what's up ?

il est venu la chercher à l’hôpital, elle qui a passé sa nuit là-bas, pour la sortir de sa chambre trop blanche. la sauver de son château aseptisé, tel le prince charmant qu’il est.
noah lui a proposé un après-midi dans les jardins. il fait beau, ce dimanche. c’est l’occasion de prendre l’air et de profiter du mois d’août.
en général, les infirmiers s’arrangent pour qu’elle ait un peu de temps libre, au moins le week-end.  qu’elle puisse faire autre chose que des examens médicaux et suivre ses cours. parce qu’au bout d’un moment, c’est lourd.

ces petits moments de liberté, ça lui donne l’illusion de vivre une vie normale. c’est important pour son moral. elle a besoin de respirer, amaryllis. de changer de son quotidien bien réglé. entre ses cahiers, le pensionnat, les diodes et les perfusions.

“merci d’être venue me chercher, noah ! je suis contente de passer du temps avec toi !”

grand sourire doux. elle se sent bien aujourd’hui. le traitement et sa maladie sont difficiles à supporter pour son corps, mais l’avantage d’être sur une île pleine de pouvoir, c’est qu’il en existe pour la soulager. ça lui permet une vie presque normale, malgré son corps qui se meurt petit à petit.
ça l’aide à faire semblant. à montrer aux autres que ça va.
alors que ça ne va pas du tout.

“comment tu vas ? quoi de neuf ? arsene n’est pas trop embêtant dans votre chambre ?”

marcher dans les jardins de l’école, ça lui fait du bien. elle n’a plus tellement l’occasion d’arpenter le pensionnat, et elle aimerait y passer plus de temps. elle aimerait être une lycéenne normale, sortir après les cours, manger au réfectoire, participer aux activités de club.
mais elle ne peut pas.
alors elle s’accroche à ses petits moments d’accalmie, rares mais précieux. elle profite à fond de ses moments avec noah. ce garçon, c’est un peu sa bouffée d’oxygène. son protecteur, son chevalier. il lui amène les cours, prend le temps de venir la voir à l’hôpital, ou de l'emmener à droite et à gauche.
elle lui en est infiniment reconnaissante.

“tiens d'ailleurs ! tu me racontes la soirée sur la plage ? je n’ai pas pu y aller, mais ça avait l’air super chouette. t’étais beau en costume !”

c’était il y a deux semaines, et amaryllis n’avait pas tellement eu de retour, si ce n’est des photos sur les réseaux sociaux. elle avait vu la soirée passer, le coeur serré, un peu envieuse de ne pas pouvoir profiter de l'événement avec ses camarades.
ce qu’elle aimerait s’amuser, parfois. juste oublier sa tumeur qui lui ronge le corps et faire la fête à n’en plus pouvoir.
mais elle ne peut pas.
dommage.

what's up ?

ils marchent doucement dans l’allée ombragée du jardin, au rythme d’amaryllis. elle ne peut de toute manière pas aller plus vite. elle s’en veut, parfois, de la faiblesse de son corps. terrifiée à l’idée d’être un poids pour les autres. terrifiée à l’idée d’être laissée derrière. mais noah, doux noah, il ne lui a jamais fait sentir. s’est toujours adapté, n’a jamais rouspété, ni même jugé.
alors quand il marche à côté d’elle, la laissant avancer comme elle peut, lentement mais sûrement; et qu’il lui tends son bras pour qu’elle puisse le prendre et s’appuyer; son coeur se gonfle de reconnaissance.
elle voudrait lui souffler “merci” milles fois.

“t’en fais pas ! c’est ok ! tu as ta propre vie à gérer, je ne te demanderai jamais de t’occuper de la mienne tout le temps. tu en fais déjà énormément pour moi, c’est adorable, alors vraiment, ne t’inquiète pas.”

elle lui sourit. c’est doux et calme, mais terriblement solaire. elle le rassure du mieux qu’elle peut, probablement aussi embêté que lui. lui parce qu’il considère qu’il ne s’occupe pas assez d’elle, et elle parce qu’elle pense qu’il s’en occupe trop et qu’elle lui vole son temps libre. c’est qu’elle ne veut vraiment pas être un poids, amaryllis. surtout pas pour lui.

“tu sais, tu peux toujours dire non à mes propositions, si tu ne peux pas, et surtout si tu ne veux pas. je ne veux pas que tu te forces à venir me voir, vraiment.” la mine un peu embêtée, regardant un instant le sol. se faisant peur en imaginant le forcer. finit par se ressaisir aussi vite, et se tourner vers lui avec un grand sourire. “promis ?”

ils arrivent sur un banc, à l’ombre. noah sort son téléphone de sa poche pour lui montrer les photos. amaryllis se rapproche pour se mettre contre lui, presque blottit contre son épaule, la tête penchée vers le téléphone. les photos défilent sous son regard qui brille. la scène, le feu, la buvette, les costumes et la foule. cela semble incroyable. elle prends le temps d’observer les costumes de ses amis, soufflant en voyant le travail de certains. arsene et lucrecia, dignes de leur titre de roi et de reine, mason en tenue japonaise traditionnelle, icare en super héro avec un deadpool masqué sur le coin qui la fait rire, et tant d’autres plus originaux les uns que les autres.

“ooh, c’est dommage. arsene défends bien son titre. mais tu ne démérite pas, ton costume était vraiment super. tu as passé une bonne soirée malgré ça ?”

elle l’imagine dans son futur déguisement, rit un peu. noah avec des portes-jarretelles ? pourquoi pas. elle aime le côté audacieux de cette idée.

“oui, je connais ! ils en ont fait une reprise dans un film que j’aime beaucoup, d’ailleurs. le monde de charlie, tu l’as vu ?” l’avantage d’être souvent à l’hôpital, c’est qu’il n’y a pas grand chose à faire à part voir des films et lire des livres. ça lui a permis d’acquérir une excellente culture. “en tout cas, j’espère que je pourrai assister à ce combat d'anthologie entre les abdos d’arsene et tes longues et élégantes jambes.”

elle rit un peu, s’imaginant la soirée de l’année prochaine. et puis son sourire s’efface. l’année prochaine… elle n’est même pas sûre qu’elle sera encore là pour y participer. son cœur se serre et ses yeux se voilent. l’année prochaine.. le futur… tout semble si lointain et chimérique.
c’est injuste.
alors elle se mord la lèvre pour se ressaisir. parce qu’il ne faut surtout pas leur montrer, lui montrer. surtout faire semblant que tout va bien, qu’elle sera guérie. imaginer l’avenir de toute ses forces, s’y projeter pour mieux maintenir l’illusion.
persuader.
se persuader.
elle y sera l’année prochaine.
un point c’est tout.

“tu m’as dit que tu étais débordé, tout va bien ? tu veux me raconter un peu ces dernières semaines ? mise à part la soirée, tu as fait quoi de beau ?”

à l'écoute, comme toujours. accompagnante, comme toujours. mais dans les faits, amaryllis le fait aussi un peu pour elle. parce que ça lui permet de s’imaginer un quotidien de lycéen normal. ce quotidien qu’elle envie terriblement depuis 3 ans, et qu’elle n’aura jamais.

what's up ?

ça lui glace le sang quand il lui pose sa question. elle sait qu’il veut bien faire, pense qu’il y croit aussi, sans se rendre compte à son tour que son mensonge se mélange au sien. trop occupée à garder son calme. trop occupée à faire semblant. trop autocentrée, finalement.
mais amaryllis reste forte, n’émet pas le moindre frisson. réponds par le même sourire, par la même fausseté. c’est peut-être ça, le plus tragique, dans cette histoire. c’est qu’ils tiennent l’un à l’autre, mais sont tellement concentré à maintenir leur illusion qu’ils ne se rendent pas vraiment compte de ce que l’autre ressent.

“ooh, mais avec plaisir pour le film ! mais seulement si tu m’achètes des pop-corn…” elle rit. “je plaisante, bien sûr. écoute, on s’organisera ça. ça serait super cool.”

elle ne réagit pas à sa dernière phrase. refuse de devoir perdre du temps à réfléchir à un foutu costume. grimace un peu plus fort cette-fois, et chasse les pensées presque immédiatement. elle ne veut pas. elle ne veut plus. alors elle enfouit ça sous le tapis, change de sujet, efface et s’efface. ça sera terrible quand ça refera surface, mais ce n’est pas grave. elle a l’habitude.
ça fait deux ans qu’elle fuit en avant.
alors pitié, noah.
elle ne veut plus parler de ça.

heureusement, il change de sujet. alors elle se reconcentre. elle a déjà top été égoïste, il est temps de se concentrer à nouveau sur lui. de s’effacer définitivement pour l’écouter du mieux qu’elle peut. parce qu’elle ne peut faire que ça, et que c’est peut-être la seule chose qui donne encore un sens à son existence: les autres.
alors elle écoute attentivement, amaryllis. observant son visage qui fixe le sol, ses lèvres qui bougent et ses yeux qui se plissent quand il réfléchit. ses jambes qu’il a ramené sur le banc, lui donnant l’air d’un penseur moderne.

elle hausse un sourcil en l’écoutant, quelques détails attirent son attention ou la surprennent. mais ce qui l’étonne vraiment, c’est le flot de paroles que noah lui sort. elle n’est pas trop sûre de l’intuition qu’elle a, puisque finalement les contacts avec les autres et les dynamiques de groupes lui sont restreintes à cause de sa situation, mais elle a l’impression que noah affiche un côté plus sincère. elle a l’impression qu’il se livre un peu plus, et ça la frappe d’une certaine façon.
peut-être que le fait de se concentrer sur lui et sur sa vie lui font oublier le masque social ? peut-être aussi, qu’il avait juste besoin de relâcher toute la pression accumulée ? en tout cas, elle le trouve bien plus authentique que d’habitude, et amaryllis prend ça comme une marque de confiance. elle est touchée.

“et bien… ça en fait des choses. ça te va si je reprends les choses une par une ?”

elle a envie de le pick-up, de l’aider devant ce chaos et ce flou ambiant. elle ne comprend que trop bien la sensation que tout va trop vite. la volonté de crier pour arrêter l’instant. elle en a envie souvent, d’arrêter le temps.

“pour commencer, si tu as besoin d’aide pour l’anniversaire, je suis là, ok ? j’imagine que ça ne doit pas être facile à gérer, surtout i tu es tout seul.” n'en sait trop rien, mais suppose et demande. “tu sais, pour être honnête, je ne sais pas ce que tu veux faire ni comment tu le vis et je ne veux pas m'immiscer. mais…” elle pose sa main sur son épaule. “si je peux t’aider de n’importe quelle manière, n’hésite pas ok ? même si tu veux te juste te changer les idées, sache que tu peux m’envoyer un sms quand tu veux.”

le contact de sa paume sur son corps, le toucher aussi rassurant que le sourire. elle est là. faible et sans doute inutile. mais elle est là.
elle le sera toujours si il a besoin d’elle.
elle ne le dit pas, mais elle le promet.

“n’hésite pas à relâcher un peu le club aussi ! je sais que tu veux bien faire et que t’es beaucoup sollicité, après tout t’es toujours là pour tout le monde et on sait qu’on peut compter sur toi…” elle parle en connaissance de cause. “mais parfois, ça submerge, et c’est ok de lâcher prise, d’accord ? surtout avec la période qui arrive.”

nouveau sourire. sa voix douce se transforme en quelque chose d’un peu plus mystérieux, comme si elle lui parlait avec toute la sagesse dont elle disposait.

“tu as le droit de penser à toi, noah.”

c’est un conseil basique, mais si facilement oubliable. et amaryllis, elle croit qu’elle l’a au moins un tout petit peu compris, et que ça vaut la peine de lui répéter.

“pour la fac, ça met une pression de fou. on a l’impression que c’est notre avenir qui se joue. et puis, on nous demande depuis l’enfance ce qu’on veut faire plus tard et… on est enfin au croisement.” elle relève la tête, pensive. “moi je sais que j’aimerai bien faire médecine… ça a toujours été un peu un rêve… mais bon, c’est pas les études les plus faciles ha ha ! en tout cas… tu dis que tu es un suiveur mais… je pense que leader ou suiveur, c’est pas vraiment le plus important. qu’est-ce que tu aimes, noah ?”

tourne la tête vers lui, l’air un peu plus sérieux en posant sa question. mais la douceur et la bienveillance presque maternelle revient vite lorsqu’elle aborde le dernier sujet.
amaryllis a tilté tout à l’heure, mais noah lui parle d’un garçon. elle ne savait pas spécialement qu’il était intéressé par les garçons. elle a cependant la décence de ne pas le mentionner, parce que pour elle, ce n’est de toute façon pas pertinent.

“pour le garçon… ce n'est jamais simple les histoires de coeur, malheureusement. tu veux m’en parler un peu plus ? pourquoi est-ce que c’est compliqué ?”

elle est d’une bonne oreille, amaryllis. elle écoute sans juger, et prend toujours le temps de comprendre. elle se met à la place des autres avec facilité, et dira que c’est parce qu’elle est empathique ou bienveillante.
elle n’a pas tort, au fond. mais c’est surtout qu’elle ne peut rien faire d’autre qu’écouter, écouter encore, et imaginer. se mettre à la place des autres, vivres ce qu’ils vivent, et aider. aider à tout prix pour donner un sens à sa courte existence.

et avec tout ça, elle a complétement oubliée de répondre à sa question retour.