La famille c'est sacrée. Plus précisément, les fratries sont sacrées. Malgré ton ambivalence, malgré les reproches, malgré le mépris, malgré toutes ces petites choses qui te font dire que t'es pas mieux qu'Arsene, dans le fond, niveau frangin, t’arrive pas, Noah, à te détacher de cette idée, de ce sentiment. Un frère, une sœur, un être qui partage ton sang, c'est précieux, plus précieux que le reste. Destructeur quand ils sont là, mais encore plus quand on les perd. Même s'ils sont cancer pour nous même, il faut en prendre soin. Un frère, une sœur, on l'aime à en crever, point.

Et c'est peut-être la première fois que tu t'es senti en véritable désaccord avec Ars. T'as l'habitude de t'adapter à toutes ses nuances, de composer avec toutes ses particularités. Parce que t'es pas un vaillant qui se bat, Noah. T'es juste un survivant, point. Et t'es tellement mal placé pour lui faire la leçon. Mais l'accident avec Sylvestre avait renversé la tendance. Une sœur, une sœur putain. Et t'as pas pu t'empêcher de transposer tout ça à ta propre histoire. Pris en pitié cette petite chose qui n'a que pour seul défaut de partager un nom. Concerné, parce qu'elle ne mérite pas la haine, Sylvestre, et Arsene ne mérite pas sa propre colère. Et c'est peut-être parce que t'as passé la majeur partie de ta vie à jouer les gardiens que le naturel est revenu, un peu, infime, petite perle sous la vase dégueulasse de ta vie. Même une merde tend à être beau, parfois. Terrible de se dire qu'après quatre ans ni toi, ni eux, n'avaient réussi à totalement t'enterrer.

Tu sais qu'elle est au club de base-ball, une de ses camarades de classe t'as dit qu'elle est partie en direction du terrain. Mains dans les poches, le sourire habituel aux lèvres, tu salues les quelques-uns qui se presse pour te dire bonjour. Mais un "sorry" poli quand tu aperçois sa tignasse. C'est que t'es venu pour elle, pas pour les fans.

— Yo !

Agite un peu la main pour qu'elle te voie, alors que tu descends à sa rencontre, sans trop savoir ce que tu fiches, sans trop savoir si Arsene t'en voudra pour ce que tu fais. Mais depuis quelques jours, tu ne réfléchis plus trop à tes actions.

— Panique pas, je viens en qualité de personne neutre et particulièrement consternée par la connerie dont peut faire preuve son bestie, parfois.

Agite le drapeau blanc, imaginaire, la pauvre a dû déjà assez subir comme ça.

— Plus sérieusement, je suis venu voir comment t'allais. Est-ce que tu t'en remets ?

Ah. Le doux sourire mensonger. Tu le connais celui-là. Liam avait le même parfois, la risette du "ça va" qui voulait dire "ne pose pas de questions". Tu l'as eu aussi, au début. Dans cette période où tu pouvais assumer d'être encore toi, dans cette période où les gens avaient encore la décence de te demander comment tu le vivais d'avoir été amputé d'un frère. Il te semble que tu n'as plus la capacité de faire naître cette expression sincère sur ton visage. Celle du désir sincère de vouloir être cru, celle du désir sincère de ménager ses peurs ou celles des autres. Ah. Tant mieux s'il elle peut encore. C'est bien. C'est qu'Arsene ne l'a pas encore trop esquintée.

Tu restes à bonne distance, t’apprivoises les gens comme on apprivoise des bêtes sauvages. Tu la sens nerveuse. À sa question, tu comprends qu'elle a peur qu'il débarque. T'as veillé à être discret. Tes mains dans les poches, comme pour dire que t'es pas venu armé, qu'elle aura tous les temps de fuir, que t’ira pas la rattraper si elle n'en a pas l'envie.

— C'était pas une chamaillerie, c'était une agression en bonne et due forme.

Faut poser les mots, même si c'est violent. Tu regardes un peu le terrain autour de toi, avant de revenir vers elle. Elle a peur du monstre dans le placard. Ouais. Tu peux comprendre ça, quelque part.

— Il ne viendra pas. On va veiller à le tenir à distance, Icare et moi. Arsene à ses propres démons, mais t'as pas à trinquer pour lui. Tu es sa sœur et la famille c'est sacrée. Tant qu'il ne sera pas capable de le comprendre, je resterai vigilant.

Tu lui offres un sourire se voulant rassurant. Tu ne peux pas détester Arsene. Tu le dois trop. Peut-être bien le seul grâce auquel on t'as pas retrouvé pendu quelque part dans les bois. Mais l'amour ça n'empêche de mépriser, parfois. T'aimes le frère qu'il est pour toi, mais tu méprise profondément le frère qu'il n'est pas pour elle. Quelque part, t'es injuste, Noah. Mais ça, injuste, c'est en tête-liste de tes seconds prénoms.

— Et t'excuse pas, vraiment.

Tes yeux qui glissent sur ses ongles. T'esquisse un geste, pas pour l'arrêter, mais t’espère l'en sortir.

— En vérité, c'est nous qui devrions nous excuser. On aurait dû agir plus tôt, à la place on est resté planté là comme des cons. J'aimerai rattraper le coup.

T'embrasse le terrain du regard, avant de reprendre le sourire de Liam et son air d'imbécile heureux.

— Tu fais du Base-Ball du coup ? Tu me montres comment ont joue ?

Elle ne te mérite pas, Ars.
C'est à peu près la première chose à laquelle tu penses quand elle parle. Elle arrive à lui trouver des excuses, à diminuer la portée et la violence de son geste. Elle arrive à trouver la volonté de fouiller la merde pour y trouver un peu de propre. Tu te demandes, Noah, si elle est ce genre d'idéalistes bêtes. Puis tu te rappelles, que les idéalistes bêtes ça n'existe pas. Tu te rappelles Liam, l'idéalisme, les beaux sourires, les "ça va" même dans le pire. Mais surtout, l'étincelle d'intelligence, de mélancolie, comme-ci plus que n'importe qui d'autre, il avait conscience de la laideur ambiante, mais n'avait pas la force de l'accepter pleinement. Nan, pas idéaliste, pas bête, juste désespérée.

Un autre point commun.

— Tu es bien trop patiente pour ton propre bien. Tu me rappelles quelqu'un que j'aimais beaucoup.

Et tu ne sais pas, Noah, si ça te touche ou si ça t'insupporte. Tu ne sais pas, Noah, si ça fait souffler du chaud ou du froid. Elle a l'air de se contenter de peu. À peine fais-tu mine de t’intéresser à ce qu'elle fait qu'elle s'illumine. Bordel, et ça partage l'ADN d'Arsene cette créature-là ? Putain, le monde est d'une ironie. Elle se saisit de deux battes et de balles. T'as aucune foutue idée de ce que tu fais, mais étrangement improvisé pour un sourire, cette fois-ci, ça te pose pas trop de problème.

— Haha, mais je t'en prie, je ne demande qu'à trouver de nouvelles vocations !

Rire léger, alors que tu prends la batte, soupèses dans ta main le bois. C'est plus lourd que ce que tu pensais.

— Hm ? Ouais, j'aide au club des good guys. C'est pas grand-chose, juste une petite initiative, mais ça aide les gens. Je me dis que quitte à être indécis, autant me servir de mon indécision pour rendre service.

T'as presque envie de rire tant c'est véridique et mensonger à la fois. T'as pas de fierté particulière à aider le club, t'as même une vision assez pessimistes de son essence. Parce qu'on aura beau dire, la gratuité ça n'existe pas, y compris dans l'humain. Si on vous paye pas à coup de pièce, on vous paye à coup de reconnaissance. Et Dieu sait comment elle rend riche, la reconnaissance. Une façon de se faire mousser sans avoir besoin d'être premier ou vitrine d'une équipe quelconque. Une escroquerie comme tant d'autres. Mais c'est le genre d'escroquerie qu'il aurait aimé, Liam. Alors t'y a foutu les pieds. Puis, comme tout le monde ici, t'es aussi pute que manque, Noah.

— Mais bon, tu vois, ça me rend pas irréprochable pour autant. Sourire, alors que tu la laisses te placer comme elle l'entend. On n'a pas vu pantin plus sex que toi. Et toi ? Base-ball, je crois avoir deviné, mais tu t'es inscrite à autre chose ?

Ça pourrait valoir le coup de la traîner quelque part pour l'avoir à l’œil. Histoire de.

Du coin de l’œil, tu l'observes, elle y met du sérieux, mais le rouge sur ses joues te tire un rire. Ok ok, elle est vraiment dans l'instantané, hein ?

— Ouais, allons-y ! Je sens l'âme de la batte prendre possession de mon corps.

T'esquisses quelques gestes de lancer. T'as pas la casquette, ni le costume, mais tu t'y crois. Tourne ton regard vers elle, le sourire ne te quitte pas.

— J'suis comment ? J'suis convainquant dans le rôle ?

Bien sûr que tu l'es.

Tu pourrais lui dire que tu ne sais pas ce qu'est la passion, Noah. Tu ne sais pas ce que c'est de vibrer, d'avoir ce sentiment d'être à sa place, au bon endroit, au bon moment. De ressentir joie et épanouissement dans un acte quelconque. Tu l'envies. Tu envies cette capacité à vivre. Mais dans un sens, ça te rassure aussi. Cette fille vaut définitivement bien plus que toi, bien plus que son frère, bien plus que bon nombre de personnes dans ce foutu poulailler.

— Un jour, peut-être. Qui sait, peut-être que je vais me découvrir un grand amour aujourd'hui ?

Tu lui décroches un sourire, pour une fois t'écoutes vraiment. Tu ne ressens pas le besoin de la juger, de la mépriser. Sylvestre est une fille simple, bien. Elle a cette chose particulière qui fait que tu ne lui souhaites pas le pire. Elle te rappelle un peu Lily. Elle te rappelle surtout lui. Tu chasses son visage, te concentres à la place sur le sien. Second rôle, ouais, t'approuves, Noah. Tu lui réponds en balançant quelques swings.

— T'sais, y a pas de honte à vouloir rester dans l'ombre. La popularité, c'est aussi beaucoup d'hypocrisie, de choses belles en apparences, mais qui le sont nettement moins dans les faits. Rester à l'écart, ça permet d'avoir des relations plus authentiques, je trouve. Je trouve même ta démarche saine.

T'es pas bien sûr de l’exactitude de ta posture, mais c'est plutôt grisant, en vrai, de balancer cette batte de gauche à droite, de droite à gauche. Frapper l'air, y a quelque chose d'étrangement... Relaxant, dans ce geste. Quand elle mentionne les groupies, tu t'arrêtes, prends un air choqué, presque effrayé.

— Oh non, par pitié.

Sur le ton de la confession, tu lâches.

— J'ai horreur de ça, c'est toujours délicat avec eux... Ils semblent pas vouloir qu'on les remarque, mais sont peu discrets, ils projettent des attentes auxquelles je ne peux pas toujours répondre. Mais leur dire directement, c'est les froisser, faire semblant de ne pas comprendre, c'est les prendre pour des idiots aussi. Bref, je comprend pas comment certains camarades populaires font pour supporter ça tous les jours.

Tu le sais très bien. Ils se les tapent, s'en servent, les usent puis les jettent. Mais ça, c'est peut-être un peu trop cruel à dire. Elle est douce, Sylv, raison de plus pour garder sceller ton mépris. Tu soupires, hoches la tête et fais mine de sérieusement te concentrer. Toute ta haine, toute ta joie. Ok très bien. Et quand la première balle est lancée, tu la frappes en criant :

— ARSENE EST UN CRÉTIN.

Seconde balle.

— LES GROUPIES ME FONT PEUR.

Troisième balle.

— J'AIME BRITNEY SPEARS.

Les balles touchent, mais partent dans tous les sens. La trajectoire est une science pour le moins complexe.

— Mince, ça touche mais ça part n'importe comment.

Elle s'excuse, Sylvestre. Elle s'excuse comme-ci elle avait planté elle-même le couteau dans ta chaire. Tu trouves ça mignon, dangereux aussi. À porter la misère du monde, à vouloir en assumer la responsabilité, elle va passer l'arme à gauche avant tous les autres. Triste. Mais elle vise juste, au moins. Elle a peut-être l’innocence en plus, mais elle la même capacité à toucher le centre de la cible. T'aimerais bien lui dire que si, y a peut-être un moyen pour toi d'être tranquille. Mais tu fermes ta gueule, Noah. Parce que c'est des paroles que personne ne pourra jamais comprendre. Personne ne pourra jamais entendre qu'il faudrait que t'échanger ta place, que Liam revienne et que toi t’aille te coucher dans sa tombe bien gentiment. Nan, l’humanité est trop hypocrite pour ce genre de vérité et toi t'es trop lâche pour la leur donner. Mais elle a raison, Sylvestre. On en souffre. On en meurt aussi quelque part. Détourne le regard, rien qu'une seconde, parce que le sourire à un poids parfois trop lourd. Puis reviens, comme d'habitude, éclat de soleil, putain, il brûle ce soleil.

— Bwarf, on s'y fait ! Les gens idéalisent et ont des attentes, on n'y peut pas grand-chose. J'ai la chance d'avoir des gens relativement neutres dans mon entourage alors ça va. Puis, j'ai des petites bulles d'air comme toi aussi, ça fait du bien !

Arsene te tuerait, mais là t'as le besoin urgent qu'elle fasse éclater son sourire et qu'elle ne ressasse pas plus que de raison tes soucis persos. Alors tu détournes l'attention. Tu n'iras pas user de confusion avec elle, parce qu'elle ne le mérite pas. T'iras juste la manipuler comme tous les autres : avec naturel.

Pour ça que tu cries des idioties en frappant les balles. Et ça porte ses fruits, évidemment. Elle arrive avec ses doux conseils et sa bonne humeur. Elle s'y connaît, t'admire cette persévérance qu'ont les gens parfois.

— C'est vachement précis. Et vous arrivez tous à faire ça ? Chapeau.

Mais tu te fais bon élève, essayes d'orienter ta balle tout en te demandant d'où ça peut bien sortir toutes ces règles et surtout qui sont les génies qui les ont crées. Quand elle s'excuse de nouveau, t'esquisses un sourire.

— Pourquoi je le serais ? T'aimes pas ta voix ? Elle est jolie pourtant !

Arsene te tuerait définitivement.

— Ah, si tu mets un hot-dog dans la balance alors...

Sourire plus prononcé. C'est que t'es aussi faible que n'importe quel casse-dalle, Noah. Il y a beaucoup de choses qui achètent ton temps, la nourriture en fait partie. Puis, pourquoi pas après tout ? Aller encourager Icare et Mason ça n'aurait rien de dérangeant, ce serait peut-être même une bonne excuse pour garder Arsene à l’œil. Alors pourquoi pas.

— Deal, mais je veux venir t'encourager quand tu joueras aussi.

Et t'aurais peut-être dû t'en tenir là. Tu sais que fraterniser avec elle est une entreprise risquée, tu sais que te lier avec les gens qui te rappellent Liam tien autant de la connerie que du délire toxique. Mais quelque part, ça te tue, ça te frustre. Toi t'es en manque d'un frère depuis quatre ans et Arsene à une sœur en face de lui qu'il s'obstine à ignorer au mieux, à rabaisser au pire. Toi qu'est-ce que tu donnerais, Noah, pour le revoir lui, pour partir le cœur inquiet des heures à sa recherche parce qu'il a eu l'idiotie d'oublier son téléphone, pour aller lui apporter son plateau parce qu'il était trop occupé pour le faire, pour aller regarder pour lui les dangers à venir, pour aller braver pour lui la bave des imbéciles. Il a de l'or entre les mains, un trésor dont il n'a aucune idée de la richesse, Arsene. Mais il préfère cracher dessus que d'en prendre soin. Et ça te tue. Ça te frustre. Seulement, Sylvestre n'est pas Liam. Seulement, Sylvestre est trop belle pour que tu la brises comme t'as brisé d'autres. Alors le baiser qu'elle impose sur ta joue, tu culpabilises presque qu'elle te le donne. Tu te demandes soudain pourquoi t'es venu. Pourquoi t'es aussi con. Et comme à chaque fois que tu te tortures, t'efface les rides d'un sourire.

— Roh, j'aurai du prendre un selfie, pour une fois qu'une jolie fille me fait la bise, j'aurai pu me vanter sur instagram...

Fait la moue, exagérée, tout de suite brisée par un sourire plus franc que le sien. Tu te laisses tenter par sa proposition, chaque seconde que tu passes en plus avec elle te fait dire que t'es un beau salaud. Mais c'est, qu'à force de te le répéter, ça te fait même plus grand-chose.

— C'est quoi ton don, en fait, Sylv ? Fin si je peux t'appeler Sylv et que c'est pas trop indiscret, bien sûr.

Heureusement pour toi, t'as encore un peu de retenue. Tu n'es pas dans la séduction et ne veux pas l'être. Sylvestre est une fille bien, plus qu'une fille, c'est une belle personne. C'est si rare les gens comme ça, surtout ici. Elle ne mérite ni venin, ni fable, ni mensonge, ni manipulation. Si tu ne peux pas être totalement clean, tu peux au moins lui épargner des dérapages douloureux.

— Bah, je t'apprécie oui. T'es cool ! Tu devrais pas en douter.

Dans le fond, elles sont nombreuses les graines prometteuses. Mais dans une île où on arrache les enfants à leurs parents pour les lâcher dans une jungle où tout le monde se fait la guerre en fonction de sa case, elles sont nombreuses à brider leur potentielle, se faire plus frêle, moins éclatante qu'elles ne le sont. Il n'y avait que les innocents comme Liam ou les ambitieux comme Arsene pour se laisser croître envers et contre tous. Elle pourrait le faire aussi si elle le voulait. Mais quelque chose te dit qu'elle ne veut pas. Quelque part sur là comprend, tu n'en as jamais eu l'envie aussi. C'est peut-être parce que tu te sens quelque part solidaire que tu balances :

— On est ami non ?

Comme-ci c'était évident, alors qu'il y a peine 24h tu connaissais à peine son nom, que c'est la première discussion réelle que t'as avec elle, qu'il y a cinq minutes tu ne connaissais même pas la plus grande et voyante de ses passions. Mais tu continues de sourire, marches sur le fil, encore et toujours. Quand tu dois avancer d'un pas tu recules, quand tu dois reculer tu avances. Tu fais le contraire des choses parce que tu en as quelque part besoin, tout en détestant. Ambivalent. T'es fatiguant, Noah.

Alors son petit aparté sur son pouvoir tombe à point nommé. Tu siffles, vraiment impressionné, tu vois dans son don un potentiel immense. T'imagines seulement une personne comme Lucrecia avec un pouvoir pareil... Ça aurait été terrible.

— C'est ouf comme pouvoir ! T'es consciente que tu pourrais devenir riche et conquérir le monde avec ?

À côté, tes petits tours de confusion font pales copies. Spécialement quand tu ne peux pas lui dire ceux à quoi ton pouvoir te serre vraiment. Tu prends un air humble, un peu détaché, t'ignores le reflux acide qui monte dans ta gorge quand tu commences à mentir.

— Je rend les gens confus. Tu laisses un petit temps. Je précise que c'est vraiment mon pouvoir parce que ça fonctionnait déjà quand j'étais boutonneux avec les cheveux gras.

Tu lui adresses un clin d’œil. Tu supposes que cette courte explication n’apaisera pas un possible élan de curiosité alors tu poursuis.

— Hmm, c'est un peu compliqué à expliquer. J'ai la capacité d'empêcher les gens de se concentrer sur quelque chose de particulier, ça permet de semer le doute, voire même de troubler les sens. Bref, ça rend confus. Il y a plein d'utilité mais en général, ça serre à désamorcer certaines situations. C'est ce que j'ai fait quand Arsene t'a agressé. J'ai semé le doute en lui, ça l'a déstabilisé et on a pu le maîtriser. Mais c'est à double tranchant, le truc avec la confusion c'est qu'on sait jamais vraiment comment les gens en face peuvent réagir.

Tu hausses les épaules, balayes d'un revers de la main ses incertitudes, comme-ci ses inquiétudes n'étaient que fumée, qu'un moustique qu'on chasse d'un geste négligeant.

— Et donc ? Populaire, geek, tout ça ce sont des mots qui ne veulent rien dire. Tu es une personne, ça ne peut pas simplement se résumer à un mot.

Ton regard s'est fait plus intense sur la fin de la phrase. L'espace d'une seconde tu ne souris plus, l'espace d'une seconde c'est la force des tes convictions que tu abats sur elle, sans aucune tendresse. Presque une obsession, comme-ci tu avais besoin de le dire pour le rendre réel, pour t'en convaincre toi-même après des années à te résumer en des termes peu élogieux.

— J'ai jamais aimé ces histoires de groupes, pas plus que j'aime l'idée que ça doit influencer mes relations. Les gens sont plus que des noms dans des cases. Tu es Sylvestre, je suis Noah, le reste on s'en fiche un peu, tu ne crois pas ?

Bien vite, tu fais naître le sourire sur ton visage. Fait apparaître la fossette adorable. Hein, Sylvestre, le reste on s'en fiche pas mal, hein ? Avouer le contraire, c'est admettre que... Que quoi, Noah ? T'en es pas sûr, t'es plus sûr de rien. Tu te mets à sa hauteur, tu détestes le frisson de dégoût qui te parcoure l'échine, le remercies intérieurement parce que c'est la preuve que t'es encore conscient d'être un connard. Tu poses ta main sur son crâne, lui sourit comme le soleil.

— On est ami.

Pas une question cette fois. Tu te redresses, passes tes doigts sur ton menton, songeur.

— Tu sais, je pense que c'est un peu la même chose pour tout le monde. Nos pouvoirs peuvent faire du bien, comme faire du mal. C'est parce que les gens extérieurs craignent cette seconde possibilité qu'on nous emmène ici.

Emmène, pas enferme, les mots sont choisis. Une partie de toi n'arrive pas à considérer le fait d'être enfermé dans quoi que ce soit. Une partie de toi à envie de gerber à l'idée que ton frère est mort en tant que prisonnier.

— Tu pourrais sauver des vies avec ce pouvoir, mais tu peux aussi ne rien en faire. En vrai, les deux sont ok, c'est une partie de toi, c'est comme le corps, ça ne regarde que toi. Utilise-le de la façon qui t’épanouis le plus, c'est tout ce qui compte.

Bref, qu'elle ne fasse pas comme toi. Pour ça que ça t'amuse presque, Noah, quand elle te soutient que ton pouvoir, à toi, est formidable.

— Les gens pensent que tu travailles avec le journal ? J'espère qu'on t'emmerde pas trop pour ça.

Tu n'imposes pas ton aide, mais l'idée te tente. Une envie dégueulasse, horrible, de lui rendre service, pour te dire que tu fais les choses bien parfois, pour qu'on son joli sourire ne repose pas des mensonges, pour qu'elle soit fière... Comme Liam pouvait l'être.

— Je t'embarque dans un repas sorti de nul part, alors. Tu m'as donné faim avec tes histoires de hot-dog.