Petit gamin aux allures de géant, d’une tête de plus que ta classe (mais tu restes un minus pour les autres), courant dans tout les sens, sur les parapets de pierre ou les couloirs, bousculant ton monde à ta façon, puisque tu restes jamais en place. T’es une vraie pile électrique à l’imagination débordante, alors on a beau essayer de t’épuiser, tu continues quand même, tu grimpes, tu cours, tu sautes partout, jusqu’à ce que tu te décharges, que tu sois à plat au début de la soirée, pour t’endormir, et recommencer ce même cycle le lendemain.

Petite pousse de blé tendre qui veut voir le soleil, qui s’est retrouvé dans les enchevêtrements de ronces des autres plantes qui t’entourent. T’es pas tombé au bon endroit quand on t’as semé, ça te prends, ça t’étouffe et t’as du mal à respirer dans tout ce dédale de branches épineuses qui s’agrippent et te cache le soleil, tordant ta tige dans ta croissance et te bouffe ta nourriture, ce dont t’as besoin pour vivre.
à l’instar d’une plante sans engrais, t’as poussé sans amour, et tu la cherches partout, cette affection qui te manque, ce besoin de te sentir aimé. (Comme si tu méritais qu’on t’aime !)

Dysfonctionnement dans la machine, comme si t’avais des pièces manquantes, pas un traître mot quand t’as la boule au ventre. Le mutisme qui s’invite, t’arrive plus à parler, tu bouges tes bras, tu t’agites, c’est confus. T’as peur qu’on te voit comme un monstre, comme anormal…  (Comme si t’avais le droit d’être autre chose qu’un monstre !) l’anxiété qui te prends et t’enserres dans ses bras, elle susurre à tes oreilles des dangers factices, elle crie au loup et t’arrives pas à t’en débarrasser… Alors tu crains le regard des autres, tu crains les arbres et les forêts, tu crains l’océan car tu ne sais pas nager… Et ça te bouffe les entrailles et tu voudrais pouvoir l’ignorer.
Tu veux être vu comme un grand garçon, courageux, qui se dégonfle pas pour la moindre raison, mais t’es toujours vite rattrapé par tes peurs. Tu tiens 5 minutes… 10 minutes tout au plus, et puis tu craques, t’as le souffle qui s’emballe et tu veux juste que tout s’arrête.

T’es habile de tes mains Zlatko, l’on pourrait même dire que tu as des mains de chirurgiens, qui ne tremblent jamais. Mais t’as beau être habile, tu tombes souvent, trébuchant sur les interstices des pavés ou du carrelage, t’as pas d’équilibre, alors tu chutes, ça fait mal de tomber, t’aime pas ça, mais t’y peux rien, c’est comme ça, et ça t’arrive souvent. Parfois, tu te blesses d’ailleurs, t’as constamment des pansements, toujours au moins un sur la peau, parfois discret, parfois en plein milieu du visage.

T’es juste une boule d’amour qui veut que tout le monde soit content, tu voudrais pouvoir être une lumière dans ce monde, attendrir les natures les plus hostiles. T’as la gentillesse gravé en toi. T’as encore de la naïveté, de l’innocence malgré tout ce qui s’est passé. (mais tu seras toujours coupable d’être ce que t’es !)

T’as l’air triste, t’es rêveur par moment, regardant la lune en te demandant si quelqu’un d’autre la regarde en même temps. Tu te demandes si les insectes et les animaux regardent aussi la lune et se perdent, se bercent dans sa douce lueur pâle… T’es rêveur car la réalité veut te rattraper, et tu veux t’en éloigner.

… Alors s’il te plaît, Maman… Arrête de me hanter…

L'histoire résumée :

C’est drôle comment les gens peuvent voir les choses les plus abjectes partout, sauf dans eux-mêmes. Comme ils peuvent même accuser les plus innocents des pires maux de la terre.

Ça faisait un bon mois que la saison des pluies avait débuté dans la petite ville côtière qui t’as vu naître. Les rues qui se gorgeaient d’eau sous les trombes de pluies que les nuages gris, noirâtres, recrachaient impunément sur la population, les toits et les maisons qui se trouvaient en dessous.

La pluie, c’est marrant, ça mouille, ça fait des flaques d’eaux dans lesquels on peut sauter dedans, et éclabousser les adultes au passage, avant de prendre un de ces petit air mignon que les enfants savent si bien le faire, comme pour dire “j’ai pas fait exprès” et se faire pardonner pour une chose qu’on savait volontaire, un gentil mensonge sans grand danger. C’est marrant aussi quand tu peux regarder à la fenêtre de l’école et que tu mises sur laquelle des deux gouttes d’eau va gagner la course pour atteindre le rebord de la fenêtre, que ce soit celui du bas ou ceux des côtés lorsque le vent s’invite à la fête. Enfin, car c'est plus marrant que l'océan qui occupe toute une partie du village, dans lequel on a failli se noyer une fois au cours d'une énième mésaventure de gamin, et qu'on craint désormais de vouloir s'approcher.

Tu tiens pas en place aujourd’hui encore, t’as besoin de bouger, tu cours dans tous les sens, tu sautes, tu cries, tu ris du haut de tes 7 ans. Tu traînes avec tes amis Anh et Dao, et ta grande sœur Linh, 5 ans plus grande que toi, et tu profites de chaque instant. Vous allez et venez, crapahutant ici et là sur les pavés des rues, sur les voies de chemin de fer abandonnées ou les vieilles carcasses de bateau délabrées une fois l’école terminée. Ah ça, c’est longtemps que vous restez dehors, jusqu’à ce que Dao soit obligé d’y aller, parce qu’il doit aider sa famille dans les champs de riz, puis Anh lorsque son frère revient de la mer pour débarrasser les filets de la pêche du jour, et qu’il ne reste plus que toi et ta soeur, Zlatko (mais tout le monde t’appelle Minh en réalité).

Alors vous retournez vers la maison, tu marches un peu à reculons, un pas en avant pour deux pas en arrière. Après tout, la maison se trouve en haut de la colline, bordée par une jungle dense. Ta sœur sait que tu n’aimes pas les forêts, elle sait pourquoi tu ne veux pas y retourner, après tout, chaque matin, elle te cache les yeux pour que tu puisses sortir, chaque soir elle fait de même pour que tu puisses dormir, elle te dit juste d’attendre, qu’elle va aller chercher ton violon et que vous pourrez aller voir votre professeur de musique en suivant pour répéter ensemble ce duet que vous travailliez depuis déjà deux mois.

Mais à un moment, il se fait tard. À un moment, la nuit tombe, et il faut alors rentrer, retourner dans cette maison que tu aimes si peu… Parce que ce père que tu devais admirer et prendre en exemple a disparu il y a de ça un moment, parce que cette figure paternelle n’existe plus depuis longtemps. Parce que cette mère qui devait t’aimer et t’élever t’as abandonnée, parce que cette figure maternelle préfère te traîner dans la boue sous les effets de ce démon qu’on appelle l’alcool… Ta sœur, c’est elle ton véritable repère, le fanal dans la nuit noire qui te guide et te protège comme il peut des affres de ce monde, cette petite flamme qui a pourtant du mal à rester brillante. Elle est tremblante, vacillante, on se demanderait presque comment elle fait pour ne pas s’être encore éteinte.

Ta mère n’est pas encore là ce soir, alors Linh prépare le repas, pendant que tu t’assoupis à moitié sur la table, les yeux mi-clos, fatigué de la journée que t’as passé, la boule au ventre de ce qu’il va se passer. Un bol de soupe, des nouilles de riz, quelques accompagnements… Un repas assez maigre, mais on fait avec après tout.

“-... Linh, Il est où Papa?” La voix rêveuse, innocente, mais la question qui est acide, corrosive pour l’esprit...
“-Je ne sais pas, Zlatko…”
“-Ca serait mieux si Papa était là…”
“-Je suis d’accord… Mais malheureusement on peut pas y faire grand chose.”

Bruit de porte, vacarme sans nom, tandis qu’une figure titubante sort de l’ombre. Maman vient de rentrer. Tu deviens alerte, sautant de ta chaise pour te réfugier dans une autre pièce…

“-... La lumière est encore allumée… ”

Tu t’es caché derrière le fauteuil, ne voulant pas être vu, t’as la boule au ventre, la peur qui te déchire de l’intérieur… Tu vois flou un instant t’as l’impression de pas pouvoir te cacher entièrement, peut-être parce que t’as grandi depuis le temps… pourtant tu veux pas être vu, quand Maman rentre, on ne sait jamais ce qu’il va se passer après tout… Tu gardes Linh dans ton champ de vision. Maman qui rentre dans la pièce… Pose son regard sur toi… Et devient livide…

… Il y a quelque chose qui ne va pas…

Tu te tournes vers Linh, elle aussi est livide… Tu ne comprends pas… Il y a un truc qui ne va pas. Tu n’arrives pas à comprendre quoi… C’est bien la première fois où t’arrives pas à voir dans l’obscurité… ta lumière s’est éteinte, elle n’est plus là, elle se cache de toi…
T’essaies de parler, mais seul un son rauque sort de ta bouche… Tu regardes tes mains, mais tu ne les reconnais pas… t’as une forme étrange, tu sais que c’est pas toi, mais pourtant c’est bien toi... et ça te fait paniquer, tu perds ton calme, t’angoisse alors que tu reprends une apparence normale. Prostré, incapable de bouger, t’entends vaguement se qui se dit autour de toi… T’arrives vaguement à discerner la voix de ta mère, en train de crier et hurler, alors qu’elle s’approche de toi...

“-Tu n’es pas mon fils ! tu n’es qu’un monstre !”

Elle te prends par les bras, en te traînant… ça fait mal, ça t’érafles le dos… Tu comprends rien, tout va trop vite… Avant même que tu retrouves ton calme, t’étais sur le pas de la porte, cette dernière fermée à clef…

Tu tapes contre celle-ci, t’as les larmes aux yeux… Tu ne veux pas être dehors… Tout mais pas ça, tu supplies, tu t’éreintes la voix… tu supplies qu’on te laisse rentrer… Déjà t’as cette impression que les arbres s’approchent déjà et qu’ils veulent te capturer…

…Tu appelles à l’aide, tu voudrais que Linh vienne pour t’aider, qu’elle puisse te réconforter… mais même Linh ne vient pas t’ouvrir… Tu ne dors pas jusqu’à ce qu’une voiture de police arrive.. Et t’emmène loin de la maison…

….Si seulement tu pouvais oublier cette affreuse soirée, Zlatko… Si seulement...