échapper, de LUI échapper. Même enterré il est toujours là. Même face à son frère c'est toujours lui que tu vois. Tu ne réponds pas à son récit, plongé dans les souvenirs chaotiques qu'il te rappelle. Extirpé de force par sa nouvelle déclaration, qui fait écho à la tienne.
— « Hm... »
Merde, merde, merde. MERDE.
— « Alors embrasse moi en premier et après on verra. »
?????
Qu'est-ce qu'il te prend de balancer ça ? Sans réfléchir, tu viens lui choper le col et le colle à toi pour capturer ses lèvres un instant. Lippes parfum cocktail roi de coeur ; parfum envoutant aux milles senteurs. Tu fermes les yeux un instant avant de te détacher cruellement. Le repousses les deux mains sur son torse, la chaleur de tes doigts traversent le tissu de sa chemise.
— « Ouai, toujours envie de te casser la gueule. »
Moue exagérée, le regard d'un chien battu pour accompagner le tout. Moyen de lui faire savoir que tu es déçu de tant de secrets, mais tout ça de façon trop exagérée pour que ce soit véritablement sérieux. Parce que soit, t'iras pas remuer dans la vase, après tout ce n'est pas drôle, pas challengeant d'aller dans l'intimité des gens. C'est plus agréable, plus gratifiant, plus fort, aussi, de les laisser sortir d'eux-mêmes les boites à souvenirs et autres linges sales. Tout comme il le fait avec toi, tu veux qu'ils viennent arracher ses histoires et ses contes de lui-même pour te les donner. Peut-être un peu de fierté derrière cette volonté, d'envie aussi. Même si tu ne sais pas encore quoi bien en penser, tu crois que tu aimes, que tu aimerais vraiment l'idée qu'il te confit un peu de lui.
Perdu entre les souillures, entre cette autre chose que tu ne sais pas aborder, mais qui te fait peur, Noah, qu'une partie de toi à très envie de rejeter sans s'y résoudre vraiment. Quand il boit, tu le regardes, conscient que tes yeux ne sont pas discrets, conscient qu'il va le voir, que tu fixes le mouvement de sa pomme d'Adam quand il déglutit, le reflet de l'humidité sur ses lèvres, l'ombre tentatrice du col de son polo, ouvert maintenant. Non, tu n'as pas décidé de si tu voulais lui faire mal ou lui faire plaisir, tu ne sais pas ce que tu aimes le plus entre ses yeux brûlants de colère ou sa peau rougissante sous le reste. Tu joues à un jeu dangereux, Noah. Tu ne devrais même pas, tu le sais, vouloir autre chose que les coups entre vous et pourtant... Alors quand tu lâches une unième provocation tu te sens con, stupide, d'entretenir un feu dans lequel tu risques de te brûler. Mais c'est plus fort que toi, quand tu le vois boire une gorgée du Roi de Cœur la question qui prédomine c'est bien le goût de ses lèvres et non pas s'il allait s'étouffer avec son verre.
Et merde.
Alors embrasse moi en premier et après on verra.
C'est toi qui t’étouffes, comme un con. Lève un regard stupéfait, tu l'avais prostré sur son siège, tu l'avais vu batailler pour esquisser un sourire. Comment fait-il ? Pour passer de la peur à l'action ? Pour passer de la petite chose qu'on domine à maître du jeu ? Stupide Noah, quand tu le vois prendre ton col, tu ne réagis pas. Tellement sûr de gagner, que tu n'avais pas anticipé qu'il puisse renverser la tendance. Ce type est fou, un taré, un lunatique, impossible de jouer sur autant de tableaux et pourtant, pourtant... T'aimes ça. Ses lèvres ont le goût délicieux de la surprise, dans ton ventre ça se tord de la sensation incroyable de coup qu'on ne voit pas venir. Ah. Putain. Merde. Merde. T'espérais intimement le désastre alors pourquoi tu te sens heureux que tout se passe bien ?
Langue que tu passes sur tes propres lèvres, pour garder en bouche le goût des siennes. Tu te retrouves à éclater de rire quand il lâche la suite. Ses mains contre ton torse, ça crépite d'une chaleur que tu apprécies franchement. Ça t'énerve. Ça te plaît. Fait chier.
— J'ai pourtant encore rien dit de trop médisant.
Passe une main dans sa nuque pour l'approcher de toi encore. Dire que vous avez commencé tout ça face à face comme dans un entretien.
— Attends.
Murmure aux ceux de sa bouche, quand tu viens capturer ses lèvres, la chaleur de ses mains sur ton torse, tu t'es trop rapproché de lui, vos genoux qui se touchent alors que ta main libre passe sur sa cuisse.
— Et là ? Demandes-tu, taquin. Toujours envie de me casser la gueule ou t'arrive à faire avec ?
Et tu te dis que c'était finalement une bonne idée de venir en avance ici, même si d'un coup le placard te manque. Tu t'attardes un peu sur la caresse de sa nuque. Et si ta main finie par délaisser cette zone pour boire une gorgée, ton autre main, en revanche, ne quitte pas sa jambe.
— Tu comptes rester à ton eau gazeuse de petit joueur ou on peut commander autre chose ?
T'as très envie de découvrir quels goûts tes cocktails ont sur sa bouche.
En cet instant tu es presque heureux, à ça d'être épanoui. Tu as envie de jouer, de rire. Tes rictus désabusés sont sincères et tu laisses doucement la colère se muer en malice. Sa main s'invite à l'arrière de ta nuque et il vous rapproche - malgré tes doigts pour faire barrière il vient reprendre de force lèvres et dignité. Tu y réponds du mieux que tu peux, laisses échapper des petits gémissements confus entre chaque souffle volé. C'est à la fois humiliant et terriblement agréable. Une nouvelle recette de cocktails explosifs que tu serais prêt à boire cul sec.
Il prend quand même un peu trop ses aises. Tu te retrouves acculé sur les canapés, ses mains capricieuses posées en reines sur ta cuisse. Empourpré, tu te pinces la lèvre et inspires bruyamment. Tu te forces à répondre à la provocation avec la même assurance que tout à l'heure.
— « Ça va. Je peux me retenir. Mais tu viendras pas pleurer si tu finis la soirée avec quelques cotes casées et le nez pété. »
Tu serres les jambes.
— « C'est secret défense par ici. »
A peine beauf, totalement dans l'humour. Ouai toi aussi t'en as quand tu t'ouvres un minimum. C'est pas la crise d'hilarité mais ça t'excite de t'imaginer lui faire perdre ses moyens. Le surprendre parce qu'il t'a déjà catalogué comme le mec frustré, le chien enragé. C'est surement vrai (oui) mais c'est là que tu te rends compte que t'as besoin de sa validation, que son regard sur toi compte beaucoup trop d'un coup.
Il revient au galop et tu clignes des yeux. Hm ? Comment ça commander autre chose ? Tu fronces les sourcils et questionnes :
— « Mais si je commande de l'alcool il va me demander mon âge non ? Ah moins que tu puisses jouer de tes super relations pour m'obtenir un vrai cocktail cette fois. »
Arrogance.
— « Et pas du jus de fruit. »
Ton portable bip. Posé sur la table l'alarme affiche "médocs". Par reflexe tu tapotes la poche de ton jean pour en dessiner les reliefs du flacon. Tu décides d'appuyer sur la touche verrouillage pour l'éteindre. Tu les prendras plus tard, c'est bon. T'as pas envie là. Tu lui jettes un regard en biais pour le forcer à mater ailleurs puis attrapes ton verre d'eau pour le boire cul sec.
— « Allez, autre chose ! »
Bah super maintenant t'as envie de pisser.
— « Garde mes affaires s'il te plait. »
Laisses ton portable sur la table. Tu demandes où sont les toilettes et y trottines. Une fois à l'intérieur tu plaques tes deux mains contre le lavabo, devant le miroir. Tu transpires du front putain c'était moins une. Tu te passes de l'eau sur le visage pour te débarbouiller et te dévisages. Tu branles quoi en fait ? T'as cru que tu pouvais flirter comme ça, l'air de rien ? T'as cru que tu pouvais lui plaire après ce que t'as fait ? T'as cru que tu pouvais te racheter ? C'est impardonnable ces choses là.
De rage tu shootes dans la petite poubelle, étouffes un hurlement de colère contre toi-même. T'exploses Ezra car cette situation est insupportable. Ton coeur balance entre les sentiments et les regrets. Entre la haine de lui et la haine de toi-même. Tu le détestes d'être aussi parfait. Monsieur parfait. Monsieur connard.
Nique bien ta mère Noah.
Ok, respire. Tu prends le temps de faire ce que tu dois faire. T'actives pour pas mettre trop de temps et reviens à table. L'air de rien, mais plus fermé que tout à l'heure.
La menace tombe, amusée, quand tu lèves tes mains l'espace d'une seconde devant toi pour appeler au calme. Mais tu les remets bien vite à leur place, Noah, c'est que c'est bien plus confortable de le toucher lui que n'importe quoi d'autre.
— Bon, bon. Un sourire contre une gueule cassée c'est pas si cher payé en vrai.
Et tu te fais charmeur, sans trop savoir si tu ne vas pas le regretter, dans l'espoir que tu le regrettes pour te prouver que t'avais raison, dans la peur presque panique de le regretter parce que tu veux te prouver que tu as tort. Putain, ce gars tabasse ton mental à coup de marteau-piqueur et toi tu te laisses faire, proie soumise, autant haineuse de se faire piéger que reconnaissante de voir la course s'arrêter. Fait chier. Tu ne retires pas ta main quand il serre ses cuisses, laisse ta peau se gorger de cette pression nouvelle, de cette chaleur, t'aime ça Noah. T'aimes cette sensation-là.
— Et qu'est-ce qui faut que je fasse pour avoir un laisser passer ?
Souffle contre sa nuque, répond à la beaufferie par la beaufferie. Ricane contre sa peau avant de revenir à vos verres vides. C'est que ça ne va pas du tout. Sourire moqueur, parce qu'il doute en plus ?
— Tu sais juste être beau et énervé ou tu sais brancher ton cerveau aussi ? Je vais commander pour moi, tu boiras dans mon verre.
Comme une provocation, tu t'amuses trop pour ton propre bien, ta main libre qui bien du pouce caresser son menton. Putain, ça t'emmerde mais tu t'amuses trop.
— Tu es sous ma protection et je suis connu pour toujours ramener sains et saufs ceux qui m'accompagne alors t'en fais pas. Au pire, si tu tiens plus sur tes jambes je te porterai. Insolant quand tu murmures. Je sais que t'en rêves en plus.
Tu mérites toutes les baffes du monde et s'il juge nécessaire de t'en donner, tu les accueilleras dans le rire. Quand il se lève pour aller pisser, te laissant seul gardien de ses affaires (une marque de confiance qui te touche plus que tu ne veux l'admettre) tu t'empresses de commander pour vous un mélange de cocktails avec et sans alcool histoire de ne pas éveiller les soupçons. Tu as hâte de voir les verres colorés rejoindre la table, hâte de voir la teinte que ça prendra sur ses lèvres, le goût que ça aura dans sa bouche. Fait chier.
Ton regard dérive sur le téléphone échoué d'Ezra. Juste avant qu'il parte, t'as vu une alarme. T'es curieux, tu ne devrais pas, mais t'es curieux. Est-ce qu'il avait planifié que ce serait si naze comme rendez-vous qu'il fallait se barrer à cette heure-ci ? Une partie de toi s'en veut, une autre ce dit que t'en ai pas à ça prêt niveau connerie. Après tout, t'es populaire, Noah, t'es dans la clique d'Arsene, Noah, serait peut-être temps d'assumer que t'es plus une pute qu'un sain. Alors t'ouvres le phone, laisses de côté la messagerie (pour pas te sentir trop intrusif peut-être ?) et te concentres sur ses alarmes. T'en note deux, présentes tous les jours à 10h et 19h nommées "medocs". Medocs ? Il est sous traitement ? Tu te souviens les pilules dans le placard, fronces les sourcils, quel genre de traitement demande de prendre des cachetons à heure fixe et ponctuellement comme-ça ? Tu quittes l'alarme, rejoins les notes, ton regard se retrouve attiré par une liste de noms qui ne te disent rien, une espèce de liste aux allures d'ordonnance que tu prends en photo avec ton propre téléphone. Note pour toi-même que tu vas aller emprunter quelques ouvrages de pharmacologie à la bibliothèque ou poser quelques questions à des profs. T'imagines déjà leurs regards s'illuminer quand ils penseront que ta soif de savoir vient d'une envie de rejoindre la médecine. Pathétique.
La vérité, c'est que tu aurais pu poser son portable et en rester là. Après tout, t'avais eu ce que tu voulais. Cependant, tes glisses vers la galerie, curieux de découvrir ce qu'un gars comme Ezra peut bien immortaliser comme moment. Sans surprise, tu trouves des photos de lui et Sylvestre, des paysages. Mais tu trouves aussi des photos de toi. Beaucoup de photos de toi.
— .... Et ça regardait les groupies d'un mauvais œil...
Sur tes lèvres se dresse le sourire. Plus que ça ne te rebute, ça t'excite. Et ça en dit peut-être long sur toi, Noah. Tu aimes le savoir qui te guette, qui t'immortalise, que sous ses airs j'en m'en foutisme il te flash tel un paparazzi. Plus loin tu trouves des photos de Liam, que dans un élan de jalousie tu décides d'ignorer. Ferme l'application, repose son téléphone et pour que ce soit ton visage qui prime dans sa galerie tu te prends en photo pour lui envoyer par messagerie.
Les verres arrivent, en même temps qu'Ezra, tu te tournes vers lui, lui adresse ton plus beau sourire. Il a l'air moins euphorique qu'avant mais tu mets ça sur le compte des chiottes.
— Je nous ai commandé ça. Avec et sans alcool comme ça, ça n'attire pas les soupçons. Celui-là y a de la vodka dedans, t'en fais pas, j'ai demandé à ce qu'il soit pas trop dosé. Je l'ai appelé le Beautiful Bastard, ça m'a fait penser à toi.
Je sais que t'en rêves en plus. Cette affirmation te hante plus que tu ne le voudrais. Evidemment que t'en rêves. Et ça t'obsède encore cette image de lui te portant à bout de bras, ton corps flasque échoué à son épaule, tes paupières frémissantes d'un désir semi-endormi. Bordel. A peine revenu des toilettes, l'air aussi épuisé que hargneux tu te poses à ses côtés mais imposes direct une certaine distance. Tu ne te colles pas comme tout à l'heure et tu ne lui laisses pas l'opportunité de te toucher ou de te caresser. Tu récupères ton téléphone brusquement sans avoir imaginé une seule seconde qu'il ait pu le fouiller pour le fourrer dans ta poche.
— « Qu'est-ce que c'est ? »
Il y répond directement et te présentes les deux verres. Deux cocktails dont un avec de la vodka. Tu forces un sourire et marmonnes des remerciements. Après tout, c'est lui qui paie. Tu t'empresses de choper le verre alcoolisé et le portes à tes lèvres. Tu le bois cul sec en plusieurs gorgées, accompagnées du bruit de déglutition. Une fois vide, tu le claques contre la table ; un peu étourdi en sentant les effets immédiats d'une telle dose ingérée.
— « Hm. Très bon. »
Beautiful bastard hein ? Peut-être pas Beautiful mais assurément bastard. Le rappel de ton alarme sonne et tu pètes un cable, hurles presque dans le bar - et de ce fait attire l'attention.
— « MAIS IL VA FERMER SA GUEULE CE PUTAIN DE TEL ?! »
Tu exploses, incapable de retenir cette colère qui explose (déborde) à force d'être accumulée en silence. Les visages sont tournés vers vous et tu reprends difficilement ta respiration, n'oses pas le regarder. Tu as honte de ce comportement. Tu as mal à la tête.
— « Je... Désolé. Je vais me calmer. »
Tu as l'air désespéré, atteint. Désespérément atteint. Tu tends une main vers lui, troublé à l'idée qu'il puisse te regarder d'un mauvais oeil ou te juger comme il le faisait au début. T'as trop besoin de lui pour la fin de cette soirée. Tu fais pitié Ezra, needy as fuck.
Quelque chose cloche. Tu ne le dis pas, tu ne le montre pas, t'en fais juste un secret puéril alors que tu comptes, notes, soulignes, chacune des petites choses qu'Ezra te refuse depuis qu'il est sortir des toilettes. Était-ce un test ? Pour voir si tu serais en manque de lui ? Pour apprécier de voir le doute sur ton visage ? La peine peut-être ? Etait-il aussi tordu que toi pour apprécier de te tendre ce genre pièges ? Ou est-ce qu'il avait simplement réfléchi ? Un pas en avant, deux pas en arrière... C'est que de lui, ce genre de revirement ne t'étonnerai pas.
Mais tu te refuses à tomber dans ces jeux, quelque qu'ils soient. Tu as vu les photos, après tout, ton visage gravé sur des dizaines de clichés. Il ne t'aura pas, pas comme ça. Quand tu lui tends le verre, tu penses à un jeu, une nouvelle guerre à laquelle vous vous offrez dans l'assumer. T'avais aucune idée, Noah, du genre de conflit qu'il vivait, Ezra. Peut-être qu'à le voir boire aussi goulûment son cocktail tu aurais dû t'alerter. À la place, t'as juste levés les mains, ri moqueur, et t'as repris le verre, vide, parce qu'il a visiblement une descente plus que facile.
— Whoa whoa whoa, doucement cow-boy, t'es pressé de rouler sous la table ou quoi ?
C'est peut-être là, que t'as sincèrement commencé à t’inquiéter. L'explosion, la violence dans sa voix, dans ses gestes, dans son âme. Pas celle qu'il te réserve, pas celle qui est logique, consciente (méritée). Une violence emprunt de folie, le genre de colère qui ne se résonne pas, qui ne se contrôle pas. Tu t'es surpris à sursauter sur ton siège, a agripper la table pour ne pas te lever. Autour de vous les têtes se tournent et pour la première fois depuis longtemps te réalise que tu n'as pas les armes pour faire face à ça.
Tu ne sais pas comment gérer ça, tu n'as jamais eu à le faire, tu n'as jamais appris. La première pensée qui te traverse l'esprit c'est que Sylvestre saurait peut-être. La seconde c'est que ça te frustre (te rend jaloux) de ne pas savoir. Ezra, colérique, soudain misérable, comme un enfant perdu qui ne sait plus comment marcher mais qui à désespérément besoin qu'on le guide. Quand il tend la main, t'as une seconde sans réponse. Tu ne sais pas quoi faire. Tu te détestes de ne pas savoir quoi faire. Ça te terrifie de ne pas savoir quoi faire. Sylvestre saurait sûrement quoi faire... Mais Sylvestre n'est pas là... Tu ne veux pas qu'elle soit là. Fait chier. Fait chier. Fait chier. Attrape sa main dans un réflexe idiot.
— T-Tiens.
Ta voix a flanché. Tu lui tends le Beautiful Bastard sans alcool. Tu cherches quelque chose à dire. N'importe quoi. Un trait d'humour. Mais tu te dis que rien ne suffira. Rien ne marchera. Tu hasardes, marches sur des œufs. La vérité, c'est que tu devrais agir de façon plus responsable mais que tu crève trop de fierté et de jalousie pour demander de l'aide à qui que ce soit ici. Alors tu hasardes, ta main dans la sienne que tu presses pour attirer son attention.
— Tu peux mettre ton tel sur silencieux si tu ne veux pas être dérangé, ok ?
Puis tu percutes. Tu te sens comme un con. Ton regard qui s'agrandit et tu jures en silence. L'alarme. Ses medocs. Putain, ça doit être un truc avec ses medocs.
— Mais tu devrais peut-être checker avant, si c'est important ou quoi ? Tu sais quoi, je vais te rapporter autre chose, si t'arrives à le boire sans tousser je te devrais un gage.
T'esquisses un rire, en dedans t'es pourtant aussi incertain qu'un gosse. Ça te révulse ce sentiment d'impuissance, l'impression d'être revenu à ce jour-là, où t'as rien vu venir, où t'es tenu devant le cadavre de Liam à la morgue, sans y croire, sans comprendre. Tu détestes ne pas comprendre. Tu te lèves, jettes un coup d’œil, espères qu'il les a avec lui ses foutus cachets. Sinon... Sinon merde, tu files au bar pour revenir avec un truc fort et serré.
Quelque chose a changé dans son regard. La paranoïa te guette et t'as si peu de fierté et d'amour propre Ezra que tu te serais jeté à ses pieds pour lui lécher, qu'il te pardonne tes élans de colère, qu'il te pardonne d'exister - d'avoir causé la perte d'un être cher, d'avoir causé ta perte de contrôle. Ta démence t'empêche de capter son stress passager, la crispation de ses doigts sur la table. Tu ne vois que ce que tu veux (pas) voir. L'abandon, le jugement. T'as la peur au ventre et au bout des lèvres tordues.
Il suggère que tu mettes ton téléphone en silencieux. Tu inspires lentement pour te calmer et le tapotes au travers de ta poche gauche (la droite étant réservé au tube de cachets). Tu hésites un instant, sens la transpiration couler lentement à l'arrière de ta nuque. Tu sais pas pourquoi t'as aussi chaud en cet instant Ezra alors que tu n'as jamais eu aussi froid.
— « C'est bon. La prochaine fois je le balancerai à l'autre bout de la pièce. »
Tu fais tout pour te détendre - aussi tout de travers.
— « Pour le moment... » Tu attrapes le verre. « Je veux simplement profiter avec toi sans être dérangé. »
Tu le portes à tes lèvres et goutes. Ça a basiquement le même goût, du moins presque. Tu le reposes sur la table en grimaçant. Fais non de la tête puis effleures son torse.
— « Plus corsé. »
Ignores délibérément son conseil. Non non non tu veux pas être ce Ezra complètement shooté ce soir, dépendant, misérable. Tu veux vivre, être pleinement toi même sans être censuré par cette médecine diabolique. Noah se lève et tu te rassois, enfonces ton cul dans le canapé. Observes du coin de l'oeil ce barman qui le regarde un peu trop. T'aimes pas du tout ça, t'es pas à l'aise. Tu te retiens de (lui) hurler dessus et de lui casser la gueule. Merde, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Quand Noah ramène les verres t'es toujours fermé mais te forces à paraitre ouvert. Tu étires un sourire malingre et repères directement le verre alcoolisé. Tu le prends brusquement pour en descendre la moitié et notes que le barman a repéré ton comportement. Il te regarde dans les yeux mais ne souffle mot, les détourne finalement pour astiquer son bar avec son chiffon. Tu joues l'arrogant, ça commence à faire son effet te monter à la tête.
— « Haha ! Je suis innarêtable ! »
Comme un incendie. Tu t'accroches à lui, l'agrippes grossièrement et lui voles un baiser indélicat.
— « Hm... Noah... Tu sens bon. »
T'es un peu déshinibé. Et ça te donne un air encore plus bête qu'à l'accoutumé.
— « J'ai tellement... envie de te tabasser. Avec ta vieille gueule là... »
Ah ok. Tu laisses tomber ta tête vers l'arrière et te la cognes contre le mur.
— « Tu fais moins le malin face à moi maintenant... ? Alors...? Je t'intimide c'est ça ? Haha. Si tu savais. »
Sa confession te bouscule, tu perturbes. Est-il déjà bourré ? Terriblement conscient ? Tu ne sais pas ce que tu crains le plus, le Ezra colérique ou le Ezra honnête. Brutalement honnête. Ton regard se perd malgré toi, faible, son doigt contre ton torse. Il a l'air d'un enfant dissipé, quand tu quittes ton siège t’espère sincèrement qu'il va prendre ses médocs, profiter que t'ai le dos tourné pour calmer sa pudeur et faire ce qui doit être fait. Mais t'es naïf, Noah, t'as pas encore évaluer l'étendue des dégâts.
Le patron hausse à un sourcil à ton arrivée, désigne Ezra du menton, l'air de te demander s'il allait bien. Tu peines à lui expliquer, inventes une histoire débile, tous sourire. Il s'est fait largué y a peu, tu l'aides à noyer son chagrin puis vous vous plaisez bien en vrai. Il gobe le tout, trop habitué à voir vos relations faites de bricks et de brocs chez les populaires. Tu prends tes cocktails, retournes à table... Putain, il a l'air encore plus dissident qu'une minute avant. Le temps de rien, quand il s'empare du verre pour en vider la moitié. Tic, Noah, le lui retour, soudain paternel alors que dans sa folie il t'accroche t'embrasse, ri d'une arrogance qui lui va mal, déblatère des propos haineux quand son s'accroche à toi, telle une glu. Putain. T'es perdu. Pourtant t'en a géré, des gens bourrés, Noah. Mais jamais des gens dont tu crains la santé, jamais des êtres aussi imprévisibles. T'aurais pu rire de sa situation, plaisanter, mais la vérité c'est que tu peines à desserrer les dents.
— Putain mais fait attention !
Sa tête percute le mur, pas méchamment mais suffisamment pour te faire bondir, pour le redresser. Dans un réflexe idiot tu l'entraînes contre toi, te dis que quitte à faire l'imbécile ça fera moins mal comme ça. Tu ne sais pas quoi faire, Noah. Tu réfléchis, tu te rends compte que tu ne te souviens de rien. Qu'est-ce que tu disais dans ces moments-là ? Quelles étaient des expressions ? Quels étaient tes gestes ? Ezra continue balancer des propos que t'écoutes qu'à moitié. Il est bourré. Il boit comme un bleu. Il fait n'importe quoi. Est-ce qu'il a pris ses cachets au moins ? Putain est-ce qu'avec l'alcool ça n'allait pas faire une réaction ? Au fond de toi tu te sens doucement paniqué, serre un peu plus Ezra, respire, essaye de garder ton calme.
— T'as pas fini de me rendre dingue, merde ?
Crache ça autant bien pour toi que pour lui. T'es tenté de lui demander pour les cachetons, mais t'ose pas. T'es pas censé être au courant et pour être franc t'as peur de ce qu'il pourrait se passer si tu lui laissais entendre que tu étais au courant. Vu ce qu'il s'est mis en l'espace de vingt minutes tu crains le pire. Putain mais quel boulet. Putain pourquoi tu te prends autant la tête ?
Soupire, tu t'es mis à le bercer et tu te sens débile. Ton regard dérive sur la table, tu le lâches un moment pour boire d'une traite le reste d'alcool, autant pour le protéger que pour t'enfoncer un peu plus. C'est peut-être bien la seule chose qui te sauvera, ce soir, une folie plus grande que la sienne. Alors tu fais ce que tu sais faire de mieux : être un gros con. Son gros con.
— Tu bois toujours comme un trou ou tu le fais exprès parce que c'est moi ?
Tu reviens vers lui, chope son menton.
— T'sais, pour quelqu'un qui veut me casser la gueule t'es très câlin. Je sais pas, non, mais j'ai ma petite idée. Je pense qu'en vérité tu crèves d'envie de me rouler une pelle, là tout de suite, mais que tu te retiens et ça te frustre. Pourtant c'est con, Ezra, pour une fois que j'ai pas envie de te taper...
T'approches tes lèvres des siennes, ta main glisse sur sa cuisse. T'es en impro totale. Un con. Un putain de vrai gros con. Tu pourrais l'embrasser, là, maintenant, mais à quelques centimètres de sa bouche, tu souffles.
— Seulement, j'embrasse que les garçons sages. Tu veux pas être sage et ralentir un peu sur la boisson, mon ange ?
Fais attention qu'il dit !! Tu ne fais pas attention t'es trop dizzy pour ça. La tête qui tourne et le coeur qui balance. Ça fait des grands huit dans ton esprit. Tu n'espères plus rien, tu t'accroches seulement à ce qu'il te donne et ça désespérément. On dirait un affamé qui n'a pas été nourri depuis sa naissance ,et qui goûte lentement aux plaisirs des chairs et des fragrances, des chers et de leur absence.
Alors tu lui ris au nez comme un idiot car tu ne comprends pas, l'alcool te rend aussi bien que heureux (bienheureux) alors pourquoi est ce que tu devrais faire attention au bonheur qui flotte dans l'air et le sang ? Tu pouffes un peu nigaud.
— « Détends toi, je ne suis pas en sucre ! »
A peine. Ses doigts a ton menton, ses provocations à deux ronds. Tu allais te jeter sur la fin du cocktail mais il l'a englouti avant même que tu ne puisses avoir l'idée de l'atteindre. Grognes un peu mais le contact furtif imposant votre rapprochement te rend plus coopératif. Tu le laisses faire, pendu à ses paroles et à ses lèvres qui bougent - provocatrices et narquoises. Abusives et viles tentatrices quand elles s'agitent pres des tiennes sans les atteindre.
— « Je suis... »
Hypnotisé par sa voix. Acculé par ses doigts. Captivé par ce roi.
— « ...sage. »
Tu secoues la tête de droite à gauche et ricanes.
— « Qui te dit que je veux te rouler une pelle... hein... »
Tu réponds à ta propre question (idiote) en l'embrassant. Tu te dis que c'est ce qu'il attend vu qu'il te provoque mais à ce stade t'es tellement au ciel que la chute ne te fait même plus peur. Tu t'écraseras plus tard, là tu planes. Ouvres le chemin de sa bouche infertile pour y semer ta langue, chatouilles son palais. Aaah... ça monte ça monte. Excitation et dégoût. Tu recules brusquement ta tête - quelle heure est-il ?
— « Excuse moi un instant. »
Tu te lèves et cours aux toilettes pour dégobiller. Restes assis près des chiottes à contempler le vide, pendant peut être un peu trop longtemps. On toque à la porte - quelle heure est il ?
Quand tu reviens ça va mieux mais le temps a filé. Déjà vieux.
— « Je me suis .. j'ai les idées plus claires désormais. »
Et le désir a cessé de maquiller la haine. La honte n'a plus de couches où se cacher.
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Mar 10 Aoû - 23:22
T'avais prévenu Sylvestre malgré toi après avoir pesé le pour et le contre pendant des jours. Rien a faire tu pouvais décemment pas lui cacher quelque chose d'aussi gros et d'aussi important. Tu n'étais pas rentré dans les détails de votre intimité au placard car tu avais trop honte pour te confier. Mais tout de même, elle savait de quoi il en retournerait pour ce soir. Tu ne voulais pas paraître ni coincé ni ouvert. Pas trop précieux mais pas degueulasse. Décontracté mais pas synonyme de désintérêt. Trop compliqué de choisir une tenue t'avais opté pour un polo à manches courtes bleu électrique et un pantalon blanc. Les cheveux rapidement coiffés vers l'arrière et le porte feuille dans la poche. 
C'est mains dans les poches, le casque vissé sur les oreilles et sans rien dire à personne que tu es parti, Noah. Comme un voleur, en somme. Tu aurais pu partager, après tout, les gens ont plutôt l'habitude de se venter de leurs sorties. Mais se venter avec qui, de quoi ? C'était un peu amer que tu avais passé la porte de ta chambre, ton téléphone à la main. Bêtement t'avais commencé à envoyer un sms à Lucrecia, avant de te rendre compte qu'elle était probablement la dernière personne au monde, Lu, à vouloir lire que tu allais sortir, surtout avec lui.